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4 avril 2019 4 04 /04 /avril /2019 08:48

1916, année terrible, "an de disgrâce 1916" pour André Gide. 1916, c'est Verdun, l'offensive franco-britannique sur la Somme, la guerre sous-marine allemande, Joffre écarté du Haut Commandement mais promu maréchal de France.

 

Dès le début de l'année, les communications téléphoniques privées sont supprimées entre le département des Pyrénées-Orientales et les départements limitrophes ainsi que les communications interurbaines en provenance ou à destination de postes publics comme les hôtels, restaurants, garages, etc. Par mesure de sécurité nationale, il n'y a désormais plus d'abonnés aux numéros que vous ne pouvez plus demander.

  

La misère, pas seulement la misère pécuniaire, mais aussi la misère morale, intellectuelle, frappe dans le quartier Saint-Jacques en ce début janvier 1916. A la suite de lettres envoyées au procureur de la République par des voisins inquiets, on retrouve dans un logement de la rue des Farines, caché sous une capote de soldat, le cadavre d'un bébé de six mois, un bébé que la mère a laissé mourir de faim. Un bébé dont la mère occupe ce logement depuis que son compagnon a été mobilisé - il est alors dans les tranchées en Champagne - et dont le père, un sergent de passage, ne l'a pas reconnu. Cette histoire, on dirait un fait - hélas ! - divers, me rappelle un drame similaire survenu il y a quelques années en France, je précise en France parce qu'il y a tellement de reportages à la télé sur des faits divers qui se sont passés aux Etats-Unis. Une mère qui avait froidement tué et enterré son enfant en bas âge a fait croire pendant quelques heures à la police qu'il avait été enlevé - peut-être par son ancien compagnon - pendant qu'elle était descendue au bas de son immeuble pour fumer une cigarette en laissant la porte de son appartement entrouverte. Il faut être bien malheureux, bien faible, bien seul pour commettre un tel acte, et ensuite le nier. En juillet 1916, la mère sera condamnée par la cour d'assises des Pyrénées-Orientales à deux années d'emprisonnement. Et pendant ce temps au cinéma, les actualités projetées avant le film "nous donnent l'illusion de vivre la vie sublime de nos soldats". (L'Indépendant des Pyrénées-Orientales daté des 1er et 2 janvier 1916) Au Cinéma-Castillet, le film en question est "Les vainqueurs de la Marne", qualifié d'oeuvre patriotique de toute beauté.

  

Mais les faits divers et autres infractions aux bonnes moeurs cédèrent rapidement la place à un événement important : le venue à Perpignan d'une délégation espagnole francophile qui souhaitait aller à la rencontre des élus français pour leur apporter un soutien sans faille dans les épreuves que traversait le pays ami. En préambule à ce séjour, fut donnée, le 27 janvier au théâtre municipal de Perpignan, une conférence sur l'attachement des Espagnols à la France. Affirmant que jamais la culture allemande ne pourrait prendre racine dans l'âme espagnole, le conférencier - espagnol lui-même -, qui parlait devant un public nombreux dans lequel on pouvait compter de nombreuses personnes de la communauté espagnole de Perpignan, conclut en disant qu'il était nécessaire pour le bien des deux pays mais aussi pour le bien de l'Humanité tout entière que l'Allemagne soit vaincue. Deux semaines plus tard, des hommes politiques et des personnalités du monde littéraire et artistique en provenance de Barcelone - je n'aime pas beaucoup le mot "intellectuel" - arrivaient à Cerbère où ils furent accueillis par le maire de cette ville puis à Perpignan où ils furent d'abord reçus par Jules Pams, puis à la mairie par le maire Joseph Denis, puis au Grand-Hôtel pour un banquet, puis au théâtre municipal avant de visiter les blessés dans les hôpitaux de la ville. Les artistes espagnols faisant partie de la délégation étaient Angel Guimerà, Pompeu Fabre, Ramon Casas, Miquel Utrillo, Jose Maria Sert et Santiago Rusiñol. Les commerçants et les particuliers avaient été priés de pavoiser leurs vitrines et leurs fenêtres aux couleurs espagnoles et françaises. La nouvelle qui s'était répandue durant le trajet ferroviaire selon laquelle Angel Guimerà serait fait chevalier de la Légion d'honneur au cours de ce séjour perpignanais avait produit une énorme joie et une grande émotion parmi les délégués espagnols. Angel Guimerà, natif de Santa Cruz de Tenerife, était un auteur de pièces de théâtre à succès et un poète reconnu. Une rue de Perpignan porte son nom dans le quartier Saint-Martin. Le poète, heureux récipiendaire de la superbe décoration ne manquera pas de remercier par télégramme le président de la République française, Raymond Poincaré, et de lui transmettre "le respectueux hommage de [sa] vive gratitude et de [son] dévouement à la noble et douce France". Les journaux de Barcelone parleront sur cinq colonnes à la une de ces deux magnifiques journées en terre nord-catalane, journées qui auraient pu mal commencer, deux Allemands ayant tenté de se glisser dans la délégation espagnole pour y semer la zizanie mais mis en déroute en gare de Port-Bou. Ceci ne devait pas être pris à la légère car, en avril, on arrêtera un citoyen qui se disait être de nationalité turque, porteur de plusieurs cartouches de dynamite à qui le consulat d'Allemagne aurait fait miroiter une prime alléchante pour faire sauter le tunnel entre Cerbère et Port-Bou. Il y a quelques années on disait "info ou intox ?" Maintenant on dit : "Fake news ?"

 

Ce qui est tout à fait vrai par contre, c'est que le Castillet - monument emblématique de Perpignan - se transformera en Foyer du Soldat en novembre 1916 dans le but de procurer aux militaires en poste à Perpignan ou simplement de passage une maison où ils pourront, pendant leurs heures creuses, trouver refuge dans des salles chauffées et bien équipées avec bibliothèque, écritoire pour pouvoir rédiger leur correspondance à l'adresse de leur famille, restauration légère et foyer servant des boissons sans alcool, bref pour "pour soustraire le soldat désemparé aux tentations de la rue et des cabarets interlopes." (L'Indépendant des Pyrénées-Orientales daté du 28 novembre 1916) Non ! Je ne pensais pas que Perpignan fût, il y a cent ans, une telle ville de perdition. Ce n'est évidemment plus le cas de nos jours, vous vous en doutez bien.

          

1916, c'est Verdun, ai-je écrit plus haut. Je ne pourrais clore ce chapitre sans parler du héros du fort de Vaux qui a longtemps vécu à Perpignan : l'aspirant Léon Buffet. Né en 1896, instituteur en 1914, il est mobilisé dès le début du conflit et se trouve au fort de Vaux (au nord-est de Verdun) en 1916. Il lui est demandé de sortir du fort, encerclé par les Allemands, pour porter des messages urgents au Commandement. L'entreprise est périlleuse mais l'aspirant Buffet mène à bien la mission qui lui est confiée. Mais il compte bien retourner dans le fort au péril de sa vie. Il se porte volontaire pour faire parvenir des messages aux officiers restés à Vaux. Déjouant la surveillance de l'ennemi, il y parvient. Mais en juin 1916, le fort de Vaux doit se rendre. Léon Buffet, auréolé de son exploit, quitte la place la tête haute mais est fait prisonnier. Après la guerre, il enseignera à Perpignan, à Céret et à Narbonne. Il décédera en octobre 1966 et sera inhumé au cimetière Saint-Martin à Perpignan. Une plaque rue Voltaire (n° 19) rappelle que là était le domicile de l'aspirant Léon Buffet, héros du fort de Vaux.

  

L'Indépendant des Pyrénées-Orientales dans son numéro daté du 8 novembre 1916, comme d'ailleurs tous les journaux de France et de Navarre, fait ses gros titres sur la victoire du candidat républicain à l'élection présidentielle américaine. Les voix des Etats de l'Ouest seront décisives. Finalement, c'est Wilson, le candidat démocrate, qui sera réélu président des Etats-Unis d'Amérique avec un slogan utilisé par ses partisans : "Ils nous a tenus hors de la guerre." Pourtant le 3 février suivant, ce sera la rupture des relations diplomatiques avec Berlin et en avril, le Congrès américain donnera à Wilson l'autorisation de déclarer la guerre à l'Allemagne.               

Carrer Petritxol (Barcelone)

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