Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
1 mars 2024 5 01 /03 /mars /2024 10:27

 

 

Le passage de l'Opéra

                                             1924

 

 

 

Comme le passage des Panoramas qui relie depuis le début du 19ème siècle sur une centaine de mètres la rue Saint-Marc au boulevard Montmartre (dans le 2ème arrondissement de Paris) par plusieurs galeries communiquant entre elles, le passage de l'Opéra - ouvert en 1822 - qui reliait le boulevard des Italiens au théâtre de l'Opéra de la rue Le Peletier se composait de plusieurs galeries, deux étant parallèles comme "un double tunnel" (1) comme l'a écrit Aragon, la galerie du Baromètre et celle du Thermomètre reliées entre elles par une galerie perpendiculaire, la galerie de l'Horloge avec une sortie sur la rue Chauchat. Au 19ème siècle, Paris comptait environ cinquante passages dont la galerie d'Orléans (du Palais-Royal) surmontée d'une verrière longue de 65 mètres démolie dans les années 1930. Les fontaines de Pol Bury se trouvent sur son emplacement. Afin de se faire une idée de ce que fut la galerie d'Orléans, on peut toujours se rendre à Bruxelles (Belgique) et déambuler dans les galeries Saint-Hubert composées des galeries du Roi, de la Reine et des Princes. Actuellement, il ne reste à Paris qu'une quinzaine de passages ou galeries.

 

Mais revenons au texte de Louis Aragon paru en plusieurs segments durant l'été 1924 dans La Revue européenne et intitulé Le passage de l'Opéra. La galerie du Thermomètre s'ouvrait entre le café Biard et la librairie Eugène Rey "où l'on peut consulter à son aise les revues sans les acheter" précise l'auteur. L'enseigne du café Biard se révèle, bien que cachée en partie par un réverbère, sur la photo n°116 du livre de Georges Renoy cité dans le chapitre précédent. A gauche s'ouvre la galerie du Baromètre "au pied de l'étalage de la librairie Flammarion". Il est regrettable que l'auteur qui a reproduit dans son ouvrage coupures de presse, diverses pancartes et encarts publicitaires, n'ait pas croqué de plan du passage et de ses galeries avec les noms des boutiques, hôtels, cafés et restaurants. Mais peut-être qu'avec un tel croquis, l'imagination des lecteurs aurait été sacrifiée sur l'autel de la précision trop ciselée et du détail trop parfait. Comme il ne faut plus compter sur les récits et témoignages des personnes qui à la Belle Epoque et jusqu'en 1924 ont fréquenté le passage de l'Opéra - Aragon est décédé en 1982 -, il ne reste plus qu'à reproduire en esprit sa configuration et l'ambiance qui en faisait un passage animé et plein de surprises avec son "perpétuel va-et-vient de gens de tous pays et de toutes les conditions qu'arrêtent au passage les boniments fantastiques de rusés camelots et que regardent nonchalamment défiler les placides consommateurs assis à la terrasse des cafés". (2) Mais après tout, que vaudraient souvenirs, descriptions et anecdotes rapportées par celles et ceux qui ont déambulé dans le passage de l'Opéra au début des Années folles, après tant de décennies mortifères pour la mémoire et la restitution de la vérité vraie. Mais puisque je vous dis que la marchande de chapeaux était à côté du salon de coiffure pour hommes ! Le passage de l'Opéra, je l'ai bien connu, moi, j'y étais, diraient quelques personnes bien intentionnées qui s'érigeraient en mémoires du vieux Paris disparu, croyant par leurs affirmations erronées pouvoir impressionner leur auditoire puisqu'elles ZY étaient, avoir un ascendant sur celles et ceux qui ne l'auraient pas connu mais affirmant avec aplomb des détails imprécis voire inexacts confondant sans doute avec d'autres passages de ce quartier ou ayant rêvé des détails pourtant vus de leurs yeux vus. Comme avec le temps, va, tout s'en va, laissons donc ce passage devenir le passage de l'Opéra onirique. Laissons-nous guider - bien que le livre d'Aragon n'est pas un guide touristique façon Baedeker -, par sa lecture tout en dessinant soi-même ses contours par des détours propres à réinventer les maillons qui, mis bout à bout, formaient cet ensemble appelé passage de l'Opéra.

 

Les passages invitent à la flânerie. On ne peut parfois qu'y passer... vite. Certes. Mais on peut s'y arrêter aussi, aller de vitrine en vitrine se laissant aller à la découverte de marchandises, de nouveaux produits, de nouveaux objets que l'on n'a toutefois nulle intention d'acquérir mais que l'on regarde pour le seul plaisir de les regarder. Flâner, baguenauder, marcher sans but. "En 1839, a écrit le philosophe allemand Walter Benjamin, il était élégant d'emmener une tortue quand on allait se promener. Cela donne une idée du rythme de la flânerie dans les passages." (3) Dans un passage, on prend le temps, son temps. Pas de circulation automobile, pas de feux tricolores, pas de bousculade, peu de bruit. Les passages sont des chapelles où le verbe n'est jamais haut. On marche jusqu'à la sortie opposée et tiens, il pleut !, alors on revient sur ses pas, jusqu'à l'autre ouverture, celle qui déploie ses grilles sur le boulevard. Le passage est un parapluie, un passe-temps, une attractive distraction. Le passage protège contre les agressions de la ville, la foule pressée qui ne regarde rien ni personne, le tintamarre des klaxons, le vrombissement des moteurs. Dans un passage, on s'arrête, on regarde, on imagine. "La fantasmagorie du flâneur : déchiffrer sur les visages la profession, l'origine et le caractère." (3) Certains y viennent dans un but précis. Pour se faire tailler la barbe, les cheveux ou un costume, pour prendre une consommation, un repas, une collation dans un établissement qui offre des five o'clock à toute heure, des sandwiches variés, des pâtisseries gourmandes, pour acheter des mouchoirs et des chapeaux, pour écouter le dernier tango à la mode chez le marchand de musique, pour prendre une chambre dans le petit meublé banal et sordide du deuxième étage - eau chaude, eau froide et électricité à tous les étages - avec des chambres aux lavabos fuyards, aux cloisons moisies, aux tentures cramoisies, chambres tout confort où ont habité Marcel Noll et Charles Baron - amis d'Aragon - que l'on pouvait louer à la semaine ou au mois, petit garni au-dessus d'une maison de passe ou maison de tolérance mais cette dernière expression "ne peut se prononcer sérieusement" précise l'auteur. Car "ces galeries avaient la réputation d'être un lieu de galante compagnie", nous rappelle Jacques Hillairet dans son Dictionnaire historique des rues de Paris. Le luxueux hôtel de Monte-Carlo qui donnait sur la rue Chauchat, souhaitant préserver intacte sa réputation auprès des touristes locaux et étrangers ne se gênait pas pour affirmer "qu'il n'a rien à voir avec le meublé du passage". L'entrée de cet établissement de perdition (pas ce dernier mais l'autre ) par conséquent interdit aux moins de 21 ans se trouvait à proximité d'un marchand de cannes et du café Le Petit Grillon où Aragon avait ses habitudes, y ayant souvent joué aux cartes avec des amis durant des soirées entières. Mais c'est au Certa (téléphone : Louvre 54 49), café se trouvant dans la galerie parallèle mais appartenant au même gérant, que les Dadas se retrouvaient pour préparer leurs futurs quatre cents coups, happenings qu'ils trouveraient hilarant mais scandaleux pour le public et leurs victimes déjà lassés de leurs frasques. C'est dans la salle du Certa, enfoncés dans la banquette de moleskine ou perchés sur les sièges disposés autour de tonneaux que les Dadas ont un jour imaginé de donner des notes, comme à la maternelle, à des personnalités mortes ou vivantes selon leurs goûts ou leurs dégoûts, bien souvent au hasard. "C'est ce lieu où vers la fin de 1919, un après-midi, André Breton et moi décidâmes de réunir désormais nos amis (...) par goût aussi de l'équivoque des passages, et séduits sans doute par un décor inaccoutumé qui devait nous devenir si familier." Le Certa proposait une carte généreuse de boissons alcoolisées, bières, liqueurs, cocktails, un "porto rouge ordinaire, qui vaut deux francs cinquante". (4) Mais le Certa, plutôt celles et ceux qui y travaillaient et y servaient y passaient dans la crainte leurs derniers moments dans cet établissement créé il y a quelques décennies. Les marteaux piqueurs, les bulldozers, les pelleteuses viendraient bientôt se mettre en mouvement et faire disparaître le passage de l'Opéra et ses alentours malgré la virulente protestation des commerçants, des hôteliers et des gérants de sociétés. Contre les promoteurs encouragés par de grosses firmes (qu'Aragon cite mais dont les noms ici seront tus) un organe de défense des intérêts économiques du quartier de la Chaussée-d'Antin dirigé par Jean-Georges Berry (fils de Georges Berry, député du 9ème arrondissement de 1893 à sa mort en 1915) vit le jour, mais rien n'y fit, le passage de l'Opéra, ses boutiques, ses restaurants, ses cafés, ses hôtels, ses bureaux et son théâtre Moderne - créé en 1904 - où l'on jouait des pièces de série C et où l'on y voyait tout au plus "trente spectateurs les jours d'affluence", seront condamnés à disparaître et leurs propriétaires expropriés avec des indemnités de misère, en tout cas bien en deçà du prix des pas-de-porte référencés dans le quartier. Malgré des recours en justice, toutes et tous durent partir, trouver un emploi ailleurs (mais à cette époque il suffisait de traverser la rue pour en trouver un, n'est-ce pas ? Suivez mon regard !), refaire une autre vie sous d'autres latitudes. Toutes et tous entendaient déjà les démolisseurs approcher. "Cette araignée légendaire, déjà ils savent que c'est en janvier 1925 qu'elle les étouffera." Cet endroit deviendra alors le fantôme de l'Opéra.                                       

 

 

(1) Les phrases en italique sont issues du livre de Louis Aragon intitulé Le passage de l'Opéra paru aux Editions Gallimard en 1926 et réédité à plusieurs reprises depuis, dont récemment chez Folio en 2022. 

(2) Citation du Guide Conty : Paris en poche (1909) lue dans le livre Paris en cartes postales anciennes - Louvre-Bourse de Georges Renoy édité à la Bibliothèque Européenne/Zaltbommel en 1973. La librairie des Guides Conty se trouvait à la Belle Epoque à l'emplacement du numéro 4 actuel du boulevard des Italiens.

(3) Paris, capitale du XIXème siècle par Walter Benjamin (Cerf, 1989)

(4) A boire avec modération. Les Dada m'ont demandé de spécifier que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé.           

     

Passage Choiseul (2ème arrondissement) où au n°67 Marguerite Destouches a acquis en 1899 un fonds de commerce, magasin d'objets et de curiosités. Son fils, Louis Ferdinand futur Céline avait 5 ans.

Passage Choiseul (2ème arrondissement) où au n°67 Marguerite Destouches a acquis en 1899 un fonds de commerce, magasin d'objets et de curiosités. Son fils, Louis Ferdinand futur Céline avait 5 ans.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de louisiane.catalogne.over-blog.com
  • : Faire connaître la Louisiane et les Catalognes : Lieux, histoire et événements.
  • Contact

Recherche

Liens