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10 décembre 2011 6 10 /12 /décembre /2011 09:07

 

Aristide Briand, ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Pierre Laval depuis début février, tout comme de tous les gouvernements depuis juillet 1926, décide, après maints atermoiements, d'être candidat à la présidence de la République. Pourtant, plutôt que de s'installer à l'Elysée, Briand préfèrerait réserver tous ses efforts au succès de sa fédération européenne, au rapprochement franco-allemand, et à la S.D.N. "Jusqu'à la dernière minute, il est donc décidé à repousser toute candidature. Mais, à part Alexis Léger (*), son entourage l'y engage de plus en plus.

La veille de l'élection, j'étais dans l'appartement qu'Aristide Briand occupait maintenant au Quai d'Orsay, lorsque le sénateur Paul Doumer vient trouver Briand dans son appartement du troisième étage du Quai d'Orsay..'Si vous n'êtes pas candidat, je me présente !'

Briand certifie qu'il ne le sera pas. Mais les salons du bas sont envahis par une délégation de quatre-vingts sénateurs et députés de gauche conduits par un vieil homme politique, grande notabilité du parti radical, Gaston Thompson, accompagné du président Painlevé, de nombreux députés radicaux, et même par des hommes de droite. Tous demandent à voir Briand." (1)

Dans les dîners en ville, il n'est question que d'une possible candidature Briand. Le député Monteix raconte cette journée durant laquelle Aristide Briand, fatigué, malade, reçoit les parlementaires qui le poussent à être candidat : "Bertrand les laissa seuls et chercha, dans la nuit, un autre interlocuteur. Isabelle et Monteix avaient pris deux fauteuils au pied de la terrasse. Il entendit que Monteix parlait de l'élection présidentielle et d'une démarche qu'il avait faite la veille, auprès de briand :

- Il nous a reçus avec beaucoup de bonhomie et de scepticisme... Nous lui avons dit : 'Le pays vous réclame. - N'exagérons rien', a répondu Briand... Moi, j'ai pour lui une profonde affection ; c'est un homme si simple." (2)

Briand accepte, sous la pression de parlementaires enthousiastes, de se porter candidat. L'élection présidentielle a lieu le 13 mai 1931 à Versailles. "Monteix demanda si elle irait à Versailles, le lendemain. La baronne Choin l'avait invitée mais elle ne voulait pas accepter. Déjeuner avec les Saint-Astier et l'Amiral ? Non, elle préférait attendre les résultats à Paris. Monteix et elle convinrent qu'il lui téléphonerait de Versailles après l'élection et qu'ils iraient ensemble voir le retour du Président." (2)

Avant de partir pour Versailles, Pierre Laval invite Briand à déjeuner dans ses appartements de la Villa Saïd à Paris. Alexis Léger, qui pourtant ne quitte plus Briand depuis que l'état de santé de ce dernier est devenu si fragile n'est pas invité. Il y a seulement Tardieu et Maginot. "Chose curieuse, le régime si strict que tous les collaborateurs de Briand s'efforcent de lui faire suivre n'est pas servi ce jour-là. Chose plus curieuse encore, Briand est incité à manger et à boire à l'excès, aussi arrive-t-il au palais de Versailles physiquement très mal à l'aise.

(...) A 2 heures, les loges publiques de la salle du congrès sont combles pour voir successivement monter à la tribune 600 députés et 400 sénateurs déposer discrètement un bulletin dans une urne, puis revenir bien sagement à leur place !

Durant ce temps, Briand, assis sur une chaise dans les couloirs, est très entouré.

Un sérieux malaise physique l'envahit qui fait bientôt place à une indignation terrible, lorsqu'au moment du dépouillement du scrutin, on lui annonce que Doumer, au premier tour, le distance de 40 voix.

Au second tour, ses familiers viennent lui dire : 'Flandin, Maginot et Tardieu jouent contre vous dans les couloirs, bien que ce soit eux qui nous ont particulièrement poussés à vous présenter ! Ils font contre vous une double opération : ils vous ont poussé à vous présenter espérant ainsi vous ruiner complètement vis-à-vis de l'opinion publique et surtout vous discréditer comme ministre des Affaires étrangères !'

Briand retire sa candidature. Chancelant, très pâle, il se dirige alors vers la petite pièce où la tradition veut que le nouvel élu reçoive les félicitations de son concurrent malheureux, avant de s'offrir aux applaudissements du congrès.

Quelques instants plus tard, Briand de plus en plus souffrant, soutenu par Léger (*), monte lentement en voiture pour rentrer au ministère des Affaires étrangères.

Très calme pourtant, Briand supporte noblement cette humiliation dont l'unique cause est son déclin physique, alors très prononcé." (1) 

De leur côté les personnages du roman d'André Maurois attendent les résultats du scrutin. Pour le député Monteix, c'est l'indignation qui l'emporte : "Le lendemain elle passa un jour tranquille ; elle fit à pied quelques courses dans Paris. Les marronniers étaient fleuris. Elle rentra vers cinq heures. Monteix l'appela plus tôt qu'elle ne l'attendait.

- C'est honteux, dit-il... Nous sommes battus... Oui... Quatre cents voix... Oui, je reste pour le second tour, mais Briand n'est même plus candidat... Les Thianges vont me ramener ; Voulez-vous que nous nous retrouvions à huit heures, au coin de l'avenue du Bois et de l'avenue Bugeaud ?... Non, je n'aurai pas dîné... Nous irons chez un bistro quelconque...

(...) En dînant, il décrivit la séance :

- C'était lugubre... Les couloirs sentaient la trahison et le renfermé... Dès que le résultat du premier tour a été connu, un vide affreux s'est fait autour de Briand... Ce viel homme courbé, soudain seul au milieu de la Galerie des Glaces, c'était shakespearien... Je me suis approché ; il m'a dit avec un effort de gaieté : 'Que voulez-vous, ils ont voté pour leur Président'.

- Les Saint-Astier devaient triompher ?

- Oui, on n'entendait qu'elle... Elle glapissait au Trianon." (2)

 

Aristide Briand est mort le 7 mars 1932 ; Paul Doumer, l'heureux élu, a été assassiné le 6 mai 1932.

  

 

(*) Saint-John Perse, conseiller du ministre des Affaires étrangères au Quai d'Orsay.

 

(1) Geneviève Tabouis, Vingt ans de suspense diplomatique (1958, Albin Michel)

(2) André Maurois de l'Académie française, Le Cercle de famille (1932, Grasset)  

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