Faire connaître la Louisiane et les Catalognes : Lieux, histoire et événements.
La rue Cortot est située entre la rue des Saules et la rue du Mont-Cenis dans le 18ème arrondissement de Paris. "On peint et l'on dessine beaucoup, rue Cortot. Léon Bloy, 'cette colonne de l'Eglise', pour reprendre l'expression d'André Salmon, y habita à côté du peintre Emile Bernard qui avait inscrit sur sa porte : 'Elève du Titien'. Après avoir été occupé par Camoins et Poulbot, le logement passa aux mains de Galanis. Avant Bloy, Paul Mousis y avait vécu avec Suzanne Valadon. Othon Friesz passa par le 12 en 1901 avant d'aller s'installer place Dauphine. Raoul Dufy prit sa place. Dans un petit logis du fond, Antoine répéta Poil de Carotte. Le Musée du Vieux Montmartre y est installé depuis 1960." (1) A deux pas du bâtiment qui est devenu le Musée du Vieux Montmartre de la rue Cortot et où habitèrent Suzanne Valadon et son fils, Maurice Utrillo ,s'élève, au coin de la rue des Saules et de la rue de l'Abreuvoir, une maison rose célèbre dans le monde entier. "Parmi les rues les plus pittoresques du vieux Montmartre, le rue de l'Abreuvoir occupe une place de choix. Elle doit son nom à l'ancien abreuvoir qui se trouvait au bas de la rue Girardon, rendez-vous des troupeaux qui paissaient ici jadis. La maison que voici et qui porte le numéro 2 est à tout jamais attachée à l'histoire de la peinture française. C'est la célèbre 'petite maison rose' peinte par Utrillo. Elle fut adjugée à 1 000 francs, en 1919, lorsque fut éparpillée la succession d'Octave Mirbeau. Après l'avoir dénaturée quelque peu, on en fit un bar-restaurant." (1)
Maurice Utrillo naît à Paris en 1883 de Suzanne Valadon et d'un père inconnu, mais est reconnu quelques années plus tard par le critique catalan Miguel Utrillo. Le jeune Maurice étudie au lycée Rollin mais, devenu alcoolique, il doit subir une cure de désintoxication ; sa mère, pour l'occuper, le pousse à dessiner et à peindre.
"Dans Portrait de famille peint par Valadon en 1912 (*) on est submergé par le désespoir qui habite les différents protagonistes. Utrillo est prostré sur sa chaise, Suzanne, au centre de la toile, a le
visage figé, sa mère, à ses côtés, sur le bord de la toile à gauche, est accablée de tristesse, et Utter, le nouvel amant de Suzanne, est un peu tourné vers l'extérieur, comme s'il ne faisait pas
encore tout à fait partie de la famille. Tous ont les yeux grands ouverts sur le vide, et dans ce groupe resseré de quatre personnes immobiles, vivant côte à côte, chacun semble englouti dans sa
propre solitude. La famille habite alors 12 rue Cortot et le voisinage est habitué aux éclats émanant de la maison. Les relations entre Suzanne et Utter sont orageuses - comme elles l'ont
toujours été avec les hommes qui ont partagé sa vie. Mais surtout les fréquentes crises d'éthylisme d'Utrillo prennent des proportions si dramatiques qu'elles terrorisent les voisins et
l'obligent à faire des séjours répétés en maison de santé." (2)
Maurice Utrillo est un peintre autodidacte, n'ayant reçu que quelques conseils de sa mère. A partir de 1907, ses représentations de la banlieue parisienne et de Montmartre présentent des aspects très personnels. Il peint des villes et donne à leurs sites, églises, places, rues souvent enneigées et désertées, un caractère poétique souvent mélancolique.
"Il avait rendez-vous à cinq heures avec Simone, dans un atelier qu'elle avait loué et où elle le recevait souvent.
(...) Il sonna à trois heures et demie à la porte de l'atelier. Elle ouvrit, dit : 'Mais comme c'est gentil d'être venu de si bonne heure !' et fut tout de suite très gaie, très animée. Sur un chevalet était une silhouette de femme blonde, en robe noire, avec une ceinture étroite rayée de rouge et de bleu vif.
- Quelle jolie robe ! dit Bernard.
- Je suis contente que tu dises cela : c'est la robe que j'ai voulu peindre. En ce moment, je suis folle d'étoffes, de chapeaux. Il me semble qu'il y a là toute une poésie qui n'a pas été exprimée. Je me suis même amusée à peindre des étalages du boulevard, regarde...
- Oui, c'est excellent, dit Bernard sincèrement, mais tu n'as pas peur que ça fasse gravure de modes ?
- Mon petit, toutes proportions gardées, c'est comme si tu avais demandé à Monet : 'Vous n'avez pas peur que la cathédrale de Chartres fasse carte postale ?' Il ne faut jamais avoir peur de la banalité d'un sujet s'il vous émeut réellement. Crois-tu qu'avant Berthe Morisot et Monet on aurait osé peindre les objets ménagers, les bancs des jardins, les locomotives ? Aux premiers Utrillo qu'on voit, on se dit : 'Quelle étrange idée, tout ça n'est pas beau.' Et puis, tout à coup, dans la banlieue de Paris, on se prend à aimer une école, un hôpital, un café, et on remarque : 'Tiens ! Un Utrillo...' Toi qui est normand, tu n'as pas vu au musée de Rouen cette ravissante toile de Blanche qui représente un magasin de Londres ?
- Ce qui me plaît dans ton talent, dit Bernard, c'est que tu peins très honnêtement. Je ne connais pas les termes techniques, mais je veux dire que ce n'est pas heurté, pas volontairement brutal. Dans la nature, les transitions me paraissent toujours douces et il me semble que beaucoup de peintres, quelquefois des plus grands, se refusent à le voir, pour être plus vigoureux. Tu comprends ce que je veux dire ?
- Très bien. Je suis comme toi, je suis très sensible au côté 'lisse' des choses... Seulement il faut faire attention, il y a deux sortes de lisses, il y a celui de Vermeer ou des grands Italiens, qui recouvre un relief exprimé et qui est authentique, et puis il y a celui de Bouguereau ou de Cabanel, qui est lisse parce qu'il est plat... Moi, je fais de mon mieux... Tiens, je suis assez contente des épaules de cette femme...
Bernard, qui était derrière elle, posa doucement ses lèvres sur sa nuque et fit glisser sa robe, découvrant ses épaules rayées d'un ruban parme.
- Ma chérie, dit-il, comme tu me plais..." (3)
(*) Musée d'Orsay, Paris
(1) Extrait de Paris en cartes postales anciennes - Butte Montmartre par Georges Renoy (1973)
(2) Extrait de Le peintre et son atelier par Frédéric Gaussen (Editions Parigramme, 2006)
(3) Extrait de Bernard Quesnay d'André Maurois de l'Académie française (1926)