Faire connaître la Louisiane et les Catalognes : Lieux, histoire et événements.
Novembre 1918, la liesse passée, il fallait bien reprendre ses activités quotidiennes. On dit communément que quand le bâtiment va, tout va. La construction d'immeubles, bien que n'ayant pas vraiment cessé pour cause de guerre, reprendra de plus belle à partir de 1920 et Perpignan ne cessera alors de s'embellir et de s'étendre. Je ne citerai comme exemples que les immeubles édifiés par l'architecte Raoul Castan, l'un au coin de la rue de l'Argenterie et des Trois Journées (1920), l'autre au 12 boulevard Wilson (1923) et celui dessiné par Henry Sicart au 13bis rue Jeanne d'Arc (1922). 1925 est l'année de la construction de la Maison Rouge (41 rue Rabelais), toujours par le même Raoul Castan, sur une partie de l'ancienne enceinte médiévale, bâtiment qui deviendra la maison-atelier du peintre Louis Bausil. Cette année 1925 verra naître des projets ambitieux un peu partout en France. Pour Paris, l'architecte suisse Charles-Edouard Jeanneret alias Le Corbusier imaginera une rive droite de la Seine, face à l'île de la Cité, faite de gratte-ciel de bureaux et d'appartements de soixante étages, ceci pour aérer la ville, les immeubles n'occupant que 15% du sol, le reste étant dévolu aux espaces verts et sportifs. Démolie l'église Saint-Germain l'Auxerrois comme cela avait déjà été envisagé en 1838 afin de prolonger l'actuelle avenue Victoria jusqu'au Louvre; à terre les magasins de la Samaritaine, la Tour Saint-Jacques - ancien clocher de l'église Saint-Jacques-la-Boucherie jusqu'à la démolition de cette dernière en 1797 -, et l'église Saint-Merri qui, au milieu des gratte-ciel, aurait été aussi petite et discrète que certaines églises orthodoxes dans la Bucarest sous l'ère communiste. C'était le "Plan Voisin" qui ne sera pas réalisé. Pour Perpignan, l'architecte et urbaniste Adolphe Dervaux - concepteur de la gare de Rouen et de la Chambre de commerce de Sète - dessinera un nouveau plan avec de larges avenues et de grands carrefours dont l'actuel rond-point des Baléares qu'il imaginait gigantesque et d'où auraient rayonné quatorze rues et boulevards de ceinture - de la place de l'Etoile à Paris ne rayonnent que douze avenues ! - mais c'est surtout pour le quartier du Vernet que l'architecte avait de grands projets avec la construction d'un stade le long de l'avenue Joffre (mais sur sa rive gauche alors que le stade Aimé Giral inauguré dans les années 1940 est sur sa rive droite), un nouvel hôpital donnant sur l'actuelle place de Lancaster, un marché de gros qui quitterait les abords de l'avenue de la Pépinière pour l'emplacement des actuelles HLM Torcatis, etc. Ces projets ne seront pas réalisés hormis l'hôpital civil qui quittera bien les bords de la Basse en 1939 pour laisser place à la poste centrale (que l'on voudrait maintenant transformer en maison de retraite) et s'installer le long de l'avenue du Languedoc et le marché de gros qui quittera le centre ville mais pour s'installer plus loin encore, à Saint-Charles. Par contre, les ponts imaginés par l'architecte pour désengorger la ville seront bien réalisés : le pont Arago aboutissant sur le cours Lazare Escarguel en provenance de Narbonne sera jeté sur la Têt en 1976 et le "Quatrième Pont" qui joint la rue des Coquelicots à l'avenue Emile Roudayre verra le jour mais seulement dans les années 1990. Et sous ces ponts la Têt continue de couler avec ses petits et grands débits qui retiennent sans cesse toute l'attention de Météo France. J'ai déjà parlé dans un chapitre précédent des crues de la Têt et du Tech subies par la population des Pyrénées-Orientales au cours des siècles passés. En octobre 2018 (encore et toujours en octobre !), de fortes précipitations sur des sols déjà très humides faisaient craindre le pire. "Sur Perpignan, (...) les épisodes se sont répétés déjà trois fois avec à la clé, plus de 300 mm de cumul alors que la moyenne des précipitations est de 70 mm sur un mois d'octobre". (1) Le 17 octobre, on relevait sous le pont Joffre un niveau égal à 0,66 m alors que lors de la crue du 10 octobre 2010, le niveau de la Têt à cet endroit était de 1,40 m. La voie sur berge permettant aux automobilistes d'aller de Canet au Soler sans passer par le centre ville sera inondée pendant un jour ou deux. Pas de panique donc pour cette fois !
En 1914, la France (le reste du monde aussi) quittait le 19ème siècle et la Belle Epoque ; en 1918, elle entrait dans le 20ème siècle et dans les Années folles. Y a-t-il eu des gens pour dire que c'était mieux avant ? Parents, ne dites jamais à vos enfants que c'était mieux avant parce qu'entendre cette phrase ne leur donnerait certainement pas confiance en l'avenir. J'entends souvent des gens dire que c'était mieux avant. Cette réflexion me laisse pantois et pourtant il faudra bien que j'en dise ici quelque chose avant de clore ce chapitre et cette histoire de Perpignan durant la Première Guerre mondiale. C'était mieux avant ! Mais avant quoi ? et avant quand ? Interrogé sur la Belle Epoque, Jean Cocteau (qui était né en 1889 et qui avait donc 25 ans en 1914) répondit : "Je me demande pourquoi on l'appelle la Belle Epoque. C'était une époque épouvantable." Et d'énumérer des événements qui ne donnent pas envie de l'avoir connue : "... l'incendie du Bazar de la Charité; (...) ce sont les Boers; les premiers camps de concentration; (...) c'est l'affaire Dreyfus, la France déchirée..." (2) La génération dont je suis issu (je ne dirai ni "ma" génération parce qu'elle n'est pas mienne, et je ne dirai pas non plus "de mon temps" parce que le temps est volatile et que je n'ai pas voulu ou pu le retenir et que par conséquent il ne m'appartient pas) n'a pas connu de guerre sur le sol européen fors - hélas! - quelques conflits civils, en Irlande du Nord et en Yougoslavie. Elle a connu la chute de dictatures, en Espagne, au Portugal, en Grèce, dans les années 1970, puis dans les années 1980, la fin des démocraties populaires. On ne peut que s'en féliciter. Je ne vois donc pas comment cela pouvait être mieux avant. Ceux qui disent que c'était mieux avant (avant quand, je ne le sais toujours pas!), avancent comme arguments que c'était plus facile pour trouver du travail que maintenant, plus facile pour se loger que maintenant, que le coût de la vie était moins élevé que "dans le temps", etc. Ces gens-là ont la mémoire courte. Ou ils ont tout oublié. J'imagine des hommes - avec de l'embonpoint si possible - réunis autour d'une table de jeu, suçant leur cigare, se remémorant leur passé glorieux, parlant du bon vieux temps en général et du service militaire en particulier avec moult anecdotes grivoises - cela va de soi - vanter le passé et maugréer contre le présent. Tout allait pour le mieux avant dans le meilleur des mondes. Pourtant, des gens qui comptaient pour ne pas connaître des fins de mois difficiles, il y en avait déjà il y a cinquante ans. Quand j'ai voulu être autonome et gagner un peu de sous, j'eus bien du mal à me frayer un chemin sur le marché du travail. On ne trouvait pas, en 1983, du travail en traversant simplement la rue (pas comme en 2019!). Il fallait éplucher les annonces des journaux, téléphoner, envoyer des CV et autres lettres de motivation et souvent entendre des "on vous écrira". Le profil (quel drôle de mot mais il y en a d'autres comme "chasseur de têtes") ne correspondait jamais au poste proposé et grande était la déception à la lecture des lettres de refus, quand toutefois l'employeur daignait vous répondre. Quant à se loger ! Quand je vois les files d'attente de locataires potentiels et désireux de l'être dans les escaliers d'immeubles que l'on montre à la télé, je repense toujours à Florence (une collègue de travail dont j'ai changé le prénom) qui venant de la Nièvre n'arrivait pas à trouver un logement, même exigu, à Paris en 1984. "Alors Florence, lui demandait la cheffe (à ce moment-là on écrivait "cheffe"?) de bureau, comment s'est passé votre visite hier?" Elle répondait - et cela dura pendant des semaines voire des mois jusqu'à ce que ses parents décident finalement d'investir dans un studio -, qu'il y avait au moins cinquante personnes qui attendaient pour visiter le bien qu'elle aurait aimé occuper. Je ne blâme pas la décennie 80 comme je ne blâme celle des années 2010, C'était mieux avant, disent-ils. Peut-être parce qu'ils avaient 20 ans, la vie devant soi, beaucoup de projets en tête et que la retraite, ils la voyaient loin, loin, loin et à taux plein. Ils ont oublié la chanson que Pierre Perret chantait en 1968 devant un public hilare qui vivait non ses années folles mais ses trente glorieuses et qui ne pensait pas plus loin que le bout de sa joie ; une chanson qui disait quelque chose comme "sa taille est plus mince que la retraite des vieux..." C'était mieux avant! Il est certain qu'il est facile de louer le passé et de craindre l'avenir qui lui est incertain. J'en ai connu qui n'ont pas eu le loisir de penser à l'avenir. Dans les années 1980 et 90, j'en ai vu des collègues tomber comme des mouches et ce n'était, croyez moi, ni à cause de la guerre ni de la grippe espagnole. Je ne voudrais revivre ces années ni pour un coffre-fort empli de pièces d'or ni pour croire quelques secondes que je pourrais rajeunir de vingt-cinq ans. Auriez-vous aimé vivre au 14ème siècle pendant la grande peste ? Au 16ème siècle pendant les guerres de religion ? Au 18ème siècle pendant la Terreur ? Connaître les tranchées, les rats, la boue de la guerre de 14 ? Non, répondrez-vous car de toute façon vous n'étiez pas nés lors de ces événements. Le passé, je l'ai connu; je préfère me tourner vers l'avenir, cela me semble plus excitant. Soit on rebondit, soit on se morfond. A chacun de choisir sa voie.
Et la Têt, que pense-t-elle de tout ça ?
(1) Extrait d'un article de L'Indépendant des Pyrénées-Orientales daté du 18 octobre 2018.
(2) Jean Cocteau Portrait souvenir, entretien avec Roger Stéphane (RTF et Librairie Jules Tallandier, 1964)