Après l'exposition Max Jacob, le cubisme fantasque qui a fermé ses portes il y a trois jours, le musée d'art moderne de Céret (département des Pyrénées-Orientales) propose à partir de ce samedi 7 décembre, une exposition de photographies de Robert Julia.
Robert Julia, photographe né à Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales) en 1920 et décédé à Céret en 2003, a été, à partir des années 1950, un témoin important de la vie artistique du département des Pyrénées-Orientales en général et de Céret en particulier. L'acquisition faite en 1993 par le musée d'art moderne de Céret d'une série de photographies de Robert Julia (68 tirages en noir et blanc d'un format d'environ 20 x 30 cm) a permis à l'institution de se constituer un témoignage essentiel sur les artistes qui ont vécu à Céret, qui y ont séjourné comme Pablo Picasso ou qui n'y ont fait que passer comme Salvador Dalí. Ainsi ces précieux clichés permettent de retrouver dans l'environnement qui furent le leur durant de nombreuses années, des personnalités comme Pierre Brune - créateur en 1950 du musée d'art moderne -, Pinkus Krémègne, Frank Burty-Haviland et Jean Capdeville.
A l'occasion de la récente et généreuse donation d'Elisabeth Julia, le musée d'art moderne de Céret propose de redécouvrir la singularité et la cohérence du travail de Robert Julia qui a marqué le paysage artistique catalan des années 1950 à l'an 2000. Son oeuvre, dans la lignée de la photographie humaniste, porte un regard aiguisé sur l'effervescence de Céret, sur les paysages du Roussillon et sur les personnalités qui ont laissé leur empreinte sur la ville.
La photographie prise en 1953 (peut-être 13 août ?) qui illustre l'affiche de cette nouvelle exposition montre devant le musée de Céret récemment inauguré, Pierre et Miette Brune, Paulo, Maya et Pablo Picasso alors que ce dernier séjournait à Perpignan dans l'hôtel particulier des Lazerme. Ce n'était pas la première fois que le peintre andalou venait dans la capitale du Vallespir. En effet, après un séjour de plusieurs semaines à Cadaqués durant l'été 1910 où il avait fait venir André Derain, il arrivait à Céret le 5 juillet 1911 pour y séjourner durant deux mois avec Georges Braque. Picasso devait par la suite revenir à Céret, en 1912 puis de nouveau l'année suivante, accompagné une fois encore de Georges Braque ainsi que de Juan Gris et Max Jacob. Ce dernier qui a fait l'objet de la dernière exposition estivale du musée d'art moderne de Céret connaissait Picasso depuis 1901, tous deux s'étant rencontrés à Paris lors d'un bref séjour de ce dernier avant son installation définitive dans la capitale française trois ans plus tard. C'est l'époque où l'écrivain, aussi peintre et dessinateur ("cocasse et magnifique comme le rêve", selon Jean Cocteau) natif de Quimper rédigeait un conte pour enfants (Le roi Kaboul Ier et le marmiton Gauwin) dans une petite chambre du 33 boulevard Barbès "sans feu, sans tabac, sans pétrole et nourri par le crédit d'une boulangère charitable. (...) Je rentrais seul, le soir, je mettais deux paires de chaussettes pour me réchauffer. Après il y eut Salmon, Picasso et les autres. Ce n'était plus la même chose : la misère à plusieurs ce n'est plus la misère". (1) Plus la misère ? Quoique ! Après s'être installé au 7 de la rue Ravignan ("Au fond d'une cour et derrière des boutiques"/1) puis au Bateau-Lavoir dans l'atelier anciennement occupé par André Salmon et Pierre Mac-Orlan, il passa l'été 1913 à Céret devenue la capitale du cubisme. Max Jacob n'était pas alors un écrivain reconnu bien qu'il eût publié en 1911 Saint-Matorel, roman illustré d'eaux-fortes de Pablo Picasso et La Côte, recueil de chants bretons avec des illustrations du même Picasso et en 1912, Les oeuvres burlesques et mystiques de Frère Matorel, mort au couvent de Barcelone avec des illustrations de André Derain. A Céret, durant l'été, "on le voit même, lorsqu'il accompagne Picasso, Herbin ou Gris qui vont peindre à Céret, lui aussi "s'essayer au cubisme" dans plusieurs dessins et gouaches des années 1909-1913". (2) Pince-sans-rire, Il reviendra par la suite sur sa carrière de peintre cubiste et dira : "Je n'ai jamais fait de cubisme : (...) parce que Picasso avait choisi comme élève non moi, mais Braque (...) parce que le cubisme me parait laid très souvent et que j'aime le... joli, hélas ! (...) au fait, j'ai fait beaucoup de dessins cubistes ; tout ça, c'est la faute à Picasso". (1) Braque, choisi par Picasso, Braque, influencé, comme Picasso, par Paul Cézanne. "C'est en radicalisant ses pratiques que les nouveaux peintres vont créer le cubisme." (3) Picasso dira : "Cézanne, il était notre père à tous." Et Braque dans une longue interview accordée à Jacques Lassaigne deux ans avant son décès et restée inédite jusqu'à sa parution dans le catalogue de l'exposition Les Cubistes (4) en 1973, a expliqué pourquoi Cézanne, pour lui, avait été plus qu'une influence, une initiation. Braque qui inventa en 1912 la technique du Papier collé par laquelle un tableau devenait désormais un espace où se mêlaient différentes matières. Le public non averti ne voyait dans tout cela que de l'abstraction qui le déroutait, le désarçonnait. Quand il regardait des portraits cubistes, il ne voyait "que des lignes, des échafaudages". (5) Les visages ne lui étaient pas reconnaissables. Le cubisme fut longtemps raillé par la critique, notamment par Louis Vauxcelles ; au cinéma aussi par l'intermédiaire de Rigadin.
Quarante ans après, Picasso reviendra à Céret et rendra visite à Pierre Brune, fondateur du musée d'art moderne qui, agrandi en 1993 puis en 2022, relate l'histoire du cubisme, aventure artistique exceptionnelle dont la ville est le cadre depuis les années 1910. Une riche collection d'art moderne et contemporain constituée au fil des décennies et grâce à de nombreux dons attire un public nombreux désireux de voir les oeuvres de Pablo Picasso, Georges Braque, Henri Matisse, Juan Gris, Chaïm Soutine, Marc Chagall, Joan Miró, Léopold Survage, Auguste Herbin, Raoul Dufy, Claude Viallat, Antoni Tàpies, Vincent Bioulès, ainsi que celles de Maurice Loutreuil qui a séjourné à Céret en 1919 et dont on commémorera l'année prochaine le centième anniversaire du décès. Sera aussi commémoré en 2025, les 75 ans de la création du musée avec une grande exposition estivale réunissant tous les peintres qui ont fait la gloire de la ville.
Exposition de photographies Robert Julia, un regard humaniste à voir à partir du 7 décembre 2024 au musée d'art moderne de Céret, 8 bd du maréchal Joffre, 66400 Céret. Téléphone : 04 68 87 27 76 pour tous renseignements sur les horaires et les droits d'admission.
(1) Catalogue de l'exposition Hommage à Max Jacob (1876-1944) au musée de Montmartre (Paris), 25 octobre 1976-30 janvier 1977.
(2) Le cubisme par Serge Fauchereau (Flammarion, 2012).
(3) l'ABCdaire du Cubisme (Flammarion, 2002).
(4) Catalogue de l'exposition Les Cubistes présentée d'abord à la Galerie des Beaux-Arts de Bordeaux entre le 4 mai et le 1er septembre 1973 puis au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris entre le 26 septembre et le 10 novembre 1973.
(5) Jean Cocteau - Portrait Souvenir, entretien avec Roger Stéphane (1964, RTF et Librairie Jean Tallandier).