Faire connaître la Louisiane et les Catalognes : Lieux, histoire et événements.
L'année 1930 est finie, vive 1931. Les dernières illuminations éteintes, les dernières embrassades pour des voeux de bonne et heureuse année terminées, les invités partis, les rues de Paris retrouvent les frimas de l'hiver et le brouillard froid qui recouvre la ville a du mal à se dissiper aux premières heures du jour de l'An.
Une commission préparatoire à une grande conférence sur le désarmement qui doit avoir lieu dans un an vient de se séparer à Genève, mais sans prendre de grandes décisions sinon d'établir seulement un cadre de réflexion. Le désarmement dont on parle depuis la signature des traités de paix est encore un des sujets importants que l'on ne sait régler, la divergence des différents protagonistes - Français, Anglo-saxons, Allemands -, étant importante, chacun voulant assurer sa sécurité. 1931 sera, en France, une année charnière, une année cruciale, les premiers effets de la crise de 1929 commençant de s'y faire sentir.
Le 9 janvier, à Roubaix (Nord), par un bon repas organisé par ses quatre soeurs, de bons couplets et avec une famille presque réunie, Henri Loridan, poète et chansonnier, fête son septantième anniversaire. Les invités se réunissent dès dix-neuf heures autour d'un apéritif "Concert T.S.F. au Porto d'origine". Puis suivent les hors d'oeuvre à la Foucharde (à la fourchette) faits de saucisson de Lyon belge (calembour, chers Roubaisiens) et de céleri à la diable (avec une sauce à la moutarde), le rosbeef "au boeuf gras" et sa sauce au bon type (fine fellow), les légumes, haricots et pommes de terre, les fromages d'hiver (divers, calembour encore, gentils Roubaisiens) et la "tarte du Parjuré", le tout servi avec du vin, de la bière, du champagne "moussant", du café, des liqueurs. Le menu placé devant chaque convive indique aussi que le repas sera accompagné d'une fusion de chansons pour coeurs fraternels. Le chansonnier que sa famille fête dignement a écrit pour ce grand jour, le sien, un poème sur sa jeunesse et le grand avenir qui se profile devant lui :
"Pour fêter l'anniversaire
De mes soixante-dix ans,
Chansonnier se doit de faire
Quelques couplets amusants.
Ah fi ! du vieillard austère
Qui mourra dans le chagrin,
Moi, joyeusement j'espère
Mourrir dans un gai refrain.
J'ai soixante-dix ans !
Tout m'enchante,
Et je chante
Chiche ! à la faux du temps,
Je chante comme à vingt ans.
Comme au temps de ma jeunesse
J'ai gardé ma bonne humeur,
Et j'ai pour toute richesse,
De la bonté plein mon coeur.
Heureux de ne pas connaître
L'envie au culte de l'or,
Comme Nadaud mon bon maître,
'Ma gaieté c'est mon trésor'.
Empreint de philisophie,
Je n'ai cessé de prêcher
Qu'il faut vouloir dans la vie
Ce qu'on ne peut empêcher.
Pour tenir tête à l'orage,
J'ai pu me croire assez fort
En gardant tout mon courage
Pour subir les coups du sort.
J'ai figuré, comme édile (1),
Au rang des bons citoyens.
Tâchant de me rendre utile
Par mes modestes moyens.
'Honni soit qui mal y pense'
Mais en agissant ainsi,
J'ai trouvé la récompense
Dans le devoir accompli.
J'ai l'âme et l'esprit tranquilles
Et si je fus... polisson,
(Mes péchés et mes peccadilles)
J'en obtiendrai le pardon.
Si c'est plus ou moins honnête,
Jugez coupable, et pourtant,
Chers amis, je vous souhaite
De pouvoir en dire autant."
Mes soixante-dix ans, texte d'Henri Loridan (1861-1933) mis en musique sur un tempo de ritournelle.
(*) Sur le vif, titre d'un livre d'André Maurois paru en 1931
(1) Henri Loridan a été Conseiller général du Nord de 1901 à 1913 et Conseiller municipal à Tourcoing de 1894 à 1912.