Faire connaître la Louisiane et les Catalognes : Lieux, histoire et événements.
En décembre 1938, Franco déclenche une offensive en Catalogne pour percer les lignes républicaines : fin janvier 1939, Barcelone tombe. Les armées franquistes remontent alors jusqu'à la frontière, poussant devant eux près d'un demi-million de réfugiés qui peuvent entrer en France à partir du 28 janvier.
"Comme l'immense majorité des écrivains et des intellectuels espagnols de la première moitié de ce siècle, Antonio Machado fut un homme de convictions démocratiques. Il demeura fidèle au gouvernement légitime du Front populaire, en 1936, et mit sa plume et sa parole au service de la cause antifasciste. Dès lors, lorsque les armées de Franco déferlèrent à travers la Catalogne, il chercha refuge en France. Il franchit la frontière en février 1939, dans le flot pitoyable des Espagnols, civils et militaires, qui fuyaient la défaite et la répression prévisible. Mais il ne survécut pas à ce déracinement. Il mourut à Collioure, quelques jours plus tard, dans le paysage que Matisse a fait connaître au monde, qui fut pour Machado le paysage de l'exil : la porte hivernale et ensoleillée de la mort.
A partir des années 50, avec le renouveau des luttes antifranquistes et l'apparition d'une nouvelle génération d'écrivains aussi peu conformistes que leurs aînés de la diaspora républicaine, la tombe de Machado dans le cimetière de Collioure devint chaque anniversaire de sa mort un lieu de rencontre symbolique entre les intellectuels de l'exil et ceux de l'intérieur de l'Espagne.
Quand je réalisai "les Deux Mémoires", un film d'entretiens avec des hommes politiques et des intellectuels ayant participé à la guerre civile dans les deux camps opposés, c'est à Collioure que j'organisai la rencontre de Maria Casares et de Nuria Espert, figures touchantes et emblématiques, qui peuvent incarner l'histoire tragique de l'Espagne contemporaine. Dans la cour de la citadelle de Collioure, où l'on montait les décors d'une Célestine que Casares jouait en tournée, elles se rencontrèrent pour la pemière fois, sous l'oeil de la caméra." (1)
"Liberté, révolution, Marseillaise, laicité : ces mots reviennent souvent sous la plume des intellectuels espagnols lorsqu'ils parlent de la France dans les années précédenant la guerre civile.
Déjà en 1915, alors qu'en Espagne s'opposent, comme en écho idéologique, germanophiles et francophiles, Antonio Machado écrit : 'L'autre France fait partie de ma famille et même de ma maison. C'est la France de mon père, de mon grand-père, de mon arrière grand-père.' Antonio Machado se souvient en 1921 d'avoir 'pleuré d'enthousiasme au milieu d'un peuple chantant La Marseillaise et acclamant Salmeron'.
L'admiration que ce même Machado professe pour la France ne l'empêche pas cependant de porter à l'égard du pays voisin des jugements incisifs. Dans une lettre adressée à Unamuno en 1913, où il rappelle qu'il a vécu à Paris... : "Nous tous, qui avons vécu en France un certain temps, ces dernières années, savons bien que ce grand peuple, spirituellement épuisé, n'a pas aujourd'hui d'autre force de cohésion que la peur. Aujourd'hui, la peur s'appelle là-bas patriotisme, nationalisme, catholicisme, classicisme (...) Et nous, qui sommes un peuple plein de vitalité, de barbarie et d'avenir, nous symphatisons avec ce vieux beau, pourri jusqu'à la moelle, séduits que nous sommes par sa maestria dans l'art des cosmétiques. Gravissime erreur et abominable admiration. Nos âmes ont besoin de quelqu'un qui leur apprenne à se laver la figure et non à se farder. Quelle absurde cécité nous pousse à imiter tout ce qui est français ? Ah ! si les Pyrénées pouvaient se transformer en Himalaya ! Nierons-nous pour autant que c'est en France que nous devons les trois quarts de notre culture des deux derniers siècles ?" (2)
(1) Extrait du livre de Jorge Semprun, "Federico Sanchez vous salue bien" (1993).
(2) Extrait de l'intervention sur "La France des libertés vue par les intellectuels espagnols avant et après la guerre civile" par Narciso Alba et Jacques Issorel (Université de perpignan) lors du colloque sur la guerre d'Espagne en septembre 1989.
Photo, Le Perthus/El Pertus en 2011