Faire connaître la Louisiane et les Catalognes : Lieux, histoire et événements.
Humour d'exil : "- Savez-vous quelle est la carte postale que le réfugié attend avec le plus d'impatience ?
- La carte de travail."
Le 23 décembre 1938, Franco déclenche une offensive pour envahir la Catalogne et perce les lignes républicaines en plusieurs endroits. Cette bataille connaît son paroxysme dans la deuxième moitié de janvier 1939 : le 14, les nationalistes investissent la région de Tarragone, Barcelone tombe sans combats le 26 et le 31 janvier, Vic est occupée. Puis les armées franquistes remontent vers la frontière, poussant devant eux un demi-million de réfugiés et toutes les autorités républicaines.
"Officiellement, au moins jusqu'au 24 janvier, la France se refusait à imaginer le moindre exode espagnol sur son territoire." Le 28 janvier, la frontière est ouverte. "Avec la chute de la Catalogne, des dizaines de milliers de personnes franchissent la frontière pyrénéenne pour trouver 'refuge' en France. Selon les estimations généralement admises, une centaine de milliers de combattants de l'Armée de Catalogne sont désarmés au passage de la frontière : ils sont accompagnés d'une foule de civils - entre 250 000 et 300 000 - qui fuient l'avance nationaliste. Toute cette population est parquée à la hâte dans des camps improvisés, parfois à même la plage comme à Argelès, gardée par des troupes coloniales dépouvues d'états d'âme devant la tragédie républicaine."
Le 22 février 1939, le poète Antonio Machado meurt à Collioure.
"C'était la nouvelle de la mort du poète Antonio Machado, à Collioure, qui avait attiré Brower à la légation, ce soir de février. (...) Ainsi, Machado avait partagé jusqu'au bout le sort de la République espagnole. Lorsque les fronts de bataille s'effondrèrent en Catalogne sous la poussée des armées franquistes, et que des centaines de milliers de réfugiés se pressèrent aux frontières de la France, en février 1939, Antonio Machado fut l'un d'eux. Poète populaire à force de limpidité classique, il suivit le destin de son peuple.
Mais il ne supporta pas la perspective abominable de l'exil. Réfigié dans un hôtel de Collioure, après quelques péripéties, il s'y éteignit presque aussitôt."
"Quelques minutes plus tôt, ce jeudi après-midi, ou ce dimanche de la fin mars - je pencherais pour le jeudi, pour des raisons que j'aurai peut-être envie de rendre explicites plus loin -, j'étais entré dans une boulangerie qui se trouvait alors au point d'oblique convergence des rues Racine et de l'Ecole-de-Médecine. J'y avais demandé un croissant, ou un petit pain, je ne sais plus quelle minime nourriture terrestre. Mais la timidité, d'un côté (qui m'a été naturelle, parfois paralysante, que seules la volonté, l'expérience et l'apparat de la reconnaissance sociale m'ont permis de dissimuler, sinon de vaincre totalement, et qui m'a laissé des traces phobiques : l'horreur du téléphone, par exemple, la difficulté d'entrer tout seul dans un lieu public), et, d'un autre côté, mon accent, qui était alors exécrable - j'ai déjà dit que le français était pour moi presque exclusivement une langue écrite - ont fait que la boulangère n'a pas compris ma demande. Que j'ai réitérée, de façon encore plus balbutiante, probablement, en sorte qu'elle fut encore moins compréhensible.
Alors, toisant le maigre adolescent que j'étais, avec l'arrogance des boutiquiers et al xénophobie douce - comme on dit d'une folie inoffensive - qui est l'apanage de tant de bons Français, la boulangère invectiva à travers moi les étrangers, les Espagnols en particulier, rouges de surcroît, qui envahissaient pour lors la France et ne savaient même pas s'exprimer.
Dans cette diatribe pour la galerie - elle s'adressait aux clients, cherchant leur complicité visqueuse, plutôt qu'à moi - apparut même une allusion à l'armée en déroute. Je fus renvoyé par son discours à la catégorie des Espagnols de cette armée mythique.
Le souvenir me revint alors : l'Ecole universelle, le chagrin patriotique de Maribel et de Susana, le vers de Victor Hugo. J'ai fui la boulangerie, privé de croissant ou de petit pain par mon accent déplorable, qui me dénonçait aussitôt comme étranger.
Dehors, abrité provisoirement de la pluie fine et persistante sous la marquise d'un cinéma - Arletty à l'affiche, dans 'Fric-frac', si je me souviens bien ; mais je peux confondre, Arletty était souvent à l'affiche en ces jours-là - je m'immobilisai dans un soudain mal-être."
Les textes sont extraits des ouvrages suivants : "Plages d'exil, les camps de réfugiés espagnols en France - 1939", ouvrage collectif préfacé par Jorge Semprun, "Les Français et la guerre d'Espagne - colloque Perpignan 1989" et "Adieu vive clarté..." de Jorge Semprun.
Photo, la frontière franco-espagnole au Perthus : une frontière virtuelle, perméable, "sauvage" ? selon Jacques Saquer, docteur en histoire. Une plaque rappelle que "Le 28 janvier 1939, la frontière a été ouverte aux civils et le 5 février aux millitaires. On évalue que près de 220 000 militaires sont passés par le Perthus entre le 5 et le 10 février.
Déjà en territoire sous juridiction française, le château de Belleguarda et l'école ont été aménagés en hôpitaux et ont accueilli jusqu'à 1 600 blessés. Des centaines de véhicules et de chars de combat ont été entreposés au terrain de football".