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2 novembre 2016 3 02 /11 /novembre /2016 08:47

En juin 1916, Antonio Machado a 40 ans. "Je suis né à Séville une nuit de juillet 1875, dans le célèbre palais de las Dueñas, situé dans la rue du même nom." (1) Le palais de las Dueñas est un bâtiment du 16ème siècle. Il a pris le nom du monastère de Santa Maria de las Dueñas qui se trouvait à proximité et qui fut démoli en 1868. Propriété de la Maison d'Albe depuis le 17ème siècle, il a été transformé en appartements au 19ème et a reçu depuis de nombreuses têtes couronnées et personnalités célèbres. "Mes souvenirs de la ville natale sont tous d'enfance. (...) Mon adolescence et ma jeunesse sont madrilènes." (1) Antonio Machado écrit ses premiers poèmes en 1898. Au cours de différents séjours à Paris (en 1899 et 1902) il fait la connaissance d'Oscar Wilde, de Jean Moréas, de Ruben Dario, "ce noble poète, qui a écouté les échos du soir et les violons de l'automne en Verlaine" (1). En 1907, il est professeur de français au lycée de Soria. Après le décès de son épouse, survenu prématurément en août 1912, il demande sa mutation et obtient un poste au lycée de Baeza en Andalousie. "Je fus muté à Baeza, où je réside aujourd'hui. Mes passe-temps préférés sont la promenade et la lecture." (1) En juin 1916, Antonio Machado reçoit la visite d'un groupe d'étudiants de l'université de Grenade parmi lesquels se trouve le jeune Federico Garcia Lorca.   

En juin 1916, Federico Garcia Lorca a 18 ans. Il est né à Fuente Vaqueros à 17 kilomètres de Grenade, dans une maison de village - construite en 1880 - comme il en existe tant dans la campagne grenadine. "Toutes les maisons sont les mêmes et avec un même mobilier." (2) Acquise par la Diputacion (conseil général) de Grenade en 1982, elle a été transformée en musée en 1986. Son père est un propriétaire terrien aisé. Il fait ses études primaires auprès de sa mère, ancienne maîtresse d'école. Au début des années 1910, il entre au lycée à Grenade. S'intéressant à la musique, il apprend à jouer de la guitare et du piano. En 1915, il débute des études de lettres et de droit. Du 8 au 16 juin 1916, il entreprend, avec d'autres étudiants de son université, un voyage d'études en Andalousie au cours duquel il rencontre Antonio Machado.

Baeza, au nord-est de Jaén, est une ville aux magnifiques bâtiments Renaissance que l'empereur Charles Quint a traversée en 1526 alors qu'il se rendait à Séville pour convoler avec Isabelle de Portugal. La Porte de Jaén, sur la plaza del Populo est là pour en témoigner. Reconquise sur les Maures en 1227, c'est aux 16è et 17è siècles que la ville s'agrandit et s'embellit. A quelques kilomètres coule le Grand Fleuve (Guad-Al-Quivir). "Le fleuve s'écoule, entre de sombres végétations et de gris oliviers, dans l'allégresse des campagnes de Baeza. Les vignes sont chargées de pampres dorés sur les ceps rouges. Le Guadalquivir, comme un cimetière brisé aux morceaux dispersés, brille et miroite." (1) Le Guadalquivir, qui prend sa source dans la Sierra de Cazorla, à 1600 mètres d'altitude, a une longueur de 670 kilomètres. Le fleuve reçoit les eaux de plusieurs affluents dont le Genil qui coule à Grenade. "Le fleuve Guadalquivir va parmi oranges et olives. Les deux rivières de Grenade (le Genil et le Darro, ndlr) descendent de la neige au blé. (...) Le fleuve Guadalquivir a la barbe grenat. Des rivières de Grenade, l'une pleure, l'autre saigne. (...) Guadalquivir, haute tour et vent dans les orangers. Darro et Genil, tourelles mortes sur les étangs." (3)     

Antonio Machado est la "Galerie de l'âme... L'âme enfant!" (1) : "Machado était grand, dégingandé, et portait un complet froissé luisant aux genoux. Son chapeau melon était toujours poussiéreux. Il donnait l'impression d'être plus désemparé qu'un enfant devant les problèmes de la vie courante, un homme trop innocent, trop sensible, trop gauche, à la manière des érudits, pour survivre. (...) C'était un homme merveilleux." (4)

"Federico Garcia Lorca était le farfadet dissipateur, la joie centrifuge qui recueillait dans son sein le bonheur de vivre et l'irradiait comme une planète. Ingénu et comédien, cosmique et provincial, musicien étonnant, mime parfait, ombrageux et superstitieux, rayonnant et bon garçon, il résumait en quelque sorte les âges de l'Espagne, la floraison populaire; c'était un produit andalou-arabe qui illuminait et parfumait comme un buisson de jasmins la scène entière de cette Espagne hélas! disparue." (5)

Federico Garcia Lorca, qui avait une grande admiration pour la poésie d'Antonio Machado, connaissait par cœur une grande partie de son œuvre. Il avait lu Campos de Castilla (Champs de Castille), recueil de poésies paru en 1912 dont fait partie La Tierra de Alvargonzalez. Antonio Machado dira à un journal de Madrid en 1938 à propos de sa rencontre avec Lorca : "C'était alors un jeune garçon et il faisait une excursion artistique, non en quête de thèmes poétiques, mais de motifs musicaux populaires, car vous savez bien que Lorca était un excellent musicien." (6)

Musicien, compositeur, c'est à Grenade que Garcia Lorca participe, en juin 1922, à un concours de cante jondo. "Vers Grenade, des monts ensoleillés, des monts de soleil et de pierre." (1) Manuel de Falla s'y installe en 1920. Avec Lorca et un groupe d'intellectuels et d'artistes, il organise un concours "dans le but de revendiquer la pureté d'un art en train de mourir". (7) En préambule de ce concours, Lorca donne une conférence le 19 février 1922 au cours de laquelle il parle d'un musicien français, Claude Debussy, qui a merveilleusement évoqué la ville dans La Puerta del Vino (mouvement de habanera qui fait partie du deuxième Livre des Préludes, 1910/1912 - *) et La soirée dans Grenade (dans Estampes, 1903), qui faisait son admiration et celle de Falla. "Et le plus admirable dans tout ça, dit Lorca, est que Debussy, qui bien qu'il ait sérieusement étudié notre cante, ne connaissait pas Grenade."      

Antonio Machado, dans son poème Cante hondo écrit : 

"Je méditais profondément en déroulant

les fils de l'amertume et de la tristesse,

quand à mon oreille parvint,

par la fenêtre de ma chambre, ouverte

sur une chaude nuit d'été,

la plainte d'une copla songeuse,

brisée par les sombres trémolos

des rythmes magiques de la terre. (...)

Et sur la guitare, résonnante et tremblante,

la main en frappant brusquement évoquait

le bruit d'un cercueil qui vient frapper la terre." (1)

"Malheureusement, alors qu'intellectuels et artistes répondaient avec enthousiasme à l'appel de Manuel de Falla, en collaborant activement à son organisation, le peuple, lui, bouda cette manifestation alors qu'il a toujours été dit que le flamenco était la voix du peuple." (7) Le Concours de Cante Jondo sera remporté par El Tenazas, "personnage étrange ayant mené une vie de bohème" (7) qui avait 72 ans et Manolo Caracol qui n'en avait que 12. De son vrai nom Manuel Ortega Juarez, ce dernier "appartenait à une grande famille gitane de grande tradition flamenca. Cantaor exceptionnel qui versa, parfois, dans la chanson flamenquisée, accompagnée d'un orchestre et cela pour des raisons commerciales". (7)

En 1918, Federico Garcia Lorca publiera Impressions et paysages, livre en prose inspiré par ses excursions de juin 1916 en Andalousie et en Castille et en Galice du 15 octobre au 3 novembre 1916. Dans les années 30, Lorca fera jouer La Tierra de Alvargonzalez d'Antonio Machado par sa troupe de la Barraca.

En 1936, Antonio Machado écrira : "Ils ont tué Federico quand la lumière apparaissait. Le peloton de ses bourreaux n'osa le regarder en face. (...) Et mort tomba Federico - du sang au front, du plomb dans les entrailles - ... Apprenez que le crime a eu lieu à Grenade - pauvre Grenade ! -, sa Grenade..." (1)

(*) La Puerta del Vino (14ème siècle), dans l'Alhambra de Grenade, donne accès à l'Alcazaba depuis le Palais de Charles Quint. Elle n'avait pas de fonction défensive.            

(1) Champs de Castille et autres poèmes de Antonio Machado (Editions Gallimard, 1973).

(2) Mon village par Federico Garcia Lorca (Editions Gallimard, 1981).

(3) Poésies en quatre volumes par Federico Garcia Lorca (Editions Gallimard).

(4) La belle vie par John Dos Passos (Mercure de France, 1968).

(5) J'avoue que j'ai vécu par Pablo Neruda (Editions Gallimard, 1975). 

(6) La Tierra de Alvargonzalez par Antonio Machado avec une présentation par Josette et Georges Colomer (Imprimerie Graphic Eclair, 1985).

(7) Guide du Flamenco par Luis Lopez Ruiz (L'Harmattan, 2003).

Poème de Federico Garcia Lorca

Poème de Federico Garcia Lorca

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