Neige et verglas : les congères

"Personne à nulle autre pareille, elle seule peut donc donner une âme à la glace et du coeur au mercure : le thermomètre 'restera désespérément au-dessous de zéro', 'le verglas a pris la relève du brouillard pour empoisonner les automobilistes', mais les pluies ne tarderont pas 'à pénétrer généreusement à l'intérieur du territoire'.

(...) Que la France cuise ou qu'elle gèle, qu'elle soit inondée ou rôtie, de toute façon c'est la catastrophe. Un martien arrivant à Paris il y a peu et voyant à la une d'un quotidien du soir en lettres énormes : C'EST LA CATASTROPHE ! aurait pu croire qu'il y avait la guerre. Il y avait six au-dessous. Mais il y avait aussi la guerre : la guerre qu'il fallait gagner contre le général Hiver.

(...) Météorologique, sociale, politique, la catastrophe est une de nos compagnes assidues. Non seulement nos politiques tirent du malheur et de l'abîme, son frère puîné, leurs meilleurs accents, mais sans eux nos grandes figures historiques ne connaîtraient pas la même gloire.

(...) Il peut paraître léger, à propos de catastrophisme, de passer ainsi de moins 6 à la Bérézina, mais ne sommes-nous pas les premiers à passer du rugby à Waterloo pour peu que notre Quinze soit battu en Angleterre ?

(...) Pour national qu'il soit, nous n'hésitons pas à étendre ce culte du catastrophisme à l'ensemble de la terre. En musique même puisqu'il n'est pas de raz de marée au Japon ou de tremblement de terre en Anatolie dont les vues désastreuses ne soient accompagnées au petit écran d'une musiquette funèbre, grâce à quoi le téléspectateur ne se sent pas seul face au malheur. Le malheur, comme le soleil, est personnalisé ; la météo et la politique étrangère intimement liées : l'orage gronde sur la Somalie, l'horizon est toujours bouché au Proche-Orient, le Marché commun est frigorifié."

Pierre Daninos, La composition d'Histoire (Julliard, 1979).