Faire connaître la Louisiane et les Catalognes : Lieux, histoire et événements.
Promenade dans les rues de Paris et de Barcelone
Regards croisés sur trois expositions :
La place de Catalogne, immense espace aménagé dans les années 1920 au nord des Ramblas et du quartier gothique, bordé de grands magasins et de banques, et celle de Paris, dans le 14ème arrondissement, derrière la gare Montparnasse, conçue sur une partie des rues du Château et Vercingétorix et entourée de bâtiments imaginés par l'architecte catalan Ricardo Bofill (décédé en 2022) pourraient être les points de départ de notre balade au pays des artistes catalans qui ont vécu, travaillé et exposé des deux côtés des Pyrénées. Deux places homonymes pour un voyage dans l'univers artistique catalan de la fin du 19ème siècle aux années 1930.
Les autocars, qu'ils viennent de Paris, Lyon, Milan ou Florence, terminent tous leurs courses à la Estació del Nord au sud de ce vaste quartier qui reliant la place de Catalogne au quartier de Gràcia (rattaché à Barcelone en 1897) a reçu pour nom Eixample (élargissement, agrandissement en catalan). Quand on sort de la gare du Nord, construite dans les années 1860 et remaniée dans les années 1910 (pour la façade et sa grande verrière), on arrive sur la plaça d'André Malraux et on peut, soit y prendre le métro, soit se diriger à pied vers le centre historique de Barcelone en passant devant l'Arc de Triomf (vestige de l'Exposition universelle de 1888) puis en empruntant la carrer (rue) de Trafalgar (bonapartistes s'abstenir !) et la plaça d'Antoni Maura (homme politique décédé en 1925, grand-père maternel de l'écrivain Jorge Semprún). A quelques pas de là, le Museu Picasso, inauguré le 9 mars 1963 dans des bâtiments d'époque médiévale, présente un vaste panorama de l'oeuvre du peintre de Málaga, de ses débuts alors qu'il était encore étudiant à l'Ecole des Beaux-Arts de la Llotja jusqu'aux années 1960. Son premier séjour à Paris eut lieu en septembre 1900. Deux expositions récemment proposées aux visiteurs à Barcelone (et antérieurement visibles en France) Fernande Olivier, Pablo Picasso i els seus amics (du 7 juin au 6 octobre) au Museu Picasso et Suzanne Valadon, una epopeia moderna (jusqu'au 1er septembre) au MNAC ont fait revivre le Paris de la première moitié du 20ème siècle, comme deux autres le font revivre actuellement, l'une au Museu Picasso avec l'exposition De Montmartre a Montparnasse. Artistes catalans a París, 1889-1914 jusqu'au 30 mars 2025, l'autre à la Fundació Joan Miró avec MiróMatisse. Més enllà de les imatges jusqu'au 9 février 2025. Toutes ces expositions ont fait et font revivre le Paris des avant-gardes : Montparnasse, ses cafés-restaurants, La Rotonde, Le Dôme, La Coupole, l'établissement Lavenue, Le Sélect Bar, La Closerie des Lilas, rue Campagne-Première, Amedeo Modigliani, Othon Friesz, rue d'Assas, Chana Orloff, Zadkine, place Pablo Picasso, Max Jacob, André Salmon, La Ruche, Chagall, Jean Arp, Fernand Léger ; Montmartre, les bals du Moulin Rouge, Toulouse-Lautrec, Suzanne Valadon et du Moulin de la Galette, Auguste Renoir, Vincent Van Gogh, le restaurant Le Père Lathuile, Edouard Manet, les cabarets, Le Chat Noir, Le Ciel, L'Enfer, La Fin du Monde, Le Néant, la Taverne des Truands, Le Lapin Agile, Frédé, Aristide Bruant, la rue Ravignan, Max Jacob, le Bateau-Lavoir, Picasso et tous les peintres catalans qui ont vécu à Paris entre 1889 et 1914.
A quelques pas de la plaça de Sant Jaume où s'élèvent de part et d'autre l'Ajuntament (hôtel de ville) et le Palau de la Generalitat (siège du pouvoir exécutif de la région de Catalogne), un passage conçu dans les années 1870 dénommé passatge del Crèdit, vit naître le peintre Joan Miró en 1893. Inscrit au Cercle artistique de Sant Lluc (où se trouve actuellement le restaurant et salon de thé 4 Gats où Picasso a exposé pour la première fois en février 1900), le jeune Miró visita en 1912 l'Exposició d'art cubista à la galerie Dalmau (Portaferrissa, 18) où étaient exposés des Gleizes, des Gris, des Léger, des Metzinger et le Nu descendant un escalier de Marcel Duchamp. C'est l'époque où il dessinait des paysages, des natures mortes, des nus. Entre le 23 avril et le 1er juillet 1917, alors que Paris présentait peu d'expositions pour cause de guerre mondiale, Barcelone organisait en son Palais des Beaux-Arts une grande Exposició d'Art francès qui regroupait plus de 1 400 oeuvres de peintres aussi différents que Monet, Courbet, Puvis de Chavannes, Gauguin, Cézanne, Bonnard, Matisse. Le galeriste Ambroise Vollard y prononça deux conférences sur Renoir et Picasso. C'est à cette occasion que Miró découvrit la peinture de Matisse. Dalmau donna sa chance à Miró en lui consacrant une exposition personnelle en février 1918, exposition saluée par la critique mais qui scandalisa les visiteurs. Dalmau présenta de nouveau des oeuvres de Miró l'année suivante avec celles d'autres peintres catalans. Entre mars et juin 1920, Miró était à Paris pour la première fois. Il visita le Louvre, le Luxembourg, le musée Rodin, plusieurs galeries, rendit visite à Picasso chez lui 23 rue La Boétie. A son retour en Espagne, il séjourna à Barcelone puis dans la propriété familiale de Montroig puis passa une semaine à Cambrils. Quelques semaines après, la galerie Dalmau organisait une Exposició d'Art francès d'Anvantgarda où Miró présentait trois oeuvres. C'est alors que Miró s'exclama : "Dans la France actuelle, je ne vénère que Picasso, Derain, Matisse et Braque."
Henri Matisse, après ses séjours à Collioure, en Espagne, en Algérie, au Maroc, en Allemagne, passa la plupart des années 1914-1918 à Paris. Au cours des années 1916 et 1918, les villes de Bâle, Winterthur (Suisse) et Oslo (Norvège) présentèrent elles aussi, à l'instar de Barcelone, des expositions d'art français comprenant des oeuvres de Matisse. A partir de 1920, ce dernier vécut principalement à Nice. C'est son fils Pierre, qui après un apprentissage à l'académie de la Grande Chaumière, et ouvrant au début des années 1930 une galerie d'art située au coin de la 57ème Rue et de Madison Avenue à New York où il exposa des oeuvres de Miró à plusieurs reprises, provoqua la rencontre ces deux grands de la peinture moderne.
"Miró et Matisse ont éprouvé l'un pour l'autre la plus vive admiration. (...) Près de vingt-cinq ans les séparent, mais [Miró] est sensible à la puissance avec laquelle Matisse cherche à inventer un nouveau régime de vision au-delà de la tradition de la représentation en Occident. Si Miró est sévère à l'égard du Matisse des années 1920, il reconnait à nouveau sa grandeur à partir des années 1930. C'est le moment où les deux hommes se rencontrent et deviennent amis." En effet, en panne d'inspiration, Matisse fit un voyage entre février et juillet 1930 qui le mena via New York, à Tahiti et dans l'archipel des Tuamotu. En septembre 1930, Matisse retourna à New York où le docteur Albert Coombs Barnes lui demandera une fresque pour la salle principale de sa fondation à Philadelphie, fresque qui sera installée en mai 1933 : La Danse. L'inspiration est de nouveau au rendez-vous. Quant à Miró qui veut "assassiner la peinture", il exposera à Paris au cours des mêmes années avec les surréalistes mais retournera vivre en 1932 dans l'appartement familial du passatge del Crèdit à Barcelone. L'amitié entre Miró et Matisse prendra fin avec le décès du peintre français le 3 novembre 1954.
Sources :
Catalogue de l'exposition Joan Miró 1917-1934 au Centre Georges Pompidou (Paris), 3 mars-28 juin 2004.
Texte en français ouvrant l'exposition MiróMatisse. Més enllà de les imatges à la Fundació Joan Miró (Barcelone) jusqu'au 9 février 2025.