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3 avril 2019 3 03 /04 /avril /2019 10:14

"... Mme Lacroix dont le fils unique est au front. La lettre qu'elle a reçue de lui hier était du 22. Sortira-t-il de cette traversée de l'enfer ?" André Gide (*)

 

Tandis que le journal de Clemenceau L'homme enchaîné est suspendu en août 1915 pour une durée de quatre jours par la censure après qu'il ait émis des critiques envers le général Joffre, L'Indépendant des Pyrénées-Orientales publie le 18 juillet un article intitulé : "En Joffre va salvar la França." Le général natif de Rivesaltes demeurait la personnalité préférée des poilus. Ces derniers continuaient d'avoir en lui une confiance éperdue quant à la suite des opérations. Le quotidien catalan, suspendu en septembre 1914 comme on l'a vu dans un précédent chapitre - tout comme le quotidien royaliste Le Roussillon (dont le siège se trouvait au 1 de la rue des Trois Rois, actuelle rue des Trois Journées) pour avoir donné à ses lecteurs le lieu précis de destination d'un régiment, information précieuse qui aurait pu tomber aux mains de l'ennemi -, n'a été que peu frappé par la censure au cours du conflit. Parmi les articles qui n'ont pas eu l'autorisation de paraître dans ses colonnes, on peut citer pour l'année 1915 : "Départ des troupes" et "Nos prisonniers en Allemagne" (en février), puis "Front turc - Autour des Dardanelles" (en juin).

 

En août, la Chambre votait une loi proposée depuis juin par le député des Pyrénées-Orientales Victor Dalbiez (promu le 7 février courant au grade de sous-lieutenant). Cette loi promulguée au Journal Officiel le 19 août était une "loi assurant la juste répartition et une meilleure utilisation des hommes mobilisés ou mobilisables". 350 000 militaires seraient retirés du front et affectés dans les usines de fabrication d'obus et de fusils tandis que 150 000 autres seraient affectés dans les mines et dans l'industrie métallurgique, tous ayant l'interdiction absolue de faire grève. Cette loi révisait aussi la situation militaire de tous ceux qui avaient été dispensés de se rendre au front et que la population qualifiait d'embusqués. De la mobilisation jusqu'au mois de juillet 1915, aucune permission ne fut autorisée pour les soldats qui tous devaient obligatoirement demeurer à leur poste. Des permissions - voir chapitre précédent - avaient toutefois été accordées aux agriculteurs et viticulteurs pour aider leur famille aux travaux des vignes et des champs. Ces permissions ne concernaient toutefois pas les soldats sur le front mais seulement ceux de la territoriale et ceux demeurés à l'arrière dans les dépôts. La loi Dalbiez se voulait équitable quant à la délivrance des permissions entre les soldats au front depuis le début du conflit et les effectifs mobilisables qui n'avaient pas encore été engagés. Afin d'aider aux travaux agricoles pendant la période des labours et des semailles, les habitants des Pyrénées-Orientales apprenaient le 9 octobre 1915, que le ministre de la Guerre prévoyait "l'attribution de permissions de quinze jours à certaines catégories de militaires exerçant effectivement les professions suivantes : propriétaires exploitants, fermiers métayers, maîtres-valets, domestiques agricoles, ouvriers agricoles". En rapportant la décision du ministère, le préfet n'omettait pas de mettre en garde les maires des Pyrénées-Orientales que tout certificat de complaisance entraînerait pour eux des "inconvénients". Cette loi sera appliquée avec tous les excès qu'on imagine. "La nouvelle loi Dalbiez fait repasser une visite médicale à tous les soldats des services auxiliaires et réformés. On convoque même les aveugles", écrira Paul Morand dans son Journal d'un attaché d'ambassade.

      

A Perpignan, si la météo est souvent au beau fixe, les quelques averses qui arrosent de temps en temps la ville suffisent à perturber la distribution d'eau. "L'eau qui coule des robinets est boueuse." (29 mai 1915) Mais la météo consultée dans les numéros du journal catalan du 15 au 23 octobre 1915 fait état de belles journées. Youpi !, le temps est superbe et "la série des belles journées continue". Ce beau temps ne va hélas pas durer. Les habitants de Perpignan et des communes environnantes vont vivre, durant les six derniers jours du mois d'octobre 1915, un véritable cauchemar.

Des inondations, le département des Pyrénées-Orientales en a connues de nombreuses au cours des siècles. Je rappellerai simplement celle survenue lors de la terrible crue de la Têt en 1421 qui a entre autres emporté trois ponts à Villefranche-de-Conflent, celle qui suite à la crue du Tech en octobre 1763 a emporté douze maisons et provoqué la mort de onze personnes à Prats-de-Mollo, et bien sûr l'aiguat (averse en catalan) du 16 octobre 1940 qui a détruit une partie de Vernet-les-Bains et mis en émoi les habitants de Perpignan déjà durement touchés par le deuxième conflit mondial. Le dimanche 24 octobre 1915, alors qu'il pleut à verse tout l'après-midi et une partie de la nuit suivante sur tout le département des Pyrénées-Orientales, on ressent une secousse sismique principalement dans la partie du Roussillon proche de la mer, de degré 3 (sur l'échelle de Richter, géophysicien américain qui n'avait que quinze ans cette année-là !). Le lundi 25 et le mardi 26, les pluies incessantes font sortir la Têt et la Basse de leur lit. Le mercredi 27, les Perpignanais, bloqués chez eux la veille par la brusque montée des eaux qui atteint dans certaines rues le premier étage des immeubles, ne pouvaient que constater les dégâts. La Basse sortant de son lit vers onze heures avait déjà inondé les quais devant le tribunal et le Grand Hôtel (aujourd'hui siège du Conseil départemental), la place Arago, la place Bardou-Job, la rue du Rempart-Villeneuve, la place de Catalogne et le magasin "Les Dames de France" - où l'eau est arrivée à une hauteur de 1 mètre 30 -, la promenade des Platanes et suite à la crue du Réart, la voie ferrée Perpignan-Collioure est inondée jusqu'à Corneilla-del-Vercol. L'Indépendant s'inquiète pour ses rotatives et sa salle des machines "en bordure de la rue Lazare Escarguel dans laquelle l'eau de la Basse coule comme un fleuve." (mercredi 27 octobre) Les deux clubs de rugby ASP et SOP marqueront leur solidarité en jouant un match au profit des victimes de ces inondations le dimanche 31 octobre. On remarquera que les catastrophes dues aux caprices des fleuves nord-catalans ont souvent eu lieu en octobre. Le dixième mois de l'année -comme son nom ne l'indique pas - est le mois du huitième signe du zodiaque, celui du Scorpion, petit arachnide qui sort de sa torpeur en automne, saison qui se voudrait calme et reposante avec ses couleurs photogéniques - ce roux et cet orangé qui donnent au feuillage des arbres un caractère incomparable -, mais qui comme un empêcheur de tourner en rond et parce qu'il est gouverné par Mars, dieu de la Guerre, agit toujours sans compromis. Il est à noter que ni Joffre, ni Clemenceau, ni Dalbiez n'étaient du signe du Scorpion.

 

Victor Dalbiez proposera une loi destinée à venir en aide à la population des Pyrénées-Orientales victime des inondations. En 1915, il proposera aussi une loi tendant à réprimer l'exportation frauduleuse de produits ou objets dont la sortie a été prohibée pour sauvegarder l'intérêts de la défense nationale. L'importation des marchandises faisait aussi l'objet d'un strict contrôle. Le 28 octobre 1915, était inaugurée à L'Eldorado par les autorités militaires et civiles du département des Pyrénées-Orientales, l'Exposition anti-allemande dont le but était de "stimuler les commerçants français dans la lutte contre les produits austro-allemands". Certaines marchandises qui arrivent en France via l'Espagne en provenance d'Allemagne sont souvent des contrefaçons comme ces sucettes d'une marque française bien connue où apparaît sur l'emballage la tête du Kaiser - en lieu et place d'un pierrot aux yeux gourmands - à côté de la marque.

                                 

(*) Extrait du Journal d'André Gide (29 septembre 1915)           

La Basse à Perpignan

La Basse à Perpignan

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