Faire connaître la Louisiane et les Catalognes : Lieux, histoire et événements.
1984, Jeux Olympiques de Los Angeles (Etats-Unis d'Amérique) : J'ai 23 ans et je travaille alors dans une agence de voyages sise rue de la Banque dans le 2ème arrondissement de Paris. Le cadre est agréable, galerie Vivienne à proximité, place des Victoires pas loin, jardins du Palais-Royal à deux pas. Une collègue arrive toute chiffonnée en ce lundi matin après un très long week-end de sorties nocturnes et tout ce qui va avec. La cheffe d'agence dont le nom de famille est aussi le nom dune capitale européenne, comme tous les lundis, lui demande : "Alors Mélodie, ce week-end ?" Et la collègue de répondre comme chaque lundi matin : "Vendredi soir nous sommes allés danser à Pougues-les-Eaux et samedi soir nous sommes allés à La Poutre." Entre deux, je veux dire entre le vendredi soir dansant et le samedi soir tout aussi endiablé, rien ! Pas de promenade avec les chiens dans la campagne nivernaise, pas de déjeuner en famille autour d'un gigot d'agneau piqué à l'ail, pas de visite d'un quelconque musée, d'un quelconque château. Rien que ces deux sorties en boîte pour le meilleur et comme nous le verrons plus loin, pour le pire. J'aurais dû me méfier ! Un collègue qui gratte des billets d'avion à la main près du fax qui n'arrête pas de cracher les demandes de réservations de clientes et clients qui veulent avoir leur part de soleil à Mallorca ou à Sfax exprime le désir de vivre un tel week-end dans ce beau pays de Loire, lui qui ne quitte jamais, le samedi et le dimanche, son studio en rez-de-chaussée de Vincennes. "Un jour il faudra que vous veniez", lance Mélodie à la cantonade. Avant d'ajouter : "On s'amusera bien !" Chiche. Rendez-vous est fixé pour le week-end des 28 et 29 juillet. Aucun de nous trois n'est de permanence à l'agence ce week-end-là.
Le vendredi en fin d'après-midi, la voiture de Mélodie (je ne sais plus de quelle marque elle était), immatriculée 58 quitte Paris en direction du Sud. Le Sud, ça fait penser aux vacances, au farniente, aux longues journées de repos sur les chaises longues sous les palmiers. Nevers n'est qu'à environ 250 kilomètres de Paris. Mélodie fait une pause à une bifurcation au nord de Briare et va avec mon collègue fumer une cigarette. Je reste à l'arrière de cette auto qui dans quelques minutes filera en direction de Cosne-sur-Loire avant La Charité-sur-Loire. Nous arrivons chez les parents de Mélodie vers 19 heures. Ils habitent à Sermoise-sur-Loire à quelques kilomètres au sud de Nevers. Les présentations faites, les parents se mettent à table. Nous, nous allons à Nevers et trouvons dans le centre-ville un camion qui vend sandwiches et frites. Le séjour n'est pas en pension complète, les parents de Mélodie ne nous inviterons pas à partager leurs repas. Vers 21 heures, Mélodie nous fait remonter en voiture, direction une boîte de nuit de Pougues-les-Eaux où elle a ses habitudes chaque vendredi soir. La boîte en question (dont le nom m'échappe pour le moment) sent le snobisme à plein nez. Les réseaux Y, Z, n'existent pas encore mais des filles se trémoussent devant un immense miroir, s'admirent, se plaisent. Miroir, mon beau miroir... ! Les garçons sont bien habillés, pantalons à pinces, chemises impeccablement repassées, mocassins à glands aux pieds. Je m'éloigne de la piste de danse (maintenant on dirait le dancefloor) pour aller prendre l'air. L'ambiance est détestable, à vomir. Le week-end commence bien, me dis-je. Je me demande ce que je fous là. Vers deux heures du matin, Mélodie, mon collègue et moi allons rejoindre des amis (que des garçons) de Mélodie chez l'un d'entre eux. Les boys ont déjà pas mal bu. Ils écoutent de la musique à donf, une de celle que je n'écoute jamais (question de goût) buvant à même le goulot, principalement de la bière. Deux garçons manquent de se foutre sur la gueule au prétexte que l'un des deux a tout payé, que c'est toujours lui qui paie (il s'agit donc d'une habitude et non d'un état de fait passager) et qu'il en a plus que ras-le-bol. Douce nuit ! Voulant sortir de ce cercle infernal, je cherche dans la maison un endroit calme où pouvoir dormir. Je repère une chambre (enfin un lit !), je ferme la porte à clef et vais m'allonger. Potron-minet, quelqu'un tambourine à la porte et s'exclame au moyen d'une bouche qui a ingurgité de l'alcool toute la nuit : "Mais il dort !" Je reconnais malgré tout la voix de mon collègue qui durant tout le week-end ne dormira que deux ou trois heures. La journée commence bien. Elle se poursuit d'ailleurs dans tous les bistros de la ville de Nevers. Mon collègue est largué. Pourtant habitué à picoler, il est dépassé et de loin par les Nivernais. Score : 20 à 0. Moi, je suis dans les choux, disqualifié, hors champ, me faisant mal voir. Je n'aime ni les boîtes de nuit ni les beuveries qui durent jusqu'au bout des étoiles. La nuit du samedi au dimanche se passe à La Poutre, boîte de nuit sise à Saint-Pierre-le-Moûtier à une vingtaine de kilomètres au sud de Nevers. Il est cinq heures, il faut rentrer, il est cinq heures et les boys sont loin de s'éveiller. La voiture est pleine, cinq personnes à bord, il fait encore nuit, les phares venant d'en face éblouissent le conducteur qui manque de nous transporter dans les décors. Nous arrivons enfin sains et saufs dans une autre maison pour poursuivre cette nuit cauchemardesque.
Le samedi après-midi ou le dimanche (ces deux jours se confondent dans une langueur interminable), les boys affalés sur des canapés et autres sofas regardent la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Los Angeles (28 juillet 1984). Ils la regardent sans la voir tout occupés qu'ils sont à déboucher bouteille après bouteille. Mon collègue est abattu, déprimé, mis à l'écart, moqué par les Nivernais qui lui en ont mis plein les yeux avec leur capacité à tenir encore debout après tant de verres ingurgités. La veille, mon collègue est sorti d'un bar en titubant pour aller se jeter la tête dans l'eau d'une des fontaines de la ville sous les quolibets des Nivernais. Etait-ce celle de la rue du 14-Juillet ou celle de la place Guy Coquille ? Je ne saurais le dire, n'ayant rien vu de Nevers, ni église, ni musée, ni château. Il va sans dire que lorsque j'ai vu le panneau Porte de la Chapelle et que ma collègue m'a déposé à proximité d'une bouche de métro, j'ai enfin respiré de joie et de soulagement.
Je n'ai donc rien vu de Nevers lors de ce week-end que j'aurais dû mettre aux oubliettes pour les siècles des siècles et je devrai attendre 1992 et la sortie du film Conte d'hiver d'Eric Rohmer pour enfin visiter Nevers. Un comble ! Je ne peux revoir ce film sans penser à ce week-end affreux. Au mitan des années 1990, alors que je roulais en direction de Paris venant de Perpignan, après Moulins, je passai à Saint-Pierre-le-Moûtiers. Je vis tout d'un coup comme sorti des ténèbres le bâtiment qui avait abrité La Poutre. Le bâtiment était ruiné. L'établissement avait-il fermé pour cause de faillite puis laissé à l'abandon ? Incendie ? Destruction volontaire ? Le chapitre de ce week-end maudit se refermait définitivement.