Faire connaître la Louisiane et les Catalognes : Lieux, histoire et événements.
Chaque lundi jusqu'au début de l'été, nous roulerons sur la Highway 66 à la découverte d'une ville, d'un village, d'un musée, d'une église, d'une personnalité, d'un petit bout d'histoire des Pyrénées-Orientales. Aujourd'hui parlons du peintre Raoul Dufy (1877-1953) et de ses séjours en Roussillon.
Le 10 juin 1940, l'Italie déclare la guerre à la France. Par crainte des bombardements, Raoul Dufy quitte Nice, où il s'était réfugié quelques mois plus tôt, avec sa femme, pour les Pyrénées-Orientales. Le peintre natif du Havre, qui a souvent peint la plage de Sainte-Adresse et des paysages proches de Marseille, est connu pour avoir réalisé en 1920, les décors et les costumes du "Boeuf sur le toit", un ballet de Jean Cocteau mis en musique par Darius Milhaud, et en 1937, la gigantesque fresque "la Fée Electricité" présentée lors de l'Exposition universelle de Paris en 1937.
Raoul Dufy est atteint de polyarthrite et c'est à Céret, dont on lui vante le climat favorable, qu'il se rend et qu'il fait la connaissance de Pierre Brune, peintre à l'origine de la création du musée d'Art moderne du chef-lieu du Vallespir. Malgré la douceur du climat, l'état de santé de Dufy ne s'améliore pas et sur les sollicitations de Brune auprès de son ami le docteur Pierre Nicolau, il est admis à la clinique des Platanes à Perpignan début 1941. Après un séjour bienfaisant dans cet établissement, Raoul Dufy est invité par le docteur Nicolau à rester chez lui rue de la Poste (actuelle rue Jeanne d'Arc) et le salon de son appartement devient l'atelier du peintre pendant six mois.
En 1943, Dufy retourne à Paris dans son atelier de l'impasse de Guelma dans le 18ème arrondissement, qu'il loue depuis 1911 et qu'il gardera jusqu'à son décès survenu à Forcalquier dans les Basses-Alpes en 1953.
En 1944, Raoul Dufy réalise les décors et les costumes de la pièce d'Armand Salacrou, "les Fiancés du Havre", mise en scène par Pierre Dux et jouée à la Comédie-Française. Après un séjour à Vence, il s'installe en 1946 dans un nouvel atelier à Perpignan, à l'angle de la place Arago et de la rue de l'Ange, où se trouve une imposante console rococo surmontée d'un grand miroir que l'on voit dans beaucoup de ses tableaux, dont "le compotier de pêches à la console" peint en 1948. Ces deux meubles, la console et le miroir, se retrouvent souvent dans les oeuvres de Dufy ; le miroir ne renvoie aucune image et n'intervient que comme composante lumineuse de l'ensemble.
C'est l'époque où il rencontre le violoncelliste Pau Casals et où il reçoit de nombreux amis dont Marcelle Oury, mère du réalisateur de "La Grande vadrouille", qu'il a rencontrée à Paris, le 24 juin 1911, lors d'une fête persane organisée par le couturier Paul Poiret et baptisée "la Mille et deuxième nuit". Dufy avait dessiné l'invitation et avait décoré le velum qui protégeait le jardin de la chaleur de l'été naissant. Pour Marcelle Oury, il peint "Nature morte aux poires et aux citrons" (1946), aquarelle sur papier qu'il dédicace d'un "A Marcelle Oury que je retrouve à Perpignan ce 23 fév. 1946 - Raoul Dufy". Des fenêtres de son atelier, il peut voir le spectacle de la place Arago : carnavals et sardanes sont pour lui des plaisirs. Il écrit à son ami Ludovic Massé : "A Perpignan nous avons des Sardanes au Palmarium, c'est plus agréable que le Jazz." (1) Son état de santé s'améliore. Le 13 août 1946, toujours à Ludovic Massé, il écrit : "J'ai continué à mieux me porter, j'ai fait de grands progrès comme état général ; j'ai repris appétit et sommeil, pas mal de forces musculaires, mais les jambes sont toujours un peu en retard. Vous verrez ça quand vous rentrerez. (2) J'ai eu quelques visites d'amis du dehors qui récréent mon séjour estival perpignanais. Hier, je suis allé au cinéma et j'espère, vendredi, aller à la corrida de Collioure." A la fin de ce même mois, Dufy doit partir pour faire une nouvelle cure. "La santé n'est pas trop mauvaise ; il y a du mieux et puis il y a des rechutes ; pour l'instant, j'ai tout récupéré de ce que j'avais perdu ces derniers jours et alors je suis de nouveau dans le chemin de l'espoir. Je vais partir, samedi, à Thuès-les-Bains ; j'espère que je vais m'améliorer à l'aide de ces célèbres eaux sulfureuses et que je pourrai, en revenant, arpenter les rues de Perpignan la canne à la main ; pour danser la sardane, je crois que ça sera encore plus long." (3)
Le 28 octobre 1946, il écrit, toujours à Ludovic Massé : "J'ajoute que je suis allé au théâtre, nous avons rencontré des amis charmants dans la troupe et après un souper très joyeux, je suis rentré, en remontant mon escalier sur le coup de 4 heures du matin." Raoul Dufy était gourmand, se risquant à quelques excès de temps en temps, étant donné son état de santé. Cet état de santé qui le contraint à faire une cure à Caldes de Montbui en Catalogne et même à partir pour Boston (Etats-Unis) où il subit un traitement à la cortisone dans l'hôpital du professeur Freddy Homburger, en 1950. "Le traitement de Cortisone et d'A.C.T.H. est terriblement fatigant pour moi. Il commence à avoir des résultats excellents. Je peux marcher 10 minutes sans canne ni béquilles, les articulations sont bien dégagées mais l'atrophie musculaire est extrêmement dure à récupérer. (...) Le traitement se prolonge plus que je ne pensais, mais je ne veux quitter mon Dr Homburger que lorsque celui-ci aura établi le plan de la continuation du traitement ; on pourra combiner avec tous les autres moyens ; cures thermales, gymnastique, bains Salmanoff. (...) Mon Dr Homburger est un type magnifique ; nous sommes devenus de vrais amis ainsi que sa femme." (4) Après un séjour dans l'Etat de l'Arizona, au début de l'année 1951 ("Je suis venu en Arizona pour fuir le climat froid et humide du nord."), Raoul Dufy rentre en Europe et s'installe à Forcalquier où il décède le 25 mars 1953.
(1) Extrait d'une lettre de Raoul Dufy à Ludovic Massé datée du 20 août 1948.
(2) Ludovic Massé, qui habitait 29 rue Vauban à Perpignan, avait aussi un appartement à Paris, 180 rue Lecourbe, et allait souvent en villégiature à Massat dans l'Ariège.
(3) Extrait d'une lettre à Ludovic Massé datée du 28 août 1946.
(4) Extraits d'une lettre à Ludovic Massé datée du 16 juin 1950.
Photo, l'immeuble de la place Arago (Perpignan) où Raoul Dufy avait son atelier dans les années 40.