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Faire connaître la Louisiane et les Catalognes : Lieux, histoire et événements.

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Par où tout avait commencé

 

                                                                  

                                                                      II

 

 

Un matin, alors qu'il prenait son petit-déjeuner avant de partir pour le collège - en ce temps-là, la radio chantait souvent Les Volets clos par la voix de Nicoletta -, son père lui avait dit : "Tu feras ton service militaire plus tard !" Il devait avoir douze ou treize ans. "Tu apprendras le maniement des armes, etc." Il avait murmuré que cela ne l'intéresserait pas. Alors que sur la surface du globe, armées, juntes et généraux faisaient la une des journaux, via la guerre de Kippour, un coup d'Etat au Chili et autres guérillas tropicales oubliées, le service militaire était souvent au programme de la salle du cinéma de son quartier, le cinéma Les Tourelles, 259 avenue Gambetta, transformé depuis belle lurette en supérette, tout comme d'autres cinémas du 20ème arrondissement, à l'exception du Mambo (au numéro 105 de la dite avenue) passé à la trappe pour permettre l'agrandissement de la cour de l'école primaire contiguë. Avec ses parents, il y avait vu Les Bidasses en folie, un film de Claude Zidi où les appelés, sous le commandement d'officiers impuissants à faire régner l'ordre, sont gaffeurs, maladroits et paresseux, et Le Pistonné de Claude Berri, où celui qui est jugé trop instruit parce qu'il sait parler une langue étrangère est rabaissé, dénigré et forcément de corvée de chiottes. Le répertoire de la variété française n'était pas en reste. C'était l'époque où Michel Sardou faisait rimer sergent avec folle du régiment et Maxime Le Forestier, parachutiste avec fasciste. Au collège, sa préoccupation était autre. Et puis il avait, se disait-il, dix ou onze ans devant lui ; toute une éternité. Non, les casernes, les fusils, les grades et les gradés ne l'intéressaient pas. Il y avait selon lui un plus beau combat à mener, un combat beaucoup plus important, beaucoup plus juste, beaucoup plus visionnaire : le combat contre la pollution. Aux chansons antimilitaristes entendues à la radio ou censurées par le pouvoir, il préférait les chansons sur un thème écolo, comme celle de Michel Fugain qui se promène dans une ville enfin belle sans ces putain de camions. Mais la chanson qui savait lui arracher des larmes était celle de Jacques Dutronc qui défendait l'existence d'un petit jardin du côté de la Chaussée d'Antin et qui disparaîtrait, la fin de l'histoire était - hélas ! - connue d'avance, sous un immeuble de grande hauteur et un parking souterrain qui sentirait le gasoil. Au collège, la professeure de sciences naturelles, madame Etienne, avait fait acheter à toute la classe un numéro spécial du Nouvel Observateur dont la couverture montrait des arbres décharnés bientôt sur le point de crever dans un décor lunaire barrée de ce titre : "Spécial écologie - La dernière chance de la Terre." Pendant les cours, chaque élève devait lire à voix haute les articles signés par Théodore Monod, Edgar Morin, Franz-Olivier Giesbert et bien d'autres célébrités - que lui ne connaissait pas - et les prédictions d'agriculteurs qui pensaient qu'au tournant du 21ème siècle, les oiseaux et les insectes auraient totalement disparu de la surface du globe. A un moment où l'on prédisait la fin du monde pour l'an 2000 - sa grand-mère horrifiée ne cessait de répéter que "quarante ans c'est bien jeune pour mourir" -, alors que le choc pétrolier avait entraîné dans certains pays l'interdiction de circuler sur les autoroutes le dimanche, alors que certains voulaient la fin des vêtements qui ne durent qu'une saison, la fin des emballages jetables et la fin de la consommation quotidienne de viande, alors que l'on prévoyait pour 2020 l'épuisement des matières premières, alors que l'on souhaitait que cessent ces embouteillages quotidiens où les voitures à la queue leu leu ne transportent qu'une seule personne, il pensait qu'il fallait agir contre la pollution. Après avoir entendu la professeure dire qu'elle passait toutes ses vacances en Suède parce que c'était le pays de la petite reine et qu'elle avait crié au scandale après l'abattage d'un arbre devant son immeuble du 12ème arrondissement, il avait décidé de créer avec quelques camarades de classe un comité appelé "Les Oiseaux de la Terre" (nom avalisé par la directrice après avoir refusé "Mon hamster ego", trop mot d'esprit, et "Mésanges de la Terre", pas assez laïc) qui porterait à travers le collège la bonne parole écolo. Mais beaucoup ne le suivirent pas. Certains ne voyaient que par l'automobile, et contestaient qu'elle pût être la cause de l'égoïsme et de l'individualisme chez l'homo sapiens sapiens, tandis que d'autres disaient que les vapeurs d'essence seraient la fragrance du siècle à venir. Quelques-uns faisaient profil bas, leurs mères les déposaient quelquefois le matin devant le collège en voiture et encore plus souvent quand la RATP était en grève. Enfin la plupart ne voyait l'écologie que comme une matière de plus à coltiner et l'emploi du temps était déjà bien assez chargé comme ça. Il était donc resté quasiment le seul membre de ce comité introuvable. La place de la Concorde ne serait jamais un jardin public comme sur la photo d'une pub pour une marque de jeans. Comme l'a écrit Malaparte, "la campagne est aussi loin de la place de la Concorde qu'elle l'était de Versailles". Il s'était cependant consolé en s'occupant des hamsters qui avaient été adoptés par la classe et qui derrière leurs barreaux de fer tournaient sans cesse dans leurs roues centripètes. Adieu donc le rêve d'un monde sans pollution et d'une ville, Paris, où, comme l'avait écrit un journaliste dans ce numéro spécial du Nouvel Observateur, il faudrait mettre fin au règne de la voiture individuelle et la remplacer par des transports en commun gratuits. La route vers un monde sans déchets visibles et malodorants serait encore bien longue. De toute façon, la destruction par un incendie volontaire du Collège d'Enseignement Secondaire un soir de février fera que les élèves seront dispersés dans des écoles primaires et autres établissements du 19ème arrondissement et qu'en définitive ils se perdront de vue. C'est la vision d'un bâtiment encore fumant avec ses salles éventrées et une cuvette de wc suspendue entre ciel et cendres qui lui resterait de cette époque pré-écologique. Puis madame Etienne prendra sa retraite et il n'en entendra plus parler jusqu'au jour où, quelques années plus tard, dans une émission littéraire hebdomadaire qui passait après le journal de 20 heures, il la vit faisant la promotion d'un roman qu'elle venait de publier et qui parlait d'un incident qui pouvait rappeler ce triste événement de ce soir du 6 février 1973.

- En tout cas, disait le présentateur, dans votre roman Une semaine de chance qui met en scène deux adolescents qui viennent de vivre un événement marquant...

- ... C'est le moins qu'on puisse dire !

- ... au cours duquel un de leurs camarades de classe a perdu la vie, il reste la confiance en l'avenir dans..., dans cette histoire.

- Je vais dire une banalité, répondit l'auteure, mais dans la vie rien n'est jamais fini. On peut se croire enfermé dans une cage de fer avec l'impression amère et angoissante que l'on ne pourra jamais plus avancer dans la vie, mais vous entreverrez toujours un passage étroit ou une brèche même infime qui vous permettra de vous en sortir. Ce qui est merveilleux dans la vie, c'est la capacité à pouvoir rebondir. 

- Il y a des gens cependant qui mettent fin à leurs jours ?

- J'ai trop confiance en l'avenir pour avoir envie de ça ! (elle eut un rire)

- Et pourtant à la page 66, vous dites... 

Il s'était déjà endormi sur le grand canapé gris du salon entre sa mère et le chat qui, oreilles dressées et pattes avant repliées sous le ventre, semblait ne pas perdre une miette de l'interview de l'ex-prof de sciences naturelles du C.E.S. Pailleron.  

 

A mille lieues des préoccupations atmosphériques, ce matin du 3 décembre 1981, il avait pris le train de 7 heures 47 pour Metz. Puis on l'avait emmené en camion dans une caserne où il avait déjeuné - à l'ordinaire - et où on lui avait remis quelques documents pour lui permettre de poursuivre son voyage jusqu'en Allemagne. Puis il avait pris un autre train. Arrivé à destination, il était monté dans un Berliet bâché de couleur vert olive, comme des dizaines d'autres garçons qu'il ne connaissait pas, et était arrivé par une nuit glaciale à sa destination finale, qui n'était autre qu'une caserne dont les toits et les allées étaient enneigés. Puis un caporal l'avait conduit lui et les autres jusqu'aux douches individuelles situées au sous-sol. L'eau chaude avait été ressentie comme un réconfort. A travers les minces cloisons qui séparaient chaque cabine de douche, il entendait des appelés gémir qu'ici c'était la galère, qu'ils étaient de la baise, qu'ici c'était le bagne, un camp disciplinaire quoi, etc. Le bienfait de l'eau chaude qui coulait sur ses épaules faisait oublier momentanément qu'il était arrivé par une nuit glaciale dans une caserne située dans une ville qu'il ne connaissait et dont il n'avait jamais entendu parler. Et l'eau coulait, coulait encore tandis que les autres s'obstinaient dans leurs jérémiades. Le bagne, la galère, voilà dans quoi ils se trouvaient depuis une heure et pour trois cent soixante-cinq jours encore. Mais le caporal, trouvant le temps long et sachant qu'il devait conduire les nouvelles recrues à l'ordinaire parce qu'il était presque 19 heures, s'était écrié : "Bon, on sdépêche ! C'est pas jme branle sous la douche !" Les garçons soudainement devenus silencieux avaient enfilé leur survêtement bleu de France, avaient chaussé les tennis légères qu'on leur avait données en même temps que les survêtements et s'étaient mis en rang pour aller prendre leur premier repas à l'ordinaire, cet ordinaire qui se trouvait dans un bâtiment proche de l'entrée de la caserne et auquel on accédait après avoir gravi huit marches. Voilà par où tout avait commencé. Et ce n'était pas près de finir, la galère, le bagne et autres péripéties. D'ailleurs, au pied de cet escalier de huit marches qui montait à l'ordinaire, le caporal avait bien fait comprendre à une nouvelle recrue que la quille, c'était pour dans un an. Dans un an. Mais comme le lui avaient répété ses grands-parents pour le réconforter : "Un an ça passe vite !"

 

                    

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