Faire connaître la Louisiane et les Catalognes : Lieux, histoire et événements.
...Ou comment la guerre d'Espagne m'a été enseignée en Terminale. Et vous ?
"Dans les manuels d'histoire de l'enseignement secondaire en France, l'Espagne, après une disparition quasi-totale, qui dure plus d'un siècle, resurgit brusquement en 1936. Plutôt que de nous scandaliser de la trop longue absence de l'un de nos voisins dans ces manuels, soyons sensibles à cette résurgence : la guerre d'Espagne est un événement incontournable parce qu'il a eu une portée mondiale. Dans le monde entier cette vérité s'affirme avec la force d'une évidence : les grands journaux d'Europe et d'Amérique envoient des correspondants de guerre (1) ; les chancelleries s'agitent à propos de l'intervention ou de la non-intervention de divers pays dans la guerre ; des volontaires s'engagent des deux côtés mais surtout, et de beaucoup, du côté des républicains, puisque, ainsi que l'a établi l'historien catalan Andreu Castells, à l'automne 1938, les volontaires engagés en faveur de la République dans les Brigades Internationales dépassaient le chiffre de 59 000 et procédaient de 53 pays différents, nous y reviendrons.
Voilà un premier sujet d'étonnement : pourquoi cette extraordinaire mobilisation des esprits, bientôt des armes et des combattants à propos de cette guerre civile. Car l'Espagne de ce temps n'était plus une grande puissance.
Ce n'était plus une grande puissance politique. Elle s'était abstenue pendant la guerre de 1914-18 (sagement), elle ne jouait qu'un petit rôle à la Société des Nations, elle avait été tenue à l'écart des grandes manoeuvres politiques des années 1920 (conférence de Locarno, etc.).
Ce n'était plus une puissance coloniale.
Ce n'était plus une puissance économique, malgré un relatif enrichissement pendant la guerre de 1914-18.
Le seul domaine dans lequel l'Espagne était redevenue une grande puissance était le culturel, le domaine des lettres et des arts. Après la génération de 1898, elle connaissait l'épanouissement de la Génération de 1927, la génération surréaliste. Mais cela ne peut suffire à expliquer cet intérêt, cette passion." Extrait de "Portée mondiale de la guerre d'Espagne" de Bartolomé Bennassar (Université de Toulouse-Le Mirail) lors du colloque sur la guerre d'Espagne qui s'est tenu à Perpignan en septembre 1989.
Dans un livre d'histoire à l'usage des classes Terminales par MM. Sentou et Carbonell (édité par Delagrave en 1971) on y lit dans un chapitre intitulé - et reproduit ici in extenso -, "Les affaires éthiopienne et espagnole favorisent le rapprochement de l'Allemagne et de l'Italie" :
"La guerre civile espagnole (juillet 1936-mars 1939) - Depuis qu'en 1931 le roi Alphonse XIII, à la suite d'un large succès électoral des partis républicains, avait abandonné son trône et son pays, l'Espagne était devenue une république parlementaire et démocratique. Le nouveau régime se heurtait à de nombreuses forces d'opposition : le clergé, l'aristocratie foncière, les cadres de l'armée. En 1936, les partis républicains - anachistes, communistes, socialistes et radicaux - s'unissent en un Frente Popular et triomphent aux élections législatives. L'opposition légalement vaincue, use de la force : le 17 juillet 1936 un pronunciamiento éclate au Maroc espagnol. Les troupes rebelles, 'nationalistes', sous le commandement du général Franco, occupent en moins de deux mois la moitié de la péninsule ibérique. Mais le gouvernement républicain organise la résistance ; les fronts se stabilisent et la lutte, acharnée, cruelle, horrible parfois, s'éternise.
Dès l'origine, cette guerre civile devient une affaire internationale. L'Allemagne et l'Italie soutiennent les franquistes. En 1934, Mussolini avait pris contact avec certains chefs de l'insurrection qui se préparait déjà ; à elle seule, l'Italie fournit aux nationalistes 10 000 mitrailleuses, 240 000 fusils, 2 000 canons et environ 80 000 volontaires. Au contraire, la France, pourtant dirigée par un gouvernement de Front populaire, et l'Angleterre déclarent adopter une politique de non-intervention. Par la suite, le gouvernement français laissera filtrer à travers la frontière pyrénéenne quelques armes et quelques volontaires ; mais cette aide timide, jointe à celle lointaine et difficile de l'U.R.S.S. ne suffit pas à rétablir l'équilibre des forces. Inférieurs en armes, les républicains faiblissent et, en mars 1939, leurs dernières armées se réfugient en France.
L'identité des réactions de l'Allemagne et de l'Italie en face des événements espagnols facilite le rapprochement entre les deux pays et la constitution de l'Axe Rome-Berlin."
La guerre civile est décrite sur une page moins une photo d'une barricade à Barcelone. Le cours écrit dans mon livre d'histoire devient par la bouche du professeur et retranscrit - fidèlement ? - par mes soins (entre l'époque de la parution du livre cité ci-dessus et le colloque de Perpignan) :
"1936 : la guerre d'Espagne.
Préambule : la République ne date que de 1931. La chute de la royauté a été facilitée par la crise de 1929. La révolution a donné lieu à des excès. Dans la République espagnole, on trouve les mêmes partis qu'en France : Parti Communiste, Parti Socialiste, Radicaux de Gauche. Il faut donner une importance à des groupes anarchistes très puissants. Face à cette gauche, il y a un puissant parti royaliste et un nouveau parti à tendance fasciste, le Parti Phalangiste.
Printemps 1936 : élections législatives qui voient le succès du Frente Popular. Le nouveau gouvernement est formé par un socialiste. Le Frente Popular prend des mesures de sécurité contre certains officiers de l'armée. Le chef de l'Etat major se réfugie au Portugal. Franco est expédié aux Canaries. Des deux côtés, on se prépare à la guerre civile. L'avantage du Frente Popular est qu'il représente la légalité.
L'occasion de la guerre civile : début juillet, le chef du groupe parlementaire royaliste est assassiné : Calvo Sotelo. L'assassinat a été fait par un officier de la police en uniforme. Le soir, cet homme se vante de ce qu'il a fait et est applaudi. Les royalistes tentent un coup. Celui qui doit prendre la tête de ce mouvement est Sanjurjo (2) exilé au Portugal. L'avion s'écrase et Sanjurjo se tue. Sanjurjo avait une autorité morale dans l'ensemble de l'armée espagnole. Il a un adjoint qui est Franco. Après la mort de Sanjurjo, Franco prend la tête du mouvement et l'armée se divise en deux ; cela explique la durée de la guerre civile.
Les premiers résultats : rébellion à Burgos où se constitue un gouvernement nationaliste. Dans le reste de l'Espagne, la situation est incertaine. Franco quitte les Canaries, se rend au Maroc espagnol puis il rallie les unités de la Légion étrangère espagnole. Le problème pour Franco est de passer en Espagne. Une faible partie de la marine est passée du côté des nationalistes. Dans la plupart des navires de guerre, il y a des assassinats troubles.
Franco réussit à faire passer une partie de ses troupes en Andalousie. Il bénéficie de l'aide d'un général, Mola, qui est à Séville. Mola consigne les troupes dans leurs quartiers et décrète le couvre feu. Le gouvenement de Madrid croit que Mola est de son côté.
Franco débarque dans le Sud de l'Espagne et rejoint Burgos via Badajoz. La place est prise par surprise. Alors Franco est sûr que personne ne l'attaquera par l'arrière.
A Tolède, il y a une école de Cadets dont le chef prend partie pour les révoltés ce qui provoque le siège de l'Alcazar. Franco marche sur Tolède et délivre l'Alcazar. En octobre, Il arrive à la périphérie de Madrid et se heurte à une défense (3). Il rentre à Burgos.
Au printemps 1937, le principal effort des nationalistes se porte sur le Pays basque où on se bat comme républicains et autonomistes. Le Pays basque est pris. Le Pays basque est la première région pour l'industrie lourde dans le pays. Nouvel essai contre Madrid qui échoue ; puis l'effort des nationalistes se porte sur le cours de l'Ebre et à Teruel (guerre de tranchées) : Teruel tombe. Les chances de l'Espagne républicaine sont réduites à néant. Valence est prise. En janvier 1939, prise de Barcelone. 3 à 400 000 républicains passent en France. Madrid tombe en mars 1939.
Bilan de la guerre : morts au combat, assassinats, exécutions = 1 million des deux côtés. C'est une des guerres civiles les plus sanglantes de l'histoire européenne.
L'internationalisation de la guerre civile espagnole : Les puissances qui interviennent officiellement dans la guerre sont l'U.R.S.S. qui fournit aux républicains du matériel de guerre mais jamais de combattants. Indirectement, elle intervient par les Brigades Internationales, c'est-à-dire par l'intermédiaire du Komintern. Les volontaires sont venus de nombreux pays : France, Angleterre, Etats-Unis, Tchécoslovaquie, Italie (antifascistes), Allemagne (anti national-socialistes). Au maximum, les effectifs des Brigades Internationales se montent à 40 000 hommes ; elles interviennent dès octobre 1936.
L'Italie, puis l'Allemagne, prennent position pour les nationalistes : Mussolini envoie 2 divisions de 'chemises nloires'. Hitler est d'abord réticent ; il laisse les mains libres à un amiral allemand qui met à la disposition de Franco des avions, c'est la légion Condor, et plus ou moins 5 000 hommes qui donnent leur démission de l'armée pour intégrer la dite légion. On teste le matériel allemand.
La France est le pays le plus concerné par la guerre. Léon Blum ne va pas prendre postion pour des raisons d'ordre intérieur, à cause du climat en France qui est en grève : une intervention risquait de provoquer une guerre civile. Mais la principale raison est de politique étrangère : l'intervention directe de la France risquait de provoquer un conflit européen où elle aurait dû se battre sur trois fronts. Léon Blum n'intervient pas. Vives réactions au Parti Communiste et à la SFIO. Léon Blum va réussir à faire triompher la 'fiction' de la non-intervention. Mais officieusement, on fournit de l'armement aux républicains. Léon Blum propose aux autres pays de laisser les Espagnols régler leurs comptes eux-mêmes. Mesures : contrôler des fournitures données aux Espagnols ; blocus maritime de l'Espagne. Ces mesures se révèleront sans effets.
L'Angleterre ne veut pas de guerre européenne et est d'accord avec la France.
Le gouvernement de Léon Blum a duré 13 mois. Léon Blum a été violemment attaqué à la chute de son gouvernement : En voilà assez ! L'opinion publique ne doit pas se laisser égarer. Le prétendu blocus d'Espagne ? duperie ! Le ravitaillement de la République n'a jamais été interrompu."
(1) Parmi ces correspondants de guerre, on peut citer Kim Philby, journaliste au Times et Ernest Hemingway, correspondant de guerre des journalistes américains.
(2) "Vers le 10 août, cet été-là, à la maison - toujours remplie d'invités - toutes les conversations tournaient autour d'un saint dont Satur n'avait jamais entendu parler, un saint qu'elle n'avait jamais prié, un certain san Jurjo (...) Et en effet, José Maria lui expliqua qu'il ne s'agissait pas d'un saint, mais d'un général, le général Sanjurjo, qui s'était soulevé contre le gouvernement républicain, alors qu'il avait juré fidélité au drapeau de la République." Jorge Semprun, "Vingt ans et un jour"
(3) "Dans leur marche sur la capitale, les avant-gardes de Franco étaient parvenues jusque-là. La ville, en ce jours de novembre 1936, leur semblait offerte. Depuis le mois de juillet, les tabors marocains, la Légion étrangère et les troupes d'élite de l'armée d'Afrique soulevée contre le gouvernement légitime avaient brisé les résistances désordonnées des milices républicaines. Mais ici, dans les parages de la Moncloa, où s'élève à présent l'arc de triomphe couvert d'inscriptions latines à la gloire du Caudillo, cette avance irrésistible avait été stoppée." Jorge Semprun, "Federico Sanchez vous salue bien"