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12 mars 2018 1 12 /03 /mars /2018 13:39

Dans un train qui m'emmène vers Arles, je lis quelques pages du Journal d'André Gide. En regardant le paysage qui défile devant moi, je me demande combien de temps il fallait pour aller en chemin de fer de Paris à Arles en 1888. Je ne sais. Il faudrait que je puisse consulter le Chaix de la compagnie PLM. Après Beaucaire, un arrêt de deux ou trois minutes est marqué en gare de Tarascon. Le château de Beaucaire, du 11ème siècle, et celui de Tarascon, reconstruit dans les années 1400, se font face de part et d'autre du Rhône. Souvent assiégés, mis à sac, démantelés, les deux bâtisses témoignent encore, par leur situation sur le fleuve qui coule vers la Méditerranée, de la rivalité entre royaume de France et Provence (ancienne province romaine) jusqu'à ce que cette dernière ne soit laissée par testament à Louis XI par Charles, neveu du roi René d'Anjou. Le train file à présent plus au sud. L'arrivée en gare d'Arles sera bientôt annoncée par le contrôleur. 

Face à moi, une dame lit Une semaine de chance de Waël Aurias. "Très bien ce livre, me dit-elle. Vous devriez le lire". Reprenant ma lecture, je relève dans le Journal d'André Gide cette phrase écrite le 12 février 1907 : "Hier, été voir de la peinture avec Rouart. Très beaux Gauguin, Van Gogh, Cézanne." (1) Trois peintres qui ont vécu ou seulement séjourné en Provence : Cézanne, natif d'Aix-en-Provence, ami d'Emile Zola, et dont Degas a dit en regardant un de ses tableaux : "Quelle noblesse là-dedans ! Voilà qui nous change de Pissarro" (2), a consacré une soixantaine de toiles à la montagne Sainte-Victoire; Gauguin a cheminé avec Van Gogh sur les sentiers autour d'Arles et a rapporté de son séjour provençal des toiles peintes "en pleine chaleur" (*) dont le sujet à peine ébauché promettait, selon Van Gogh, "de devenir très beau et d'un grand style". (3)

Mars 2018. Je sors de la gare. Point de neige à Arles aujourd'hui. Si, en hiver, le ralentissement de l'activité est de mise dans les champs, mars est le mois de la reprise du labeur agricole. "Je suis l'âpre mois de mars, pas plus tard il faut ouvrir la terre pour le premier labour, émonder l'olivier et tailler la vigne nouvelle. (...) Mars venteux, avril pluvieux, font aller le bouvier joyeux" (4), a écrit Frédéric Mistral, heureux récipiendaire du Prix Nobel de littérature en 1904. Point de neige donc en ce mois de mars 2018. Vincent Van Gogh, à la descente du train en provenance de Paris, avait lui trouvé, le 20 février 1888, une gare et des rues recouvertes d'un beau manteau blanc. Van Gogh écrira le lendemain de son arrivée à son frère Théo : "Maintenant je te dirai que pour commencer il y a partout au moins soixante centimètres de neige de tombée, et il en tombe toujours. (...) Mais ici à Arles le pays paraît plat." Des étendues de neige à perte de vue s'offrent donc aux yeux émerveillés de Van Gogh ainsi que les montagnes aux alentours "avec les cimes blanches contre un ciel aussi lumineux que la neige, étaient bien comme les paysages d'hiver qu'on faits les Japonais". (5) Van Gogh, passionné d'estampes japonaises, croit, en débarquant à Arles, trouver son Japon. La montagne Sainte-Victoire se serait-elle pour lui transformée, en se parant d'un tapis blanc immaculé, en mont Fuji ? Sur l'autoportrait que Van Gogh peindra dans son atelier de la "maison jaune" en 1889 après son hospitalisation et intitulé Autoportrait à l'oreille coupée, on y voit accrochée au mur une estampe japonaise de Sato Torakiyo. L'avènement de l'empereur Mutsuhito (Meiji) avait, en 1868, avec l'ouverture de son pays au monde, fait connaître l'art de l'estampe. Celles de Hiroshige, d'Hokusai avaient alors déferlé sur l'Europe. Manet en fait apparaitre une sur son Portrait d'Emile Zola peint en 1868. Mais les Hollandais n'avaient-ils pas été privilégiés, seuls étrangers à n'avoir pas été chassés de l'archipel asiatique au 17ème siècle ?

Il est temps pour moi de trouver un hôtel. "Voici mon adresse : Restaurant Carrel 30, rue Cavalerie, Arles (département Bouches-du-Rhône)" avait précisé Van Gogh dans une de ses lettres à son frère. (5) Le soir tombe. Je n'ai plus le temps de chercher aussi loin dans la ville. Je descends donc dans un hôtel sis sur la place Lamartine non loin de la gare. Là s'arrête ma recherche. L'hôtel s'appelle "Hôtel des Voyageurs - Van Gogh", le bien nommé.

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- Du 23 mars au 24 juin 2018, le Van Gogh Museum d'Amsterdam (Pays-Bas) montrera dans une exposition comment l'artiste a façonné sa propre image du Japon en collectant et copiant des estampes venant du pays du Soleil Levant.

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(*) En pleine chaleur (dans les foins) est le titre d'une huile sur toile peinte par Gauguin en Provence en 1888.   

(1) Journal 1889-1939, André Gide (Editions Gallimard, 1951)

(2) Edgar Degas, "Je veux regarder par le trou de la serrure" (Editions Mille et une nuits, 2012)

(3) Extrait du catalogue de l'exposition "Gauguin Les XX et la Libre Esthétique" (Liège - Belgique, 1994/1995)

(4) La vie quotidienne en Provence au temps de Mistral, Pierre Rollet (Librairie Hachette, 1972)

(5) Les quelques 650 lettres écrites par Vincent Van Gogh à son frère Théo sont intégralement disponibles sur le site vangoghletters.org   

Arbre en fleurs au printemps.

Arbre en fleurs au printemps.

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