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11 août 2011 4 11 /08 /août /2011 14:22

 

Jean Moisson est allé, au cours de ses nombreux voyages aux Etats-Unis, à la rencontre des communautés francophones ou descendantes de Français de France ou du Québec, qui vivent dans les Etats du Middle West. En 1991, il a rendu visite, grâce à un guide-ambassadeur de choix du nom de Virgil Benoit, à de lointains cousins qui parlaient encore le français avec des accents normands ou poitevins dans le Dakota du Nord. Cet Etat du Nord des Etats-Unis, qui a une frontière commune avec le Canada, est entré dans l'Union le 2 novembre 1889 et a pour capitale Bismark. Il a une superficie de 183 000 kilomètres2 environ et est surnommé l'Etat sioux. Rappelons que Jean Moisson (1929-2011) a été administrateur de l'association France-Louisiane-Franco-Américanie pendant une quinzaine d'années et qu'il en a été aussi le vice-président.

 

"Indiens par le sang et en vertu de la définition légale, les Chippewas ne sont pas de culture indienne, mais française. Descendants de mariages mixtes entre indiennes et chasseurs, trappeurs, voyageurs et coureurs de bois français, leur langage est émaillé de mots ou de phrases françaises, leurs coutumes sont françaises, leur cuisine aussi : ils célèbrent les fêtes françaises et sont, majoritairement catholiques.

Leur parenté française remonte à quatorze ou quinze générations et, cependant, ceux que j'ai rencontrés, âgés pour la plupart de la soixantaine et plus, m'ont parlé français après que Virgil Benoit, qu'ils connaissent bien, les ait mis en confiance. Même muets, leurs noms suffiraient à déceler leurs origines françaises : Azure, Dumont, Parisien, Malaterre, Renault, Lafontaine, Laframboise, Larocque, Roussin sont quelques-uns de ceux que j'ai rencontrés ou relevés au cimetière de la réserve où toutes les tombes sont surmontées d'une croix.

La réserve des Montagnes de la Tortue est la plus petite en surface et la plus peuplée des réserves du Dakota du Nord. Les dimensions en sont, approximativement de 6 miles sur 12 (9,5 km sur 19) et la population d'environ 11 000 Indiens. Le centre économique, social et politique de la réserve est Belcourt, petite bourgade d'environ 3 000 habitants qui doit son nom au R.P. George Antoine Belcourt qui fonda, en 1848, la première école ouverte aux Indiens des Montagnes de la Tortue. En dehors de cette bourgade, l'habitat est très disséminé et, situé généralement à proximité des routes de graviers, les maisons Chippewas, faites de bois, sans étage, comportent un confort assez complet. L'électricité est presque partout et, avec elle, réfrigérateur et télévision sont présents dans presque chaque foyer.

Cependant, l'économie est pauvre et les emplois peu nombreux. Bien que la majorité des Chippewas vivent à la campagne, peu d'entre-eux tirent leurs revenus de la terre. Albert Roussin, l'un de ceux que j'ai interrogés sur leur mode de vie, évoquait avec une pointe de nostalgie l'époque de la chasse aux bisons, aujourd'hui disparus, à l'exception de quelques têtes élevées plus pour la tradition que le revenu qu'elles peuvent procurer.

Ce qui m'a frappé, dans les foyers que j'ai visités en compagnie de Virgil Benoit, c'est le sens de l'hospitalité, la bonhomie et une certaine joie de vivre que l'on trouve partout. Ici, Alexandre Larocque, métis Chippewas (Michif dans leur langage) prend son violon pour me jouer quelques vieux airs du folklore local, fier de me dire qu'il jouait parfois à la messe. Là, Dorothy Page, fille de Rose Azure, prend sa guitare et me joue... 'Le petit chien dans la vitrine' en ... Michif et bien que notre visite n'ait été annoncée que peu de temps avant par un coup de téléphone, sandwiches, melon, 'beignes' (beignets) et café nous attendaient à notre arrivée.

J'ai enregistré quelques conversations avec mes hôtes Chippewas, tant il me paraît hélas, évident que dans quelques années le français ne sera plus parlé dans ce coin reculé des Etats-Unis. Je voulais conserver ces enregistrements comme un témoignage de ce que j'ai eu la chance de vivre pendant ces quelques jours passés dans ce lieu, presque magique.

J'entends encore Albert Roussin, septuagénaire taillé comme une armoire normande, me dire, avec son accent du terroir : 'Mon grand-père, Eustache Roussin pi ma grand-mère, Madeleine Champagne i m'ont adopté à la naissance pasque ma mère al est morte en m' mettant au monde ; Ceuselà, ça parlait pas mal le français. L'père de ma grand-mère, Jean-Baptiste Champagne y zont v'nu icite, partis du Canada, pour courir l'beuflo (buffalo) ; ça f'sait sécher la viande pi ça la mettait dans d'grands sacs coupés dans d'la peau d'beuflo, pour l'hiver. Après ça, ça ramassait des racines qu'ça f'sait sécher pour faire d'la médecine, pi ça f'sait quelques sous. L'hiver on f'sait l'bouilli avec la viande des beuflo, l'grand-père y prenait sa hache pi on coupait des morceaux, pi moi, j'avais un p'tit moulin pi c'tait ma job ed faire des boulettes. Moué j'ai été elevé icite pi plus tard j'ai batti cte maison-là pi j'suis resté icite pi j'mourrai icite... (franc rire)'

Lorsque j'ai quitté la 'réserve', j'ai eu l'impression de laisser derrière moi, quelque chose de familier que je n'entendrai, sans doute, jamais plus. Mais cependant j'avais comme une certitude que, dans cette partie du monde, subsisterait une empreinte indélébile, une certaine façon de vivre et de penser, une certaine joie de vivre, que l'on rencontre dans d'autres régions des Etats-Unis et qui resterait commune à ceux qui porteront à jamais, ici, les noms de Roussin ou Larocque, là ceux de Landry ou Thibodeaux.

Roulant sur la Highway qui nous ramenait vers le monde moderne, un moment oublié, je me pris à songer aux paysans normands, poitevins, vendéens qui eurent un jour le courage de partir pour toujours vers une terre lointaine et inconnue." 

  

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