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27 mars 2019 3 27 /03 /mars /2019 08:24

"La bravoure n'est rien - l'atroce est l'ennui d'une guerre de taupes et de fatigue." Jean Cocteau

 

En décembre 1914, le Parlement regagnait Paris. Et comme la guerre durait, les salles de spectacles et autres cinémas qui avaient dû fermer sur ordre du gouvernement dans l'attente d'une prompte victoire, rouvraient peu à peu. La vie parisienne reprenait ses droits. A Perpignan aussi, les cinémas proposèrent de nouveau films et animations dès le mois de mars 1915. La guerre allait être longue et rares seraient les occasions de s'amuser. A Perpignan, ce sont le Cinéma-Castillet et le Familia qui dominaient le monde magique du cinématographe. Des deux inaugurés en 1911, seul le Castillet existe encore ; le Familia, qui se trouvait au bord de la Basse, a fait depuis place à un immeuble d'appartements. Une autre salle ouvrira à la fin du mois de novembre 1915 près de la place Bardou-Job : L'Eldorado. Surtout connu pour avoir été un music-hall, L'Eldorado proposera opérettes, comédies musicales mais également quelques films au moins jusqu'en janvier 1916. La grande vedette parisienne Félix Mayol s'y produisit. Même si son nom ne m'était pas inconnu, j'avoue qu'il m'a fallu l'aide de quelques sites internet pour savoir ce qu'il y avait eu au répertoire de ce chanteur natif de Toulon et décédé dans les années 1940, n'ayant évidemment pas été bercé par ses chansons durant mon enfance plutôt Johnny et Anthony. Si le titre "Viens Poupoule" me disait vaguement quelque chose, je lus via les dits sites qu'il avait chanté "Les alliances de Guillaume II" en 1906. Je ne serais pas surpris d'apprendre qu'il n'a pas repris cette chanson durant son spectacle à L'Eldorado de Perpignan durant la guerre, l'empereur d'Allemagne étant détesté par toute la population française. Quoi qu'il en fût, dans la chanson intitulée Moi j'aime le music-hall que Charles Trenet a écrite en 1955, le nom de Mayol est par deux fois cité. C'est dire l'importance qu'il devait avoir au début du 20ème siècle dans les cabarets et autres bals fort nombreux entre Barbès et Pigalle. Oui, la guerre allait être longue ! Et cette publicité lue dans le journal L'Indépendant des Pyrénées-Orientales daté du 4 janvier 1915 ne s'y trompait pas : "Etrennes utiles : Faites apprendre à vos enfants la sténodactylographie à l'école "R..." (...) place de la Loge. Facilités de paiement pendant la durée de la guerre."

 

Pour écrire cette série d'articles sur la Première guerre mondiale, comme d'ailleurs tous les articles de mon blog depuis 2010, j'ai eu la chance de pouvoir compter sur un allié sincère et loyal : la Médiathèque de Perpignan. Je dis toujours que l'on devrait y élever une statue à la muse du savoir et de la connaissance. Si Aristide Maillol se serait volontiers prêté à cet exercice, un sculpteur ayant son atelier entre Salses et Le Boulou accepterait certainement cette commande et ferait jaillir du marbre ou de la pierre tout ce que les livres et autres moyens modernes de se cultiver peuvent apporter de riche et d'utile à des êtres sveltes, heureux, joyeux ou au contraire rouillés, déçus et lassés par l'existence et le monde tel qu'il est mais qui ne demandent qu'à toujours apprendre. Je ne sais si après les travaux de rénovation du bâtiment (qui doivent durer jusqu'à la fin de l'année 2019), on baptisera la "nouvelle" médiathèque du nom d'un penseur, écrivain, peintre, etc - masculin ou féminin cela va de soi - mais ce lieu ne pourra jamais être dédié à une seule personne sinon à toutes celles et ceux qui au fil des siècles passés et du siècle actuel ont laissé leur empreinte si minuscule fut-elle dans les écritures romancées ou historiques, poésies, biographies et autobiographies et aussi à toutes celles et ceux qui vont à cette médiathèque pour lire, emprunter, discuter, écouter. Je fus aussi aidé par le colloque auquel j'assistai en octobre dernier au Couvent des Minimes sur le thème "Perpignan pendant la Première guerre mondiale" où les intervenants qui s'y sont succédé ont savamment parlé de la vie quotidienne dans une ville éloignée du front mais impliquée jusqu'au cou ou même jusqu'à la Têt, vu le nombre de soldats perpignanais qui ont perdu la vie en combattant et dont les noms figurent sur le monument inauguré en novembre 2018 dont j'ai déjà parlé dans un chapitre précédent. En écrivant ces derniers mots, je n'oublie pas ceux des villages qui ne sont jamais revenus ; quand on pense que le seul monument aux Morts de Prats-de-Mollo dans le haut Vallespir comporte 120 noms ! Médiathèque, colloque, il me fallait cependant une troisième source d'information. Elle me fut offerte grâce à la lecture du journal L'Indépendant des Pyrénées-Orientales via des microfilms précieusement conservés et heureusement consultables par tout un chacun même s'il n'est pas chercheur ou historien. Des livres sur la Première guerre mondiale, il y en a beaucoup. Des livres sur Perpignan pendant la Première guerre mondiale, il y en a beaucoup moins. Je ne suis pas historien. Mais c'est après avoir assisté à ce colloque en octobre dernier que j'ai eu envie de rassembler les informations que j'avais entendues et notées sur un petit carnet et de les restituer en les enveloppant de réflexions personnelles.

 

La vie quotidienne à Perpignan entre 1914 et 1918 est la vie d'une ville confrontée aux problèmes que connait un pays en partie occupé et où l'absence des jeunes et moins jeunes hommes fait cruellement défaut. Car même durant une guerre, la vie continue, elle est bien obligée de continuer bon gré mal gré. En ville, il y a des problèmes liés à la guerre, au manque de marchandises, au manque d'argent... Cela entraîne pêle-mêle une forte hausse des prix sur les produits de première nécessité, des tromperies sur les marchandises, des difficultés d'approvisionnement, de la prostitution pour obtenir un complément de revenus, des infanticides, des avortements, de l'assistance à déserteurs, etc. A la campagne, la guerre n'empêche pas de devoir s'occuper des plants de vigne, des arbres fruitiers, du bétail. Pour pallier le manque de main-d'oeuvre, de très nombreux Espagnols (environ vingt mille) venant principalement de Catalogne, salariés agricoles, ouvriers, maçons vinrent remplacer ceux qui étaient partis. Mais le Roussillon, ce n'est pas que la vigne et l'horticulture sinon aussi entre autres la pêche (Banyuls, Port-Vendres et Collioure), les mines de fer du Canigou*, les carrières de marbre du Conflent, la production d'engrais, la fabrication de bouchon de liège en Vallespir, les conserveries, les tuileries, et puisque c'est la guerre, l'usine de fabrication de dynamite à Paulilles, l'usine d'obus de Perpignan... En ville, l'Union des Femmes de France, le Touring Club de France organisent des tombolas dont les recettes vont aux soldats sur le front et aux hôpitaux et ses personnels.

 

L'Indépendant des Pyrénées-Orientales - journal républicain quotidien (dont le siège se trouve en 1914 au 4 rue de la Préfecture je l'ai déjà dit) parait tous les jours ou presque et relate, outre ce qui se passe sur les fronts d'Europe et d'Orient, ce qui se passe en ville et hors les murs du plus important au plus dérisoire : Noms des morts au champ d'honneur, conseils de révision à venir, comptes-rendus des conseils municipaux, propositions de lois provenant des députés du département, offres et demandes d'emploi, horaires des trains, vols, bagarres, objets perdus ou volés, adresses des pharmacies de garde, etc. Le quotidien parle aussi du général, pardon du généralissime Joffre, qui, lors d'une visite d'inspection de divers régiment était "simple et cordial [et] s'est entretenu amicalement avec plusieurs soldats : l'un deux originaire d'Amélie-les-Bains a même eu le plaisir d'échanger avec lui quelques propos en catalan (...) Il a passé en revue le 53è de ligne et s'est déclaré pleinement satisfait de la mâle attitude de ce régiment". (Edition datée du samedi 6 février 1915) La "mâle attitude" ! Je vous laisse méditer sur cette expression qui en dit long sur la virilité des soldats prêts à combattre sans reculer. Le journal reprend aussi souvent les propos du député Emmanuel Brousse à l'Assemblée. Il est vrai que Brousse était l'âme du journal. La rue de la Préfecture s'appelle désormais rue Emmanuel Brousse même si le siège du journal a déménagé plusieurs fois depuis 1914. C'est donc grâce à la lecture du journal et de différents livres que je peux vous conter faits divers et anecdotes qui ont marqué l'histoire de Perpignan (et ailleurs) durant la Première guerre mondiale.

                     

* Dans la nuit du 10 février 1917, une avalanche surprendra les mineurs et leurs familles dans leur sommeil sur le site de Roca Gelera provoquant la mort de douze personnes.         

Rue de l'Argenterie (Perpignan)

Rue de l'Argenterie (Perpignan)

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