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31 octobre 2023 2 31 /10 /octobre /2023 16:42

 

 

Revenons dans le département des Pyrénées-Orientales, plus précisément à Banyuls-sur-Mer (en catalan, Banyuls de la Marenda). Banyuls est connu pour sa plage, pour ses vins et pour son Observatoire Océanologique (Laboratoire Arago) créé en 1881 par le professeur et académicien Henri de Lacaze-Duthiers. Dans son testament, l'éminent professeur a écrit : "J'ai beaucoup aimé Banyuls et c'est pour cela que j'ai acquis le haut du promontoire pour reposer là, tout près de mon laboratoire." Autre personnalité à avoir apprécié les charmes du port catalan, fut l'auteure-compositrice-interprète et écrivaine Teresa Rebull, femme libre et engagée qui est décédée à Banyuls en 2015. Outre les nombreux chais, on peut visiter la vieille église de la Rectorie (excentrée) entourée d'un cimetière où est inhumé le poète Louis Baills (décédé en 2021), l'église Saint-Jean Baptiste située en coeur de ville - dans l'hypercentre comme on dit maintenant - reconstruite aux débuts des années 1970 et les expositions artistiques dans la salle du rez-de-chaussée de l'hôtel de ville. A deux pas de là, entre la place du général Bassères et la rue Jean Bart via la rue Camille Pelletan, quinze panneaux "Dans les pas d'Aristide" nous informent sur la vie et la carrière d'un illustre Banyulenc : le sculpteur et peintre Aristide Maillol. Mais, me direz-vous après avoir lu cette description digne d'un guide touristique, quel rapport y a-t-il entre Banyuls-sur-Mer, Aristide Maillol et l'Allemagne du début du 20ème siècle ? C'est Maillol lui-même qui l'explique le mieux dans une lettre à un ami peintre : "Je suis surtout acheté en Allemagne, en France on n'achète rien", ainsi que dans une lettre adressée à son principal mécène : "Depuis que j'ai fait votre connaissance, il me vient beaucoup de sympathie de l'Allemagne". (1) 

 

Aristide Maillol est né à Banyuls dans une maison - qui ne se visite pas - située avenue du Puig del Mas. Seule une plaque sur la façade indique que le sculpteur y a vu le jour en 1861. Après une scolarité compliquée à Perpignan, le jeune Aristide rentre à Banyuls puis à l'âge de 21 ans (1882) suit des cours à l'Ecole des beaux-arts de Paris, étudie la peinture et la sculpture. Car, avant d'être le grand sculpteur que l'on connaît, Maillol a d'abord été peintre (il a exposé à Paris au début des années 1890) avant de se tourner vers la tapisserie à partir de 1893. L'année suivante, exposant une tapisserie lors d'une exposition de La Libre Esthétique à Bruxelles (Belgique), Paul Gauguin le félicite : "Maillol expose une tapisserie qu'on ne saurait trop louer", écrit-il en avril 1894. (2) A Paris cependant, il connaît la misère pendant vingt ans, jusqu'en 1902, année durant laquelle le marchand d'art Ambroise Vollard l'expose dans sa galerie du 6 de la rue Laffitte (Paris 9ème) : tapisseries et statuettes et parmi elles Léda dont une version en bronze est immédiatement acquise par le romancier et critique d'art Octave Mirbeau. Le panneau numéro 7 du circuit "Dans les pas d'Aristide" rappelle que "parti du mythe de Léda, reine de Sparte, séduite par Zeus métamorphosé en cygne, Maillol supprime l'anecdote de l'enlacement avec l'oiseau et ne garde que la femme nue et son geste pur et pudique de la main". Autre visiteur à avoir été attiré par les oeuvres exposées chez Vollard est le comte Harry Kessler qui partage son temps entre Berlin, Weimar, Paris et Londres. La rencontre entre l'érudit et amateur d'art allemand et le sculpteur va changer irrémédiablement la vie de ce dernier. La période des vaches maigres est enfin révolue. "Si les aînés éprouvaient tant de difficultés à percer, que dire des jeunes comme Bonnard, Vuillard, Roussel, Denis, Aristide Maillol", écrira le galeriste quelques années plus tard. (3) 

 

En août 1904, Kessler se rend pour la première fois chez Maillol qui, quand il n'est pas à Banyuls, vit et travaille dans sa maison de Marly-le-Roi. Le mécène lui commande une sculpture d'abord intitulée Statue pour un parc tranquille qui dans les années 1920 sera rebaptisée Méditerranée. Maillol en fait plusieurs versions dont une première en bronze qu'il offre à la Ville de Perpignan et qui se trouve dans le patio de l'hôtel de ville. Cette sculpture qui sera présentée au Salon d'automne* de 1905 suscite dans la presse d'élogieux commentaires dont celui de André Gide pour la Gazette des Beaux-Arts. Dès 1905, des musées allemands, publics et privés (Berlin, Hagen, Brême, Francfort, Mannheim) acquièrent des oeuvres de Maillol. En 1906, Kessler enjoint Maillol à exposer à la Sécession de Berlin. Il va sans dire que l'appartement de Kessler à Weimar sur la Cranachstraße est à ce moment-là un "musée" dédié à Maillol, tout comme à Maurice Denis.

 

Aristide Maillol est grec par son art. Comme l'a écrit Kessler dans son Journal (en 1904), Maillol se tourne "de plus en plus vers les Grecs, et notamment les sculptures d'Olympie" préférant "l'art olympique de la haute Antiquité (...), c'est-à-dire l'art du Vème siècle av. J.-C." rejetant "les oeuvres plus élaborées de la basse Antiquité, réalisées à partir du IVème siècle". (1) Mainte et mainte fois repoussé, un voyage en Grèce avec Kessler a lieu entre avril et mai 1908. Rappelons en préambule qu'une exposition ayant pour titre Maillol i Grècia (Maillol et la Grèce) a eu lieu sur ce sujet au museu Frederic Marès de Barcelone du 27 avril 2015 au 31 janvier 2016.

Le 25 avril 1908, Maillol et Kessler embarquent à Marseille sur un paquebot à destination de Naples. Le comte Kessler espérait bien mener sur la route d'Olympie un aréopage de poètes, sculpteurs et peintres : outre Maillol, le poète autrichien Hugo von Hofmannsthal, l'architecte belge Henry van de Velde, le peintre français Maurice Denis et le peintre hongrois József Rippl-Rónai (ami de Maillol). Seul von Hofmannsthal accepta d'accompagner Maillol et Kessler dans le Péloponnèse. Après une visite de Pompéi et une navigation le long des côtes siciliennes, le comte et le "Grec" débarquent au Pirée, rejoints par von Hofmannsthal. Visite de l'Acropole et de son musée. Excursion à Eleusis  : entre Athènes et le sanctuaire empli de mystères (en fait des rites secrets pratiqués jusqu'au 4ème siècle de notre ère), Maillol compare la campagne grecque au paysage qu'il a vu entre Fitou (Aude) et Salses (Pyrénées-Orientales). Puis le trio visite le site de Delphes après avoir débarqué au port d'Itéa que Maillol compare à Banyuls : "A Itéa, on se croyait à Banyuls. C'est le même pays, mais sans maisons, désert." (1) Quatre heures et dix-sept kilomètres plus tard, le trio arrive enfin à Delphes. Visite du site archéologique : "Les ruines de Delphes ont été rendues au jour grâce aux fouilles systématiques de l'Ecole française d'Athènes qui débutèrent en 1892 sous la direction pendant les premières années, de Théophile Homolle." (4) Quand Maillol et Kessler visitent le site de Delphes, celui-ci est encore en train d'être fouillé. Jusqu'en 1902, on a procédé au dégagement du temple d'Apollon et du théâtre et plus bas sur le site, près de la Tholos (édifice circulaire), le nouveau temple d'Athéna, élevé vers 500 avant notre ère, récemment mis au jour, fut endommagé par un violent orage en mars 1905. A partir de 1903 jusqu'en 1906, fut relevé par anastylose (reconstruction d'un monument à partir d'éléments d'origine) l'édifice de style dorique appelé le Trésor des Athéniens construit vers 490 avant notre ère. Maillol compare le site de Delphes et les montagnes qui l'entourent à Banyuls bordé par le massif des Albères.    

Un différend ayant opposé Kessler à von Hofmannsthal, ce dernier décide de quitter précipitamment la Grèce. Le 15 avril, Maillol et Kessler embarquent à Itéa pour Patras. De là, ils gagnent Olympie.

 

Suite de ce séjour en Grèce dans un prochain chapitre...                     

 

 

* Rappelons que le Salon d'automne a été créé en 1903 par l'architecte et écrivain Frantz Jourdain qui, à la demande de nombreux artistes, souhaitait un salon sans jury ni récompense. Les vice-présidents du premier Salon d'automne étaient Georges Desvallières et Yvanhoé Rambosson, la présidence d'honneur étant confiée aux peintres Albert Besnard et Eugène Carrière. (Source : Matisse-Sembat - Correspondance - Une amitié artistique et politique, 1904-1922, textes rassemblés et transcrits par Christian Phéline et Marc Baréty, La Bibliothèque des Arts, Lausanne, 2004)            

 

 

(1) Catalogue de l'exposition Aristide Maillol organisée par le Georg-Kolbe Museum de Berlin et le musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, présentée à Berlin, Lausanne, Brême et Mannheim entre janvier 1996 et mars 1997. 

(2) Catalogue de l'exposition Gauguin - Les XX et la Libre Esthétique organisée salle Saint-Georges du 21 octobre 1194 au 15 janvier 1995 par le Musée d'Art moderne et d'Art contemporain de la Ville de Liège (Belgique). 

(3) Souvenirs d'un marchand de tableaux par Ambroise Vollard (Editions Albin Michel et Les Libraires Associés, Paris 1957). 

(4) Delphes par Basile Pétrakos, directeur des Antiquités (Editions Clio, 1977). Basile Pétrakos a été Ephore (directeur d'un établissement d'enseignement supérieur) des Antiquités de Delphes avant d'être Ephore des Antiquités de l'Attique et de mener des fouilles systématiques à Rhamnonte au nord-est d'Athènes face à l'île d'Eubée. Quant à l'archéologie français Théophile Homolle, il est né à Paris en 1848 et est décédé en 1925.

 

       

Aphrodite de Rhodes (Musée archéologique de Rhodes, Grèce)

Aphrodite de Rhodes (Musée archéologique de Rhodes, Grèce)

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