Faire connaître la Louisiane et les Catalognes : Lieux, histoire et événements.
"On ne blâme pas une époque, on se félicite de n'en avoir pas été." Jean Cocteau
"Année terrible" pour le président de la République Raymond Poincaré, 1917 est l'année de la guerre sous-marine à outrance déclenchée par l'Allemagne, de l'entrée en guerre des Etats-Unis aux côtés des Alliés, de l'offensive du Chemin des Dames, des mutineries dans l'armée française, d'une grave crise intérieure en Espagne, de la prise du pouvoir par les bolcheviques en Russie suivie de l'entrée en vigueur d'un armistice sur le front russe. 1917 est la suite de 1916, année non moins sanglante avec l'enfer de Verdun et l'enfer de la Somme. Les Allemands bien qu'étant aux portes de la capitale française - plusieurs fois bombardée par les zeppelins (fin janvier 1916) -, n'effraient pas ceux qui veulent profiter des plaisirs du "gai Paris", malgré la faim et le froid qui tenaillent bon nombre d'habitants. Un temps désertée durant l'été 1914 par peur d'un éventuel siège - exode favorisé par Gallieni -, la Ville Lumière retrouve vite ses habitants et ses rendez-vous mondains (*) La guerre n'en reste pas moins présente dans les esprits, dans les journaux, dans les livres, dans les poèmes. En décembre 1916, Le Feu d'Henri Barbusse obtient le Prix Goncourt (non attribué en 1914); Guillaume Apollinaire, blessé à la tête par un éclat d'obus le 17 mars 1916 écrit Tristesse d'une étoile.
Le 26 décembre 1916, Joffre est écarté du Haut Commandement. Celui-là même qui prétendait en 1914 (après la Marne) que la guerre serait finie à Noël, et qui déclarait, l'année suivante, vouloir grignoter l'ennemi alors que les pertes françaises (400 000 morts ou prisonniers et un million d'hommes hors de combat en 1915) étaient nettement supérieures à celles des Allemands, est nommé maréchal de France le lendemain. Louis-Lucien Klotz, ministre des Finances du gouvernement Ribot, dit, lors d'un dîner en ville : "... si nous faisons la guerre de trois mois en trois mois, c'est la faute des militaires, de cet idiot de Joffre qui a passé son temps à nous dire : "On les aura, je les grignote, on passera où et quand on voudra..." (1)
Au lendemain de l'élimination de Raspoutine par Yousoupoff à Pétrograd, les Parisiens réveillonnent et se souhaitent une bonne année 1917, année de la paix ? Le 1er janvier, André Gide parle d'un "temps on ne peut plus brumeux et triste" à Cuverville. (2) "Paris a froid". C'est ce que titre à la une le journal L'Heure, dans son numéro daté du 25 janvier 1917 : "Aurons-nous du feu ? Demain ? Après-demain... Quand ?" Pour l'auteur de l'article, le ministre des Travaux publics Marcel Sembat, récemment débarqué par Aristide Briand, s'est révélé d'une "incompétence prodigieuse". Sembat, qui par ses fonctions, devait s'assurer du bon acheminement des combustibles, était vilipendé depuis des mois à propos de la pénurie de charbon.
Du 21 au 31 janvier, a lieu dans le salon littéraire de Mme Bongard, sœur de Paul Poiret (5 rue de Penthièvre, Paris 8ème), une exposition de peintures de Léopold Survage. Apollinaire signe la préface du catalogue et colorie à l'aquarelle sept exemplaires du dit catalogue qui a paru en noir et blanc.
Auguste Rodin épouse Rose, cinquante ans après la naissance de leur fils, le 29 janvier 1917 à la mairie de Meudon. "Il y régnait un froid glacial; on manquait de charbon et les tuyauteries avaient éclaté la nuit précédente, à cause du gel", écrit David Weiss dans sa biographie sur Rodin parue en 1963.
Le 31 janvier, l'administration Wilson est avisée du déclenchement de la guerre sous-marine à outrance. Le 3 février, les Etats-Unis rompent leurs relations diplomatiques avec l'Allemagne.
Début février, Paul Claudel, qui vient de publier Le Père humilié, envoie de Rio de Janeiro, où il a été nommé en tant que consul, un télégramme au Quai d'Orsay annonçant son arrivée dans la capitale brésilienne. Darius Milhaud, qui est son secrétaire à la Légation de France, fait alors la connaissance de Heitor Villa-Lobos, compositeur qui va lui faire découvrir tous les trésors de la musique de son pays. La Suite "Saudades do Brasil" de Milhaud (composée en 1920) est un souvenir des mois passés à Rio.
Le 3 février, le Housatonic, navire américain, est torpillé par un sous-marin allemand. "Le 25 février, ce sont deux Américaines qui perdent la vie sur le paquebot Laconia au large de l'Irlande. Le 12 mars, un cargo américain, l'Algonquin, est coulé alors qu'il transportait des vivres de New York à Londres." (3)
"Nous sommes sous la neige depuis une dizaine de jours", écrit André Gide le 8 février. "Il ne dégèle même pas dans le milieu de l'après-midi, et le vent a ramené la neige en si grande abondance au revers des talus que, dans le chemin qui les borde, on a dû creuser des tranchées." (2)
16 février : Mort d'Octave Mirbeau. "Cet écrivain a fait l'admiration de mes dix-sept ans; il y a dix ans, je mettais au-dessus de tout Le Jardin des supplices et le Journal d'une femme de chambre." (1) Le lendemain, décès du peintre Carolus-Duran. "J'aime infiniment la Dame au gant. "Carolus-Duran la peignit en 1869, à son retour d'Espagne, me dit J.-E. Blanche; il avait les yeux encore pleins des maîtres espagnols." (1) Père de trois enfants, sa fille aînée avait épousé Georges Feydeau.
Le 17 février, Jean Cocteau et Pablo Picasso partent pour Rome pour travailler avec Serge de Diaghilev à la préparation de Parade. Cocteau rentrera le 13 avril, Picasso le 4 mai.
Le 21 février, Eugène Grindel alias Paul Eluard, qui n'a obtenu que trois jours de permission, épouse Elena Dimitrieva Diakonova dite Gala à la mairie du 18ème arrondissement de Paris. La santé précaire du poète ne résiste pas aux dures conditions de la vie de soldat. Aussi le 20 mars, est-il hospitalisé à Amiens. Le 24 avril, il est évacué à l'hôpital de Paris-Plage. En juin, il est reclassé dans un service auxiliaire.
8-17 mars : première révolution russe; abdication du tsar.
Le 17 mars, Aristide Briand démissionne de ses fonctions de Président du Conseil. Alexandre Ribot forme le nouveau gouvernement.
Le 2 avril, le président Wilson lit un message devant le Congrès américain. "Après avoir rappelé les efforts de l'Amérique en faveur de la paix et fait l'historique du conflit, le président stigmatisa l'attitude de l'Allemagne..." (4) Le 4 avril, les sénateurs approuvent (82 pour, 6 contre) la déclaration de guerre des Etats-Unis à l'Allemagne, suivis le 6, par les représentants (373 pour, 50 contre).
14 avril : Décès à Varsovie de Zamenhof. "Zamenhof, l'inventeur de l'espéranto, vient de mourir. La Tour de Babel lui est sans doute tombée sur la tête." (1)
16 avril : Offensive du Chemin des Dames.
Le 19 avril, Alexandre Ribot, Lloyd George et le ministre italien des Affaires étrangères se rencontrent à Saint-Jean de Maurienne. "Des promesses ont été faites aux Italiens par les diplomates français et britanniques au moment de l'entrée en guerre de l'Italie en 1915. Ces promesses se trouvent contenues dans le Traité de Londres. Elles sont à nouveau formulées et se trouvent même élargies à l'occasion des accords de Saint-Jean de Maurienne signés en avril 1917." (5)
"22 avril. (...) Dîné au Ritz, chez Hélène : la marquise de Ludre, la comtesse de Chevigné, Cocteau, Proust. Cocteau parle de Rome, où il vient de passer deux mois, en formules courtes et lyriques. (...) Cocteau raconte qu'il était descendu à l'hôtel de la Minerve, avec tout le corps de ballet russe. Picasso errait dans les couloirs, vêtu d'un pyjama prêté par Mme Errazuriz." (1)
Le 24 avril, arrive aux Etats-Unis une délégation française dirigée par René Viviani, vice-président du Conseil et le maréchal Joffre, afin de "déterminer sans retard et dans leurs grandes lignes les directives de la coopération des forces américaines avec leurs armées alliées. (...) Commence ensuite une tournée de relations publiques à travers le pays pour sensibiliser le peuple américain à la cause de la France. Viviani et Joffre se rendent à Washington DC (où ils sont reçus par le président Wilson, ndlr), Philadelphie, Boston, Baltimore mais également dans les villes du Middle West qui, à l'instar de Chicago, Kansas City et Saint-Louis, abritent des communautés germano-américaines importantes." (3)
4 mai : Premières mutineries dans l'armée française.
Le 10 mai, les Ballets russes se produisent au théâtre du Châtelet (Paris). Au programme, L'Oiseau de Feu de Stravinsky sur une chorégraphie de Massine, Les Femmes de bonne humeur de Goldoni sur une musique de Scarlatti et des décors de Bakst, puis "quatre contes russes dans un décor cubiste; assez surfait. Pour finir, les danses polovtsiennes d'Igor. On sort à huit heures. Cela tient de la rétrospective et de la révolution." (1)
Le 15 mai, Pétain remplace Nivelle au commandement en chef.
Le 18, est créé, toujours au Châtelet, le ballet Parade sur un livret de Jean Cocteau, une musique d'Erik Satie, des décors et des costumes de Picasso, une chorégraphie de Massine. Le programme est rédigé par Guillaume Apollinaire : "Il en est résulté, dans Parade, une sorte de sur-réalisme, où je vois le point de départ d'une série de manifestations de cet esprit Nouveau qui (...) se promet de modifier de fond en comble les arts et les mœurs, dans l'allégresse universelle..." (6) Après la représentation, la critique s'en prend plus à la partition de Satie qu'à l'argument de Cocteau et aux décors de Picasso. Le 27 mai, le compositeur et musicologue Jean Poueigh - ancien élève de Vincent d'Indy - critique Parade dans le Carnet en ces termes : "Cette œuvre est outrageante pour le goût français; (...) les temps que nous vivons ne sont guère propices à de telles bravades..." Satie réplique en envoyant au critique des cartes postales injurieuses. Poueigh l'assigne en correctionnelle pour injures publiques et diffamation. Satie est condamné à huit jours de prison et à mille francs d'amende. Il interjette appel.
Toujours le 18 mai, le Congrès américain promulgue le Selective Service Act, texte qui oblige tout homme âgé de 21 à 31 ans - quelle que soit sa couleur de peau -, à s'engager dans l'effort de guerre.
Parti de New York le 28 mai accompagné de son état-major, le général Pershing arrive à Boulogne-sur-Mer (après être passé par l'Angleterre) le 13 juin. "14 juin. Hier le général Pershing a débarqué à Paris. Aujourd'hui il s'est montré à la Chambre. "Vive l'Amérique", ont crié les députés." (1)
"15 juin. A dix heures, entrent chez moi (au Palais-Royal, ndlr) Valentine Gross, (...) Edith de Beaumont, (...) Etienne de Beaumont (...) puis successivement, Porel, Gautier-Vignal. Cocteau les a réunis chez moi pour lire son poème : Le Cap de Bonne-Espérance. Il fait une chaleur torride. (...) C'est un long poème dédié à Garros..." (1)
Le 24 juin, Guillaume Apollinaire fait représenter au Théâtre Renée-Maubel à Montmartre (Paris) sa pièce Les Mamelles de Tirésias, drame surréaliste en deux actes et un prologue. Il écrit : "Pour caractériser mon drame je me suis servi d'un néologisme qu'on me pardonnera car cela m'arrive rarement et j'ai forgé l'adjectif surréaliste (...) mais définit assez bien une tendance de l'art qui si elle n'est pas plus nouvelle que tout ce qui se trouve sous le soleil n'a du moins jamais servi à formuler aucun credo, aucune affirmation artistique ou littéraire."
"Le 28 juin débarquèrent à Saint-Nazaire quatorze mille cinq cents soldats américains. Ils avaient traversé l'Atlantique à bord de quatorze navires escortés par le croiseur Seattle battant pavillon de l'amiral Albert Fleares." (4)
(*) "On recommence à danser", écrit Paul Morand le 12 novembre 1916, "des bals publics clandestins; le phonographe rend cela très facile. Des tangos chez Mme Doyen." (1)
(1) Journal d'un attaché d'ambassade 1916-1917, de Paul Morand de l'Académie française (Editions Gallimard, 1996)
(2) Journal d'André Gide (Editions Gallimard, 1951)
(3) Les Etats-Unis dans la Grande Guerre par Hélène Harter (Editions Tallandier, 2017)
(4) Bagatelle par Maurice Denuzière (Editions Jean-Claude Lattès, 1981)
(5) Versailles, une paix bâclée ? par Michel Launay (Editions Complexe, 1981)
(6) Extrait du catalogue de l'exposition "Picasso cubiste" au musée Picasso (Paris), septembre 2007-janvier 2008.