1925 (suite)
"La grandeur ne consiste pas dans les ruses, mais dans les erreurs."
Paul Eluard
24 septembre - Décès à Carcassonne de Gustave Fayet. Natif de Béziers, issu d'une famille aisée de viticulteurs, il fut peintre, collectionneur (des Renoir, Cézanne, Degas, Van Gogh, Gauguin, ces derniers achetés sur les conseils de Georges-Daniel de Monfreid), mécène, conservateur des musées de sa ville natale dès 1900. En 1908, il acheta l'abbaye de Fontfroide (à l'ouest de Narbonne), la fit restaurer et confia à Odilon Redon le soin d'en décorer sa bibliothèque en 1911.
Le second semestre de l'année 1925 nous fait voyager en Suisse et la destination ne sera pas Davos, ville de 11 000 habitants environ dans le canton des Grisons (Graubünden en allemand) connue surtout comme lieu de rendez-vous annuel (depuis 1971) des économistes et hommes et femmes d'affaires du monde entier et accessoirement pour son Kirchnermuseum qui rassemble la plus importante collection des oeuvres du peintre expressionniste allemand décédé en 1938, mais le canton du Tessin et plus précisément les rives du lac Majeur.
Le canton du Tessin, l'un des vingt-trois cantons de la Confédération Helvétique, est situé au sud-est du pays et a pour chef-lieu Bellinzona. Cet unique canton de langue italienne regroupe les 7,9% de la population du pays qui parlent quotidiennement cet idiome. Le Tessin est bordé au sud par le lac de Lugano et le lac Majeur (Lago Maggiore) dont une grande partie se trouve en Italie. C'est sur les bords de ce lac, qu'en 1925, s'est tenu un sommet qui a donné lieu à des accords qui portent le nom de Locarno.
Locarno, qui se trouve à 25 kilomètres à l'ouest de Bellinzona, est une ville d'environ 16 000 habitants connue de nos jours pour son Festival international du film qui s'y tient chaque été au mois d'août. A deux pas de la Piazza Grande, ses arcades et ses maisons anciennes, s'élève un palais seigneurial du 16ème siècle qui compte deux musées, le Museo Casorella qui possède une belle collection d'oeuvres de Hans Arp ainsi que des oeuvres de Max Ernst, Sonia Delaunay, Alexej von Jawlensky et le Museo Castello qui dans l'une des ses salles retrace les grands moments des Accords signés en octobre 1925.
En politique étrangère, le Cabinet Painlevé a été marqué par la Conférence de Locarno qui s'est tenue entre le 5 et le 16 octobre 1925. Malgré le rejet par l'Angleterre du "Protocole de Genève" élaboré par Edouard Herriot (voir chapitre n° 22), l'optimisme est de mise quant à une possible réconciliation franco-allemande et une paix définitive en Europe que le ministre français des Affaires étrangères, Aristide Briand, s'attelle à susciter par de longs pourparlers qui aboutissent à cette conférence de Locarno qui s'ouvre le 5 octobre 1925. Y participent la France représentée par Aristide Briand, l'Allemagne (par le chancelier Luther est accompagné de son ministre des Affaires étrangères Gustav Stresemann), l'Angleterre (par Austen Chamberlain), la Belgique (par Emile Vandervelde), l'Italie (par Mussolini), la Tchécoslovaquie (par Edouard Benès), la Pologne (par le comte Skrzynski).
Les Accords sont signés le 16 octobre. Les frontières de la France et de la Belgique avec l'Allemagne, définies par le traité de Versailles, sont garanties et ces trois pays s'engagent à ne pas les modifier par la force et à recourir en cas de litige à la Société Des Nations, l'Angleterre et l'Italie promettant leur soutien au(x) pays agressé(s) en cas de violation du pacte. France, Belgique et Allemagne promettent de ne pas se faire la guerre sauf en cas de légitime défense ou en cas de violation des articles du traité de Versailles relatifs à la démilitarisation du Rhin. Dans ces Accords de Locarno, seul le cas des frontières occidentales est abordé, le problème des frontières orientales de l'Allemagne étant éludé. Un vague engagement à recourir à la SDN en cas de conflit sur leurs frontières tente de rassurer Polonais et Tchécoslovaques. Pour le chef de cabinet de Briand au Quai d'Orsay, Alexis Léger (plus connu sous le nom de Saint-John Perse), la France obtient enfin sa sécurité sur le Rhin, l'Angleterre et l'Italie venant à aider la France si celle-ci était attaquée par l'Allemagne qui entrera prochainement à la SDN. Pour Aristide Briand, c'est un grand pas vers la Paix et la démilitarisation. Ces accords sont du goût des socialistes et des radicaux. L'opinion publique les accueillent aussi favorablement. On salue dans une certaine presse avec enthousiasme le plus grand événement depuis la guerre. Mais les milieux nationalistes et conservateurs font observer que le pacte de Locarno contraint la France à évacuer la Ruhr et à renoncer aux sanctions contre l'Allemagne.
27 octobre - Ce succès diplomatique n'empêche pas de faire tomber le gouvernement Painlevé.
29 octobre - Paul Painlevé se succédant à lui-même forme un nouveau gouvernement.
Octobre - Parution du numéro 5 de La Revue surréaliste avec deux articles de Louis Aragon intitulés Au bout du quai, les Arts décoratifs ! et Correspondance avec M. Joseph Delteil. Ce numéro s'oppose à la guerre du Rif (Maroc).
Octobre-novembre - Exposition d'oeuvres de Modigliani à la galerie Samuel Bing, rue de Provence.
1er novembre - Décès de l'acteur burlesque et réalisateur Gabriel-Maximilien Leuvielle alias Max Linder dans un hôtel du 16ème arrondissement de Paris. Il tourna dans plus de deux cents films et réalisa au début des années 1920, Sept ans de malheur et L'Etroit mousquetaire.
3 novembre - Paul Painlevé présente à la Chambre son nouveau gouvernement qui obtient la confiance par 221 voix contre 189, les socialistes s'abstenant.
14-25 novembre - Exposition La Peinture surréaliste à la galerie Pierre (13 rue Bonaparte) avec des oeuvres de Hans Arp, Max Ernst, Paul Klee, André Masson, Pablo Picasso, Joan Miró. Le catalogue est préfacé conjointement par André Breton et Robert Desnos.
22 novembre - Paul Painlevé présente la démission de son gouvernement au président de la République, démission qui démontre que le Cartel des gauches a vécu.
27 novembre - Décès à Grasse du peintre expressionniste Roger de La Fresnaye à l'âge de 40 ans. Après un passage chez Julian puis à l'Ecole des Beaux-Arts, il fut, en 1908, l'élève de Maurice Denis et de Paul Sérusier à l'Académie Ranson. "L'enseignement des deux peintres nabis, confirmé par la découverte de Cézanne et de Gauguin, accentue son goût pour une peinture volontaire, stylisée, où formes et contours sont fortement marqués, et à propos de laquelle il est possible de parler d'expressionnisme." (1)
28 novembre - Aristide Briand est chargé par le président de la République de former un nouveau gouvernement.
Novembre 1925 - Est donnée au Casino de Paris la revue Paris en fleurs avec Maurice Chevalier qui y chante Valentine (paroles de Albert Willemetz, musique de Henri Christiné).
2 décembre - Aristide Briand présente son gouvernement à la Chambre. Dans son discours d'investiture, il demande aux députés d'approuver ses mesures financières et de ratifier les Accords de Locarno (ce qui sera fait le 26 février 1926). Il annonce aussi son intention de proposer le rétablissement du scrutin d'arrondissement pour les prochaines législatives. Il a nommé Louis Loucheur (qui fut ministre du Commerce, de l'Industrie, des Postes et des Télégraphes au printemps 1924) au poste de ministre des Finances. Devant la gravité de la situation financière de la France - le déficit budgétaire étant de 5 milliards 600 millions de francs -, Louis Loucheur élabore cinq projets pour tenter de redresser les finances publiques. La commission des finances de la Chambre rejetant quatre de ces cinq projets, Louis Loucheur insiste pour qu'ils soient tous adoptés mais devant le refus de ladite commission, le ministre des Finances donne sa démission.
4 décembre - Soirée de bienfaisance à l'hôtel Charpentier (76 rue du faubourg Saint-Honoré) au profit du Secours social à l'hôpital et de l'Ecole de puériculture de l'Académie de Médecine en présence du poète Tristan Derème, des actrices Madeleine Roch, Marie Leconte, Mary Bell, Marcelle Servières, Madeleine Barjac et de la soprano Graziella Pareto.
7 décembre - Le banquet de clôture du congrès constitutif de l'Union des Petites Amicales Laïques du Nord sous la présidence de Monsieur Edouard Herriot, président du Conseil des ministres, servi par M. Journel, traiteur, rue Saint-Georges à Roubaix, a lieu dans les Etablissements Deconinck (Fresnoy). Au menu :
Coquille de poisson à la Russe
Contre-filet de boeuf marchand de vin
Haricots Bretonne
Galantine veau et jambon
Salade de légumes
Fromages
Desserts
Café
Bordeaux
Champagne
16 décembre - Louis Loucheur est remplacé aux Finances par Paul Doumer.
29 décembre - Décès à Neuilly-sur-Seine du peintre d'origine suisse Félix Vallotton. Artiste peu connu (même si quelques-uns de ses tableaux sont visibles au musée d'Orsay), il connait, après avoir étudié à l'Académie Julian (Paris), un certain succès au Salon des artistes français en 1885. Engagé comme illustrateur dans la Revue blanche fondée par Thadée Natanson, "Vallotton devait, par la suite, sans renoncer complètement à la gravure, aborder la peinture". (2) Ambroise Vollard acquiert une des premières productions du peintre. Avec ses camarades de l'Académie Julian, il crée un groupe de peintres - tous fascinés par la peinture de Gauguin et les estampes japonaises - sous la dénomination de "Nabis" (Prophètes en hébreu), groupe actif entre 1888 et 1900. Ensemble, outre le repas mensuel qui les rassemble dans un bistro du passage Brady - appelé ironiquement le Dîner de l'Os à moelle -, ils partagent dans leur art une aversion pour l'impressionnisme qu'ils jugent trop proche de la réalité et tendent vers la révélation d'un art nouveau. Le groupe composé entre autres de Bonnard, Denis, Sérusier, Vuillard, Vallotton, expose chez Le Barc de Bouteville (rue Le Peletier) et chez Bernheim-Jeune (rue Laffitte). En 1892, Félix Vallotton rencontre Hélène, une fille d'ouvriers parisiens qui devient son modèle et avec qui il se met en ménage. Pour lui, elle pose pour La couseuse et La Malade. L'année suivante, son tableau L'Eté - femmes se baignant dans une piscine de briques, en plein air fait scandale au Salon des indépendants car il tourne en dérision le goût des bourgeois de la IIIème République naissante, les artistes du Salon en général et Renoir en particulier. En 1898, il peint un portrait de Misia à sa coiffeuse. Misia, fille de sculpteur, épouse à cette époque de Thadée Natanson (future Misia Sert) est la muse et la protectrice de nombreux peintres, écrivains et compositeurs, elle-même étant une pianiste virtuose. En 1899, il reproduit en couleurs sur toile des bois gravés en noir et blanc qu'il a précédemment commis sur le thème de l'amour conjugal (Intimités) : La Chambre rouge, La Visite... C'est l'année où il épouse une riche veuve, mère de trois enfants, issue de la famille des marchands d'art Bernheim. Son tableau le plus connu - visible au musée d'Orsay - est Le Ballon (1899) représentant en vue plongeante dans un parc ou jardin public, lieux souvent peints par Bonnard et Vuillard, une jeune enfant courant après un ballon, tableau exposé dans le bureau du personnage interprété par André Dussollier dans le film de J.-P. Lilienfeld tourné en 2021, Juliette dans son bain. Félix Vallotton passe en 1899 l'été à Etretat d'où il rapporte plusieurs marines qui font l'admiration de l'écrivain Edmond Jaloux. Dès 1905, il cesse de peindre ses paysages in situ pour prendre l'habitude de les peindre dans son atelier en s'aidant toutefois des croquis qu'il a saisis sur place. Félix Vallotton se montre dès lors "plus véritablement peintre qu'il ne l'était autrefois". (3)
Décembre 1925 - Est jouée au théâtre Edouard VII la comédie musicale Mozart (livret de Sacha Guitry, musique de Reynaldo Hahn) avec Yvonne Printemps. Est jouée au théâtre des Bouffes Parisiens l'opérette Trois jeunes filles nues avec Dranem et Colette Etcherry.
Le prix Goncourt 1925 est attribué à Maurice Genevoix pour son roman Raboliot.
Le prix Nobel de Littérature 1925 est attribué à George Bernard Shaw.
Le prix Nobel de la Paix 1925 est conjointement attribué à Sir Austen Chamberlain pour le rôle qu'il a joué lors de la signature des Accords de Locarno et à Charles Gates Dawes pour le plan qui porte son nom concernant la difficile fixation des réparations.
(1) Catalogue de l'exposition L'Expressionnisme européen au Musée national d'art moderne de Paris (26 mai-27 juillet 1970).
(2) Souvenirs d'un marchand de tableaux par Ambroise Vollard (Editions Albin Michel et Les Libraires Associés, Paris 1957).
(3) Citation lue dans le catalogue de l'exposition Chefs-d'oeuvre des collections suisses de Manet à Picasso (Orangerie des Tuileries, Paris, 1967).