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23 avril 2019 2 23 /04 /avril /2019 11:53

"C'est l'invasion du style américain qui commence ; ça promet !" (dixit Misia Edwards en 1916)

 

Qu'elle soit ou qu'elle ne soit pas dite sur le ton de la plaisanterie, cette réflexion est symptomatique du regard que les Français portent sur les Etats-Unis. Car pour ce qui est des relations diplomatiques entre la France et les Etat-Unis, elles relèvent le plus souvent du je t'aime moi non plus. Si la France a bien aidé les Etats-Unis à conquérir leur indépendance, c'était avant tout pour faire la nique aux Anglais. La capitulation de Yorktown, ville jumelée avec Port-Vendres dans les Pyrénées-Orientales, assiégée par l'armée franco-américaine sous les ordres de Washington et de Rochambeau, capitulation donc rendue possible par la victoire navale remportée sur les Anglais dans la baie de Chesapeake, le 5 septembre 1781, par le comte de Grasse, La Fayette, l'Hermione, voilà quelques noms qui fleurent bon la présence française aux Etats-Unis. L'influence française y est encore bien visible : La capitale Washington DC a été construite selon les plans de l'architecte français Pierre Charles L'Enfant, La Nouvelle-Orléans a été fondée en 1718 par Jean-Baptiste Le Moyne, sieur de Bienville, sans parler de toutes ces villes qui portent des noms français comme Lafayette bien sûr (une quarantaine de villes aux Etats-Unis portent ce nom), mais aussi Baton Rouge, Abbeville, Charenton, Maurepas, Fond du Lac, etc. Mais les Etats-Unis seront répertoriés dans la nomenclature du ministère français des Affaires étrangères sous la rubrique des "pays divers" jusqu'en 1909, jusqu'à ce qu'un ancien locataire du Quai d'Orsay dans les années 1894-1898, Gabriel Hanotaux, crée le Comité France-Amérique dont la principale mission était de mettre en lumière auprès des dirigeants français l'importance et l'influence des Etats-Unis dans le monde.           

Au début de l'année 1918, il y eu les Quatorze points expliqués au Congrès américain par le président Wilson afin d'instaurer en Europe une paix durable et de créer un organisme international capable de mettre fin aux conflits qui pourraient avoir lieu parmi ses membres. Quelques mois auparavant, ce président qui gouvernait sur un Etat neutre n'aurait jamais imaginé être au centre des négociations qui aboutiront au traité de Versailles et à la création de la S.D.N.

 

Thomas Woodrow Wilson est né dans l'Etat de Virginie en 1856. Après des études à l'université de Princeton, il devient avocat puis professeur d'histoire et de sciences-politiques. En 1902, il est nommé recteur de l'université où il avait étudié. En 1910, il est élu gouverneur démocrate de l'Etat du New Jersey. Deux ans plus tard, le parti démocrate le désigne comme candidat à l'élection présidentielle du mois de novembre. Profitant de la division du parti républicain qui présente deux candidats, il est élu et entre à la Maison-Blanche le 4 mars 1913 en tant que 28ème président des Etats-Unis d'Amérique. Wilson est alors à la tête d'un pays qui vient de s'enrichir de deux nouveaux Etats : l'Arizona et le Nouveau-Mexique. En août 1914, son épouse meurt à l'âge de cinquante ans des suites d'une mauvaise chute. Elle est inhumée dans l'Etat de Géorgie auprès de ses parents. Wilson se remariera dix-huit mois plus tard avec Edith Bolling Galt. En 1916, Wilson est candidat à sa succession. Cette fois, point de chamaillerie au sein du parti républicain. Il n'y a qu'un candidat et il se nomme Charles Hughes. L'issue du scrutin est indécise. Tous les journaux des Etats-Unis comme ceux de France font imprudemment leur une sur la victoire du candidat républicain. Paul Morand écrivit qu'il fallut "rattraper toute la presse française qui s'était empressée de jeter par la fenêtre le cadavre du "germanophile Wilson", croyant Hughes élu". (1) Le dépouillement des voix dans les Etats de l'Ouest fera la différence. Celui qui avait fait campagne sur le slogan "Il nous a tenus hors de la guerre" était réélu. Germanophile, Wilson ? Disons qu'au début du conflit, il ménageait les descendants d'Allemands venus aux Etats-Unis pour trouver du travail et une vie meilleure. Des observateurs, spécialistes de l'histoire des Etats-Unis du 19ème siècle, s'accordent sur le fait que ces "Allemands" avaient vaillamment combattu durant la guerre de Sécession et que c'est eux qui avaient fait pencher la victoire du côté des Nordistes. Ces descendants d'Allemands vivent principalement dans les Etats du Middle West. Il s'en trouve aussi dans le Sud, en Louisiane et au Texas. En Louisiane, une ville s'appelle même Des Allemands, ville fondée dans la première moitié du 18ème siècle et qui est, de nos jours, la capitale mondiale du poisson-chat (catfish) car elle se trouve dans une zone importante de pêche et aussi de chasse aux canards. Au Texas, Castroville, à quelques miles de San Antonio, a été peuplée d'Alsaciens et de ressortissants du pays voisin de Bade à partir de 1845. Il est à noter que le cinéaste William Wyler qui réalisa Ben-Hur en 1959 est né à Mulhouse en 1902, quand l'Alsace faisait partie de l'empire allemand et qu'il a fait toute sa carrière cinématographique aux Etats-Unis. Mais Wilson aura vite maille à partir avec l'Allemagne dès 1915 et il se trouvera dans l'obligation de mettre fin à sa politique de neutralité. Le torpillage par des sous-marins allemands de paquebots battant pavillon américain ou britannique à bord desquels voyageaient de nombreux citoyens américains, le sabotage d'usines sur le territoire américain, les grèves de marins et de dockers organisées par des meneurs à la solde de l'Allemagne et "last but not least" la découverte du document allemand qui promettait aux Mexicains de recouvrer les territoires perdus en 1848 c'est-à-dire le Texas et le Nouveau-Mexique, forcèrent le président des Etats-Unis à intervenir dans le conflit. En avril 1917, sénateurs et représentants votaient la déclaration de guerre à l'Allemagne. Afin de préparer au mieux l'accueil des soldats américains sur le sol européen et aussi afin de demander des piastres (dollars en langage cajun) pour pouvoir continuer la guerre, le gouvernement français envoya aux Etats-Unis une délégation composée à sa tête de Joseph Joffre promu maréchal en décembre de l'année précédente et de René Viviani, ministre de la Justice du gouvernement Ribot. Tous deux seront reçus par Wilson à la fin du mois d'avril. Viviani prononcera plusieurs discours dont un sur la tombe de George Washington le 3 mai. Après la signature de l'armistice, Wilson s'embarque à New York pour l'Europe. A Paris, il est reçu par Poincaré et Clemenceau. En Angleterre, il fait un pèlerinage sur la terre de ses ancêtres paternels. Puis il se rend en Italie. Il est venu à Paris pour assister à la Conférence de la Paix qui doit élaborer le traité de Versailles. Il restera en France environ six mois hormis un bref retour aux Etats-Unis en février. A Paris, le président américain loge à l'hôtel Murat - sis au 28 de la rue de Monceau - dont le parc à l'époque s'étendait jusqu'à la rue de Courcelles. En la présence de ses interlocuteurs Clemenceau et Lloyd George, Wilson entend bien faire respecter ses Quatorze points et créer "sa" Société des Nations. Mais le président américain va se heurter à l'hostilité des républicains qui ne veulent pas entendre parler d'une organisation qui engagerait leur pays dans un système d'alliances contraire à leurs valeurs. "Isolationism first of course". La SDN est qualifiée par eux d'invention infernale. En novembre, lors des élections de mi-mandat, le Congrès passe aux mains des républicains. Leur chef, Henry Cabot Lodge, qui éprouve pour Wilson une haine implacable, fera tout pour contrecarrer les souhaits du président. Wilson entreprend alors une tournée épuisante à travers les Etats-Unis pour expliquer sa politique en espérant faire basculer le peuple américain en sa faveur et ainsi faire céder le Sénat. Mais affaibli par la maladie, Wilson est obligé d'abréger son périple et de rentrer à Washington. Le Congrès ne ratifiera pas le traité de Versailles en 1920 et refusera d'adhérer à la SDN qui deviendra un petit club franco-anglais. L'Allemagne n'entrera à la SDN qu'en 1926 au grand dam de l'Espagne qui la quittera à ce moment-là pour la réintégrer trois ans plus tard. Les Etats-Unis retourneront alors à leur isolationnisme favori et pour Wilson, la fin de son mandat sera physiquement et politiquement difficile pour ne pas dire lamentable. Lors des élections de 1920, il soutiendra le candidat démocrate James Cox qui forme un "ticket" avec Franklin Delano Roosevelt mais c'est le républicain Warren Harding qui sera élu. Ce même Harding qui, bien qu'en meilleure forme que Wilson, mourra en août 1923 dans l'exercice de ses fonctions, quelques mois avant l'ex-président démocrate (février 1924). En l'espace de six mois, les Etats-Unis enterreront deux présidents. Le vice-président Calvin Coolidge prête aussitôt serment. L'après-guerre sera surtout marquée par une suite sans fin de conférences sur la fixation des réparations et des dettes de guerre. A cause de ces dernières, les relations franco-américaines seront loin d'être au beau fixe. En 1926, on pensera avoir trouvé la solution en élaborant un échelonnement des paiements qui doit courir sur 62 annuités soit jusqu'en 1988 (!) Ce sont les accords Mellon-Béranger. Bien que retiré des affaires depuis six ans, Georges Clemenceau monte alors au créneau et écrit au président des Etats-Unis une lettre sèche et incisive dont le texte a été reproduit dans un livre de l'historien Jean Garrigues. Depuis sa retraire de Saint-Vincent-sur-Jard en Vendée, il écrit : "Venez lire dans nos villages la liste sans fin des morts et comparons si vous voulez ! N'est-ce pas "compte de banque", la force vive de cette jeunesse perdue ?" (2) Sur le Monument aux Morts de Prats-de-Mollo, petite commune fortifiée du Haut-Vallespir à une soixantaine de kilomètres de Perpignan, on peut lire le nom de cent vingts, j'ai bien dit 120 (mais je l'ai déjà dit dans un chapitre précédent), jeunes qui sont morts au champ d'honneur. Le Monument aux Morts de Gustave Violet qui s'élève à l'entrée du square Bir-Hakeim à Perpignan (voir photo ci-dessous) portait, lors de son inauguration en 1924 la mention "Aux 8 400 Roussillonnais morts pour la France", remplacée dans les années 1950 par celle de "Aux morts pour la France". 8 400 Roussillonnais sont donc morts au combat en quatre ans alors que le département des Pyrénées-Orientales comptait en 1911, 212 986 habitants. Perpignan a perdu 1 687 jeunes hommes alors que sa population totale était de 39 510 habitants, toujours en 1911.

 

Comme il paraît qu'en France tout finit par des chansons, ce chapitre finira par de la musique. En novembre 1918, les Français découvraient le jazz amené dans leur paquetage par les soldats américains. (Ils amenaient aussi le Coca Cola.) Même si on ne sait pas exactement quand le jazz est né ni comment ce mot de jazz est apparu, ce style musical envahira la France des années 1920. Aux Etats-Unis, les villes de La Nouvelle-Orléans et de Chicago sont considérées comme étant le berceau du jazz. Le jazz a succédé au ragtime rendu célèbre par le compositeur Scott Joplin décédé en avril 1917, et remis à la mode en 1973 par le réalisateur américain George Roy Hill dans son film intitulé "The Sting" (sorti en France en 1974 sous le titre L'arnaque) avec Robert Redford et Paul Newman. Sur le clavier d'un piano tout droit sorti d'un saloon de Far West, Marvin Hamlisch a joué pour ce film les plus beaux airs de Joplin : Solace, Pine apple rag et bien sûr The Entertainer. L'arrivée du jazz en Europe inspirera à Igor Stravinsky, en 1918, l'écriture de Ragtime pour onze instruments. En 1919, un jeune clarinettiste natif de La Nouvelle-Orléans s'embarque pour l'Europe afin de se produire au sein du Southern Syncopated Orchestra. Ce musicien talentueux est vite remarqué par le public et par Ernest Ansermet - celui-là même qui a dirigé l'orchestre lors des représentations de Parade au théâtre du Châtelet en mai 1917 - qui écrira dans La Revue romande : "Je veux dire le nom de cet artiste de génie, car pour ma part, je ne l'oublierai jamais : c'est Sidney Bechet." Sidney Bechet fera une brillante carrière en France, sur la Côte d'Azur comme à Paris, où il jouera avec d'autres musiciens non moins célèbres comme Claude Luter, Pierre Dervaux (futur président chef-d'orchestre des concerts Colonne) et Mowgli Jospin, demi-frère de l'homme politique français Lionel Jospin. Si je n'ai pas eu l'honneur de voir Sydnet Bechet sur scène à Paris ou dans les rues d'Antibes, j'ai eu le plaisir d'entendre un dimanche sous les arcades de la place des Vosges au début des années 1990, le Jacques Doudelle Jazz Orchestra dans lequel jouait à la batterie Daniel Sidney Bechet, fils de Sidney Bechet né en 1954. A la maison, on écoutait du jazz, principalement Sidney Bechet et Claude Luter, du "New Orleans Revival", et par la suite j'ai élargi ma discothèque avec l'achat de disques de musiciens talentueux comme McCoy Tyner, pianiste dans l'orchestre de John Coltrane, et de saxophonistes comme Stan Getz et Grover Washington Jr. sans oublier la musique de Dexter Gordon dans le film de Bertrand Tavernier Autour de minuit (1986). Le piano de Herbie Hancock, la voix de Bobby McFerrin, la trompette de Chet Baker, le saxophone de Wayne Shorter, les percussions de Tony Williams ont alors enchanté des dizaines de milliers de spectateurs. Paris sera pendant plusieurs décennies une des capitales du jazz avec le Slow Club - rue de Rivoli -, le Petit Journal Montparnasse et le Jazz Club Lionel Hampton à l'hôtel Méridien Etoile. A La Nouvelle-Orléans, "il faut abandonner toute idée préconçue pour chercher le jazz. (...) La meilleure façon de goûter le jazz est de se promener dans la rue, l'oreille à la traîne. Quand on aime ce que l'on entend, on entre, puis on ressort." (3) A Paris, au début des années 1920, il y avait un bar Le Gaya (rue Duphot à deux pas de la Madeleine) "alors, le samedi soir, nous y allions en bande. Nous jouions nous-mêmes du jazz. J'ai moi-même joué. (...) Ensuite Moyzès a découvert un local, rue Boissy-d'Anglas, et il y a transféré son bar. Il m'a demandé d'appeler ce bar Le Boeuf sur le toit." (4) Si on ne sait pas comment le jazz est né en Louisiane, on sait du moins comment il est arrivé en France. Cette France où on continuera de faire jouer des opérettes comme Phi-Phi d'Albert Willemetz, Sollar et Christiné, créée au théâtre des Bouffes-Parisiens le 12 novembre 1918, dont le refrain le plus connu sera repris en choeur par un public en pleine liesse due à la fin de la guerre : "C'est une gamine charmante, charmante, charmante..." Willemetz, décédé en 1964, fut successivement secrétaire de Georges Clemenceau (J'ai lu cela sur le site internet du ministère de la Culture, alors que je croyais qu'il avait été un haut fonctionnaire au ministère des Finances), directeur du théâtre des Bouffes-Parisiens et président de la Sacem. "Elle a vraiment un nom charmant : Aspasie... i... eu."

 

11 novembre 1918. La guerre était finie... ou presque. Les mobilisés rentreront petit à petit chez eux. Je pense souvent à la mine étonnée voire déconfite des enfants en train de jouer, qui aperçoivent soudain un homme sur le pas de la porte de leur maison et qui demandent à leur mère : "C'est qui ce meussieur ?" Et la mère de répondre : "C'est ton père !" Aïe ! Fini de jouer avec les copains, de se comporter en chef de famille, de faire les quatre cents coups en ville, etc. Pour beaucoup, le quotidien cessera d'être vécu sur un air de fox-trot ou de charleston et avec le paternel, de retour du front, en état de dépression avec ses angoisses et ses cauchemars, la vie sera dorénavant rythmée par les tambours et les fifres de la musique militaire. Il faudra marcher au pas. Mais ces jeunes polissons n'auront aucun souci à se faire quant à leur avenir car le paternel est revenu du champ de bataille avec une très bonne nouvelle. Cette guerre, c'était la der des ders.

                   

(1) Journal d'un attaché d'ambassade 1916-1917 par Paul Morand de l'Académie française (Editions Gallimard, 1996) 

(2) Le monde selon Clemenceau par Jean Garrigues (Editions Tallandier, 2014)

(3) La Louisiane aujourd'hui par Michel Tauriac (les éditions j.a., 1986)

(4) Jean Cocteau Portrait souvenir, entretien avec Roger Stéphane (RTF et Librairie Jules Tallandier, 1964)       

L'Allée Maillol et le Monument aux Morts de Gustave Violet (Perpignan)

L'Allée Maillol et le Monument aux Morts de Gustave Violet (Perpignan)

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