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21 octobre 2011 5 21 /10 /octobre /2011 10:29

 

Mon père avait un ami, un seul. Dois-je dire un bon ami, un excellent ami, un fidèle ami ? Je ne vois là que pléonasmes. Leur amitié a connu des hauts et des bas, plus de bas que de hauts. Il l'avait connu dans un camp de vacances, un camping. Etait-ce en 36 ? Je ne le sais pas. Ils avaient passé de bons moments ensemble dans ce camp improvisé de leur première escapade loin de l'autorité parentale : les soirées à rire éperdument, les repas pris en commun sur des tables interminables, les promenades sur la plage. C'était la première fois qu'ils voyaient la mer. Au fil du temps, ils se sont perdus de vue, puis retrouvés, fâchés puis réconciliés. Mon père avait un jour appelé une société pour lui demander d'effectuer un travail quelconque. Au bout du fil, Edmond, mon père avait immédiatement reconnu sa voix. Edmond avait du reconnaître la sienne, mais il avait semblant de rien. Une autre fois, alors que mon père était avec des collègues dans la rue, Edmond passe au même endroit avec sa mère. Mon père salue la mère d'Edmond ; ce dernier dit bonjour à tous les collègues de mon père mais pas à mon père. C'était l'époque des fâcheries pour des histoires d'argent, d'opinions politiques divergentes, etc. Edmond avait une station service. Mon père, pour le faire travailler, pour lui faire plaisir, faisait le plein chez lui, bien que le litre coutait plus cher qu'ailleurs. Mais Edmond, c'était Edmond et pas question de lui faire de la peine, même si parfois mon père disait de mauvaises choses sur lui. Cependant, alors qu'Edmond avait fait des siennes, peut-être une parole malheureuse, mon père décida de ne plus s'approvisionner chez lui. Plutôt faire deux kilomètres de plus que de lui acheter son foutu carburant, qu'il a dit mon père. La rupture était consommée. Cependant, sous la pression des voisins qui connaissaient bien Edmond et son étrange caractère, mon père, après quelques années d'ignorance, était retourné chez Edmond qui avait fait comme s'ils ne s'étaient jamais quittés. Ils sont retombés dans les bras l'un de l'autre en se souvenant du bon temps des débuts de leur amitié.

Mon père avait acheté un petit terrain près d'une rivière ; il y avait monté un chalet pour y passer les dimanches et une partie de l'été. Comme Edmond fermait sa station le dimanche et le lundi, mon père lui avait proposé de venir passer deux jours à la campagne. Edmond avait immédiatement accepté. Mais, comme Edmond adorait camper, pas question pour lui de dormir dans ce chalet mal ventilé où la chaleur, surtout l'été était chaude et démoniaque. Edmond dormirait sous la tente. Et quelle tente ! Il transporta dans son véhicule commercial une tente démesurée, un abri pour trente personnes. Il passa beaucoup de temps à monter les poteaux et tendre par-dessus la toile verte. Quand il eut fini, c'était déjà l'heure de déjeuner. Mais pas question de manger dans le chalet, non, il invita mon père à tourner l'agneau sur une broche au-dessus d'un grand feu et à partager son festin sous la tente. Tu vois, lui dit Edmond, ma vie, c'est sous la tente. Mon père ne savait pas son ami si épris de tourisme vert, lui qui avait gagné beaucoup d'argent à vendre son essence, surtout au moment du premier choc pétrolier, même du second. C'était inattendu de voir cette tente immense à côté du petit chalet de mon père. Edmond voulait-il écraser mon père de sa super-puissance ? Edmond devait rester chez nous pendant deux jours ; il passa cinq longs jours sur le terrain de mon père. Cinq longs jours durant lesquels il reçut les voisins à qui il offait le thé et le café. Il est inutile de dire qu'au village, les gens jasaient : il y avait les pro et les anti-Edmond. Les pro admiraient cet art de vivre sous la tente dans un milieu bâti comme s'il se fut agi d'un désert ; les anti dénonçaient la bienveillance de mon père et disaient que l'autre exagérait, que mon père n'était pas un paillason sur lequel on peut s'essuyer les pieds indéfiniment. Edmond prenait goût au tourisme vert sous sa tente verte grassement offert par mon père. Quand Edmond se décida à replier la tente, ce fut de nouveau la rupture. Il n'était question ni de l'inviter une seconde fois, ni de s'approvisionner chez lui, mais de l'ignorer définitivement. La guerre était déclarée. Edmond est mort il y a une semaine. Mon père va-t-il envoyer les condoléances à sa famille ? Ira-t-il à ses funérailles ? Au moment où j'écris ces lignes, aucune décision n'a été prise, et quand mon père est fâché, il l'est même quand un ami de nouveau respectable s'éteint.     

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