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19 septembre 2023 2 19 /09 /septembre /2023 15:44

 

 

 

  Relations amicales et artistiques entre peintres français et allemands de la fin du 19ème siècle au déclenchement de la Première Guerre mondiale :

 

 

Après les expositions Paris-Berlin, 1900-1930 (Rapports et contrastes France-Allemagne, art, architecture, graphisme, littérature, objets industriels, cinéma, théâtre, musique) au Centre Georges Pompidou (Paris, France) du 12 juillet au 6 novembre 1978, The Fallen - An Exhibition of nine Artists who lost their lives in World War One* au Museum of Modern Art d'Oxford (Angleterre) du 5 novembre 1988 au 15 janvier 1989 et plus récemment Expressionismus in Deutschland und Frankreich - Von Matisse zum Blauen Reiter**, exposition itinérante, Zurich (Suisse), Los Angeles (Etats-Unis), Montréal (Canada) entre 2014 et 2015 et Collioure, Babel des arts au Musée d'Art Moderne de Collioure (France) du 11 juin au 2 octobre 2022, continuons de nous intéresser aux relations amicales et artistiques entre peintres français et allemands de la seconde moitié du 19ème siècle au début de la Première Guerre mondiale afin de se rendre compte que les frontières n'étaient pas fermées, que le dialogue n'était pas rompu, que des échanges et débats d'idées avaient lieu entre ces deux pays pourtant ennemis héréditaires. Pas d'affrontements violents sur des champs de bataille pour ces artistes qui ont pacifiquement oeuvré devant palettes, modèles et chevalets, contrairement aux gouvernants qui se recevaient mais s'observaient avec méfiance et condescendance, parlaient course aux armements, encerclement diplomatique jusqu'à la fatale mobilisation générale d'août 1914. Gouvernants pressés qu'ils étaient d'en découdre pour assurer leur prépondérance, leur mainmise, leur prestige sur les continents européen et africain. Seuls les chefs d'Etat ont le pouvoir de fermer les frontières ou d'en modifier les tracés ; l'art, comme les eaux, les traverse prestement en les ignorant dédaigneusement. Voltaire n'a-t-il pas écrit ? dans une lettre adressée de Berlin en 1750 : "Je vous écris (...) en jetant les yeux sur la rivière de la Sprée, parce que la Sprée tombe dans l'Elbe, l'Elbe dans la mer, et que la mer reçoit la Seine, et que notre maison de Paris est assez près de cette rivière de Seine." (1)

 

 

Pour débuter cette série d'articles sur les artistes français et allemands qui se rencontraient pour travailler, étudier, exposer ensemble, commençons étrangement par un détour par Rome. Alors que l'automne approche à grands pas, que les jours diminuent, que le soleil se fait moins ardent, que le mercure ne s'affole plus, le journal français Le Monde consacrait, en juillet dernier, des articles sur "une canicule inédite dans l'hémisphère Nord : plus de 35° en Italie..." (2) et parlait de ces "chaleurs extrêmes qui frappent l'Italie, ces derniers jours, [qui] ne font pas pour autant revenir la question écologique dans le débat public" (3). Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) a plusieurs fois séjourné à Rome dans les années 1780. Le 1er août 1787 il écrit : "Tout le jour j'ai travaillé et suis resté tranquille à cause de la chaleur. Ma meilleure joie par cette grande chaleur c'est la conviction que vous aussi devez avoir un bel été en Allemagne." (4) Quelques jours plus tard, le 11 août précisément, il écrit : "Nous avons un ciel tout à fait égal et serein, au plein milieu de la journée une chaleur épouvantable, à laquelle j'échappe assez dans ma salle fraîche." (4) Mais Goethe n'est pas à Rome pour rester seul, tranquillement entre ses quatre murs. Il fréquente ses compatriotes et visite avec eux les musées de la ville dite éternelle. Le 27 juin - nous sommes toujours en 1787 -, il écrit : "J'ai été avec Hackert à la galerie Colonna, où les oeuvres de Poussin, de Claude Gelée, de Salvator Rosa*** sont réunies. Il m'a dit beaucoup de bonnes choses profondément pensées à propos de ces tableaux. Il en a copié quelques-uns et a étudié les autres à fond." (4) La galerie Colonna (Galleria di Palazzo Colonna) qui se trouve à deux pas de la piazza Venezia, ne se visite que le samedi. Pour l'anecdote, c'est dans sa Sala Grande que fut tournée une scène du film Roman Holidays (Vacances romaines) de William Wyler (réalisateur américain d'origine allemande né à Mulhouse en 1902) avec Audrey Hepburn et Gregory Peck**** . La galerie Colonna est remarquable par sa Salle des Paysages ainsi appelée pour ses nombreuses fresques aux sujets champêtres (Paysage fluvial, Paysage Montagneux, Paysage Rocheux, Paysage aux Etangs, Paysage Vallonné) réalisées par le peintre français Gaspard Dughet, beau-frère de Nicolas Poussin.

Goethe déambulant dans les salles de la Galleria di Palazzo Colonna avec le peintre paysagiste Jacob Philipp Hackert (décédé près de Florence en 1807) admire les oeuvres de Nicolas Poussin (1594-1665), peintre classique (L'Enlèvement des Sabines - 1637 - musée du Louvre), peintre religieux (Les Israélites recueillant la manne dans le désert - 1639 -, musée du Louvre), peintre érotique (Pan et Syrinx - 1637 - Gemäldegalerie de Dresde), qui a passé la plus grande partie de sa vie à Rome où il s'est marié avec Anne-Marie, fille de son compatriote Jacques Dughet et soeur du peintre Gaspard Dughet et où il est inhumé en l'église San Lorenzo in Lucina (face aux jardins du Palazzo Ruspoli). Poussin et Claude Gellée dit Le Lorrain (1600-1682) ont peint tous deux des scènes mythologiques, antiques, religieuses ou autres dans des paysages idéaux et leurs tableaux sont des réflexions picturales sur les rapports entre l'homme et la nature. Ils ne peignaient pas la nature d'après une observation réaliste (contrairement aux peintres hollandais) mais la recréaient à travers des thèmes de l'Antiquité. Ses voyages en Italie et ses nombreux séjours à Rome furent pour Goethe les fondements de sa période dite classique. Dès le début du 19ème siècle, il se mit à défendre le patrimoine et la peinture classiques s'opposant ainsi au romantisme naissant incarné à ses débuts par le peintre allemand Caspar David Friedrich (1774-1840) surtout connu pour son tableau peint en 1818 et intitulé Le promeneur au-dessus d'une mer de nuages, personnage peint de dos, solitaire et en méditation. L'écrivain Henri Brémond a publié, en 1923, un ouvrage intitulé Pour le romantisme dans lequel il écrit : "Tout romantisme professe une certaine dévotion envers le passé, dévotion qui est souvent accompagnée d'une certaine défiance envers le présent. Mais tous les romantiques ne donnent pas à cette dévotion les mêmes raisons, les mêmes objets. (...) Aux uns, le passé n'est que décor ou bibelot ; aux autres, il est ruine et sainte poussière ; à d'autres enfin, clef de voûte et ciment. Il amuse ; il ravit et désespère ; il inspire et soutient. Les diverses attitudes romantiques envers le présent répètent les mêmes contrastes : ceux-ci le trouvent ennuyeux, ceux-là mauvais, les troisièmes bon, mais incomplet et ne se suffisant pas à soi-même." (5)

 

Mais revenons à Rome où Goethe et Poussin ont tous deux séjourné, le premier au 18ème siècle, le second cent cinquante ans plus tôt, entre 1624 et 1665, date de son décès (hormis une courte période - 1640.1642 - où il rentre en France appelé par Louis XIII). Entre 1630 et 1650, une épidémie de peste s'abat sur la péninsule italienne, d'abord en Lombardie, puis à Rome. Poussin peint en 1631 La Peste d'Asdod (musée du Louvre), toile qui témoigne de la connaissance du peintre sur les conditions de sa rapide contagion : sur la toile, plusieurs hommes se bouchent le nez, un autre empêche un nourrisson de s'approcher du sein de sa mère déjà emportée par la maladie, au fond, deux hommes emmènent un corps caché sous un linceul. Heureusement Goethe n'eut pas à subir de quelconque épidémie à Rome, ville qui depuis le 15ème siècle était un passage obligé pour les artistes originaires d'Europe du Nord et où, au 18ème siècle, vivait une importante colonie allemande attirée par son climat et sa lumière. Rappelons, avant de clore ce chapitre, qu'une exposition intitulée Poussin et l'amour a eu lieu au Musée des Beaux-Arts de Lyon (France) entre le 26 novembre 2022 et le 5 mars 2023. Poussin peintre classique, religieux et érotique dont certains de ses tableaux ont été jugés si licencieux qu'ils ont été mutilés, découpés voire détruits dès le 17ème siècle. Quant à Goethe, écrivain, dramaturge et collectionneur d'oeuvres d'art, il finira sa vie à Weimar où il mourra en 1832.          

 

                

 

 

* Ceux qui sont tombés. Exposition sur neuf artistes qui ont perdu la vie durant la Première Guerre mondiale.

** L'Expressionnisme en Allemagne et en France de Matisse au Cavalier Bleu.

*** Salvatore Rosa (Naples 1615 - Rome 1673) est un des plus grands peintres napolitains du 17ème siècle, à l'imagination riche et fantasque.

**** Le film Roman Holidays (Vacances romaines) de William Wyler a été tourné à Rome entre juin et octobre 1952.

 

 

(1) Voltaire, Oeuvres choisies par Louis Flandrin (Librairie A. Hatier, 1946) 

(2) Le Monde, 16 juillet 2023

(3) Le Monde, 19 juillet 2023

(4) Goethe : Voyage en Italie (Italienische Reise). Aubier, Editions Montaigne, Paris, 1961 (édition bilingue)

(5) Pour le romantisme par Henri Brémond de l'Académie française (Librairie Bloud & Gay, Paris, 1923) 

 

 

Sources :

 

Poussin, la grande leçon classique par Sylvie Girard-Lagorce (Géo Art, Prisma Media, 2019).

Histoire de la peinture allemande par Françoise Serodes (Ellipses Editions Marketing S.A., 2001). 

Site internet du Musée des Beaux-Arts de Lyon : mba-lyon.fr

 

    

Vue de Rome depuis la colline du Janicule (fin 17ème siècle) d'un artiste inconnu (Musée Fabre, Montpellier)

Vue de Rome depuis la colline du Janicule (fin 17ème siècle) d'un artiste inconnu (Musée Fabre, Montpellier)

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