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Faire connaître la Louisiane et les Catalognes : Lieux, histoire et événements.

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Walter Benjamin de Berlin à Portbou : un si long chemin (2/3)

En 1920, après un exil en Suisse afin d'échapper à l'enrôlement militaire, Walter Benjamin, son épouse et leur fils, regagnent Berlin. Sans argent et sans emploi, ils sont obligés d'aller vivre chez le père de Walter.

Le Berlin de 1920 est une ville en proie aux émeutes. Afin d'y échapper, le gouvernement s'est transporté à Weimar et le 11 août 1919 est promulguée la Constitution de Weimar, acte de naissance de la République éponyme. Mais la République est malmenée, l'instabilité ministérielle va bon train et les assassinats politiques se succèdent. Sont ainsi tués Matthias Erzberger (en août 1921), signataire de l'armistice du 11 novembre 1918 et ministre des Finances de 1919 à 1920, et Walter Rathenau (en juin 1922), ministre de la Reconstruction puis ministre des Affaires Etrangères. En tant que ministre de la Reconstruction, il avait négocié à Wiesbaden en octobre 1921 avec Louis Loucheur, ministre français des Régions libérées, un accord "qui tentait de faciliter le paiement d'une partie des réparations par des livraisons en nature grâce auxquelles les sinistrés français pourraient se procurer directement en Allemagne les produits dont ils avaient besoin pour restaurer leurs biens". (1)

Berlin, cette ville condamnée à un perpétuel devenir sans existence propre selon Karl Scheffler, n'est plus la capitale de l'Allemagne mais l'une des capitales de l'avant-garde des arts et de la culture occidentale. Le "Grand Berlin" créé en 1920 est une agglomération de 4 millions d'habitants qui s'étend sur 880 km2. 

Berlin est la ville de la vitesse, du plaisir, de la consommation. Comme dans le film de Walter Ruttmann Berlin, symphonie d'une grande ville (1927), on voit une ville se réveiller par une belle matinée de printemps. Un train part, un autre entre en gare et le film se termine par des plans montrant des boulevards à la nuit tombée et par un magnifique feu d'artifice. Boulevards dont le Kurfürstendamm qui, sur ses trois kilomètres 1/2 de long, est bordé de commerces, de restaurants, de boîtes de nuit et de salles de cinéma dont l'une compte mille sept cent quarante places. Dans certains cafés, on y croise Bertold Brecht, Heinrich Zille (le photographe des humbles et des pauvres), Heinrich Mann, Otto Dix, Fritz Lang. Dans le domaine de la communication, on échange jusqu'à cinq cent mille appels téléphoniques par jour et cent quarante-sept différents journaux paraissent quotidiennement dont beaucoup ont plusieurs éditions chaque jour. Dans le domaine des loisirs, Berlin compte environ trois cent soixante salles de cinéma où l'on peut voir Le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene (1920), Nosfératu de Friedrich W. Murnau (1922), Le Cabinet des figures de cire de Paul Leni (1924), Métropolis de Fritz Lang (1927). "Au temps du muet et jusqu'en 1933, l'Allemagne s'impose comme la grande rivale des Etats-Unis par les innovations de ses studios, les qualités plastiques et techniques de ses films." (2) Berlin compte aussi cinquante théâtres, trois opéras, une centaines de cabarets dont l'Eldorado, établissement "gay friendly" situé au 24 de la Kantstrasse (il y aura plusieurs cabarets Eldorado à Berlin durant les années 20). Car les années 20 berlinoises, c'est l'époque du rejet de la pudibonderie qui prévalait sous l'Empire. On lutte pour la reconnaissance de l'homosexualité, pour le droit à l'avortement, pour la libération de la Femme (les femmes obtiennent le droit de vote dès 1918). Mais Berlin est aussi une ville laborieuse. Un million d'ouvriers travaillent dans la chimie, l'électricité, les machines-outils, la confection, l'automobile. Un tiers des actifs sont des femmes. Ces ouvriers vivent dans des logements insalubres dans des conditions épouvantables. Heinrich Zille dira : "On peut tuer un homme avec un logement aussi facilement qu'avec une hache." Dans le centre de Berlin, Alexanderplatz est avec ses commerces et ses estaminets le refuge de la classe ouvrière. C'est aussi le titre d'un roman de Alfred Döblin (paru en 1929) qui sera porté à l'écran deux ans plus tard. Ce roman, Walter Benjamin en fera une critique dans La crise du roman en 1930 : "Qu'est-ce que l'Alexanderplartz à Berlin ? C'est l'endroit où, depuis deux ans, les changements sont les plus violents, où les excavateurs et les moutons fonctionnent sans relâche, où le sol tremble sous leurs coups et sous les colonnes de bus et de métros, où les entrailles de la métropole, les arrière-cours se sont ouvertes plus profondément qu'ailleurs autour de la Georgenkirchplatz et où, plus calmes qu'ailleurs, dans les labyrinthes intacts autour de la Marsiliusstrasse (où les secrétaires de la police des étrangers sont enfermés dans un immeuble de rapport), autour de la Kaiserstrasse (où les putains, le soir, suivent leur petit train-train), des quartiers datant des années 1880 ont été préservés." (3) Dans Berlin Alexanderplatz, Alfred Doblin écrit : "Vous souvient-il encore de Cheidemann, comme le 9 novembre 1918, depuis la fenêtre du Reichstag, il nous promettait la paix, le pain, la liberté ? (...) La loi de protection des locataires n'est qu'un bout de papier. Les loyers ne cessent d'augmenter. La classe moyenne active est jetée à la rue et par la même étranglée, les huissiers de justice font de juteuses récoltes."

Le Berlin des années 20 s'éteint avec la crise économique, le chômage, la misère. Depuis le putsch de Munich de 1923, le parti nazi gagne des voix et des sièges au Reichstag. De quatorze députés entre 1924 et 1928, le NSDAP passe à 107 députés en 1930 et 230 en 1932. 75% des députés de ce parti sont des anciens combattants. Le 20 février 1931, un retraité de 72 ans tire à trois reprises sur le député Wilhelm Külz dans les couloirs du Reichstag afin d'attirer l'attention sur la situation des petits retraités. Le 12 mai 1932, des députés et d'autres personnes extérieures au Reichstag frappent un journaliste dans le restaurant de l'Assemblée car il avait publié des lettres prouvant l'homosexualité du chef de la S.A., Ernst Röhm. En juillet 1932, le gouvernement du chancelier Von Papen ordonne que les lieux nocturnes dits "dépravés" de Berlin ferment à 22 heures. En décembre 1932, des députés du NSDAP molestent le groupe communiste dans les couloirs de l'Assemblée avec des matraques. Beaucoup sont blessés. Le 30 janvier 1933, un nouveau chancelier est appelé à la Wilhelmstrasse en remplacement de Von Schleicher. "Est-ce que vous savez qu'Hitler est au pouvoir ? dis-je à mon chauffeur de taxi. Sans se retourner, il dit tranquillement : "Mais oui, mais oui, c'est sur le journal !" Curieusement d'ailleurs ! car le journal le Temps écrit : "Il est bien possible qu'Hitler échoue très rapidement, et que sa réputation de faiseur de miracle s'évanouisse !" (4) 

Walter Benjamin quittera définitivement l'Allemagne en mars 1933.                    

(1) La fin d'un monde 1914-1929 par Philippe Bernard (Editions du Seuil, 1975)

(2) Larousse du Cinéma sous la direction de Laurent Delmas et Jean-Claude Lamy (Larousse, 2005)

(3) Extrait de La crise du roman par Walter Benjamin (Œuvres II, Editions Gallimard, 2000)     

(4) Vingt ans de suspense diplomatique par Geneviève Tabouis (Editions Albin Michel, 1958)

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Walter Benjamin (1892-1940)

Walter Benjamin (1892-1940)

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