Faire connaître la Louisiane et les Catalognes : Lieux, histoire et événements.
"S'étonner est un des plus sûrs moyens de ne pas vieillir trop vite." Colette
Alors que je passais récemment quelques jours chez des amis en Angleterre et que je furetais dans la bibliothèque du salon, j'avais feuilleté un ouvrage à la couverture rouge sur laquelle de grandes lettres noires imprimées dans le sens de la hauteur disaient "The Fallen" - ceux qui sont tombés -, ouvrage qui était en fait le catalogue d'une exposition qui avait eu lieu au Museum Of Modern art d'Oxford en 1988. Cette exposition organisée pour commémorer le 70ème anniversaire de l'armistice de 1918 rendait hommage à neuf artistes, peintres et sculpteurs, qui étaient décédés durant la Première guerre mondiale : Geoffroy S. Allfree, Henri Gaudier-Brzeska, Raymond Duchamp-Villon, Vladimir Burliuk, Wilhelm Morgner, Hermann Stenner, Albert Weisberger, Franc Marc et August Macke. Je n'avais alors jamais entendu parler de Marc et de Macke et leur histoire me bouleversa. En France, on ne connaît la Première guerre mondiale que côté français (même si beaucoup ont lu Im Westen nichts Neues - "A l'Ouest, rien de nouveau" - de Erich Maria Remarque paru en 1929), rarement côté allemand. Et là, par la lecture de cet ouvrage, j'apprenais - je dirais abruptement - que deux peintres allemands appartenant au mouvement artistique "Der Blaue Reiter" (Le Cavalier bleu) étaient morts à la guerre de 14, comme on l'appelle communément, morts sous les balles françaises après avoir été en relation amicale avec des artistes français au cours de plusieurs séjours à Paris ou de séjours d'artistes français en Allemagne entre 1900 et 1910. Depuis 1988 (mais je n'en savais rien), d'autres expositions à travers l'Europe ont montré des oeuvres de Franc et de Macke, notamment celle, en 2006, présentée au musée de l'Annonciade de St-Tropez jusqu'à celle, plus récemment, au musée de l'Orangerie à Paris. Je voulais en savoir plus...
Au cours de l'année 1908, Franz Marc et August Macke reproduisent au crayon sur des carnets de croquis la statue qui après avoir reçu différentes appellations sera désignée comme La Méditerranée d'Aristide Maillol, statue qu'ils ont vue dans diverses revues artistiques allemandes accompagnée d'un commentaire élogieux de Maurice Denis. Le sculpteur natif de Banyuls-sur-Mer est connu en Allemagne depuis qu'il a exposé au Salon d'automne de 1904 - l'historien d'art Julius Meier-Graefe parle de Maillol dans son ouvrage sur l'art moderne intitulé Entwicklungsgeschichte der modern Kunst publié à cette époque, livre qui donnera envie à Sonia Delaunay d'aller vivre au pays du Déjeuner des canotiers et du Bal du Moulin de la Galette - et que son mécène est depuis peu le comte Harry Kessler, directeur du musée grand-ducal de Weimar, avec qui il voyagera en Grèce au printemps de l'année 1908. La Méditerranée, statue sur laquelle Maillol travaillait lorsque les peintres Henri Matisse et Etienne Terrus lui rendirent visite en mai 1905 dans son mas appelé "La Métairie" qui surplombait la côte rocheuse du département des Pyrénées-Orientales, les vignes et quelques orris, et que l'on pouvait atteindre sans difficulté les jours où il n'y avait pas de vent, représente une femme nue assise, la jambe gauche repliée sur la poitrine et le coude gauche appuyé sur le genou - une copie se trouve dans le patio de l'hôtel de ville de Perpignan, voir photo ci-dessous - reçut de mauvaises critiques de la part du public mais les éloges d'André Gide dans un article publié dans la Gazette des Beaux-Arts en novembre 1905. Selon l'auteur de Paludes, "Maillol parle avec verve, gentillesse et innocence. Il a l'air d'un Assyrien de Toulouse". (1) "Alors que tant de sculpteurs modernes croient égaler les anciens en les plagiant, Maillol, lui, est si naturellement dans la lignée des maîtres qu'en le voyant dégager sa forme, je pensai à un Grec", dira Auguste Renoir. (2) Maurice Denis complète ces dires lorsqu'il écrit : "Si Maillol approche parfois des Grecs du temps de Phidias, ce n'est pas qu'il les comprenne (...), ou qu'il les copie, c'est qu'il sent directement comme eux et que leur perfection est sienne." (3) Tandis que, en cette année 1908, les deux peintres allemands dessinent La Méditerranée, sculpture belle, rêveuse et silencieuse, un brin mélancolique, ils ne se connaissent pas encore, ne se sont jamais rencontrés.
Franz Marc a vu le jour en février 1880 à Munich (Bavière). August Macke est né en janvier 1887 à Meschede (Rhénanie-Westphalie). Tous deux suivent les cours de différentes écoles de beaux arts en Allemagne puis voyagent en Europe : France, Pays-Bas, Suisse, Italie, Grèce. A Paris, où il se rend pour la première fois, Franz Marc, qui a 23 ans, visite le Louvre et admire les toiles des impressionnistes. Le musée du Louvre, actuellement le plus grand musée du monde, qui fut ouvert au public en 1793, venait de s'enrichir des collections privées de Boucicaut (1889) et de la famille de Rothschild (1902). Les impressionnistes étaient eux exposés au musée du Luxembourg, bâtiment construit en 1884 au 19 de l'avenue de Vaugirard et qui de nos jours propose des expositions temporaires de grande qualité. Le mouvement pictural dit impressionniste est né dans les années 1870 après que Claude Monet eût exposé en mai 1874 une toile intitulée Impression, soleil levant parmi d'autres toiles - de Renoir, Cézanne, Berthe Morisot et Pissarro entres autres - dans les ateliers du photographe Félix Tournachon alias Nadar, sis au dernier étage du 35 boulevard des Capucines (Paris 2ème) où le maître de céans recevait, dit-on, ses visiteurs habillé d'une vareuse en laine rouge assortie à la couleur du vestibule. C'était la première exposition impressionniste et il y en aura d'autres jusqu'en 1886. Ce terme d'impressionnisme, d'abord péjoratif fera ensuite florès. Lorsque Franz Marc séjourne à Paris en 1903, Cézanne, Renoir et Monet sont toujours vifs. Cézanne vivait alors à Aix-en-Provence où il mourra trois ans plus tard, Renoir habitait au 64 de la rue La Rochefoucauld (Paris 9è) et Monet, dans le jardin de sa maison de Giverny, peignait ses Nymphéas. Franz Marc séjournera de nouveau à Paris en 1907, l'année même où August Macke descendra, pour son premier séjour dans la capitale française, à l'hôtel de Bade situé au 51 boulevard de Strasbourg, c'est-à-dire à deux pas de la gare de l'Est. (Le bâtiment démoli depuis a fait place à un immeuble de bureaux.) Le boulevard de Strasbourg et quelques rues adjacentes formaient à l'époque un petit quartier où il faisait bon s'amuser. Salles de concerts et cabarets y étaient nombreux. Mais Macke, qui venait de quitter l'Académie des beaux-arts de Düsseldorf pour espérer ne vivre que de son art, n'était pas dans le Paris de 1907 que pour profiter des spectacles sinon aussi pour visiter quelques musées et expositions rendant hommage à Cézanne, l'une montrant près de quatre-vingts aquarelles à la galerie Berheim-Jeune, l'autre quarante-huit toiles au Salon d'automne. Lors d'un deuxième séjour à Paris en 1908, Macke fera le tour des galeries.
Avant la Première guerre mondiale, les galeries étaient principalement situées rue Laffitte dans le 9è arrondissement. Ne les cherchez pas maintenant, les immeubles ayant été tous démolis, remplacés par des constructions abritant des banques et autres compagnies d'assurances. Le percement du boulevard Haussmann à hauteur du carrefour Richelieu-Drouot fera aussi disparaître quelques constructions. A l'emplacement de l'actuel 15bis de la rue Laffitte, naquit le futur Napoléon III. Jacques Offenbach, dont on célèbre cette année le bicentenaire de la naissance aussi bien à Cologne qu'à Paris, habita à l'emplacement du n°11. On y comptait à l'époque près d'une vingtaine de galeries de marchands de tableaux. Au n°6, était la galerie d'Ambroise Vollard, au 7bis celle de Félix Gérard Fils, au n°9 celle de Georges Bernheim, au n°13 celle de Hessèle, au n°16 celle de Paul Durand-Ruel, au n°36 celle de Gustave Tempelaere... Que de souvenirs oubliés ou enfouis comme ces dîners que le marchand Ambroise Vollard organisaient dans la cave de sa galerie et où se régalèrent Cézanne, Renoir, Degas, Odilon Redon, le comte Kessler, Apollinaire et bien d'autres convives. Une toile de Pierre Bonnard a immortalisé un de ces dîners. August Macke séjourne de nouveau à Paris en 1909. Pendant ce temps à Munich, Franz Marc participe à l'organisation d'une grande rétrospective sur Van Gogh.
(1) Journal d'André Gide (Editions Gallimard, 1951)
(2) Paroles de Auguste Renoir rapportées par Ambroise Vollard dans Souvenirs d'un marchand de tableaux (Editions Albin Michel et Les Libraires Associés, Paris 1957)
(3) Extrait du catalogue de l'exposition "Chefs-d'oeuvre des collections suisses de Manet à Picasso" qui eut lieu à l'Orangerie des Tuileries (Paris) en 1967.