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3 novembre 2023 5 03 /11 /novembre /2023 15:15

 

 

"La Moselle et le Rhin se joignent en silence

C'est l'Europe qui prie nuit et jour à Coblence.

 

Ces deux vers de Guillaume Apollinaire nous rappellent que le poète français, né en Italie d'une mère native d'Helsinki et d'un père italien, a passé une année en Allemagne, de l'été 1901 à la fin de celui de 1902. Employé comme précepteur de la fille d'une vicomtesse d'origine allemande, française par son mariage, Apollinaire, qui selon sa carte d'identité est un sujet russe qui répond encore au nom de Guillaume Kostrowitzky, part, en août 1901, pour les bords du Rhin. Accompagnant la vicomtesse et sa dame anglaise de compagnie - dont le poète tombera amoureux -, il fait un périple à travers l'Allemagne entre février et mai 1902 : Cologne, Hanovre, Berlin, Dresde, Munich, Stuttgart, Darmstadt, Francfort, Trèves.  Au cours de ces douze mois passés outre-Rhin, Apollinaire ne se contente pas de jouer le parfait touriste, déambulant dans les rues, un guide Baedeker* à la main. Il s'imprègne de ce qu'il voit et de ce qu'il entend pour écrire par la suite de nombreux poèmes ainsi que des articles qu'il envoie, en France, à différentes gazettes et revues. Apollinaire a gardé des rudiments d'allemand appris au collège de Monaco où il a effectué une partie de sa scolarité. Apollinaire a aussi beaucoup voyagé durant son enfance.

 

Guillaume Kostrowitzky Apollinaire, toujours d'après cette carte d'identité établie à Paris le 20 août 1901, est né à Rome le 26 août 1880. Est-il né piazza Mastai** comme l'affirme une plaque apposée sur la façade d'un immeuble ou via del Babuino à deux pas de la piazza del Popolo ? Le saurons-nous un jour ? Ce secret aurait-t-il pu être percé lors de la grande exposition de 1960 au palazzo Barberini (Rome) qui lui rendait hommage et dont la préface du catalogue a été signée par Marie-Jeanne Duruy (1901-1980), agrégée de grammaire et professeure dans les années 1920 au lycée français de Rome ? Quoi qu'il en soit, Jean Cocteau - lors de son séjour à Rome avec Picasso en 1917 -, a écrit à Apollinaire une lettre dans laquelle il dit que "nous habitons la belle rue du Singe, où vous êtes né", preuve que l'information provenait d'Apollinaire lui-même. Mais le petit Guillaume ne reste pas longtemps à Rome. Avec sa mère et son demi-frère, il séjourne à Bologne puis arrive à Monaco en 1887 où il étudie au collège Saint-Charles. La principauté est gouvernée par Charles III puis après la mort de ce dernier en 1889 par le prince et navigateur Albert Ier (1848-1922) qui inaugurera le Musée océanographique en 1910. C'est l'époque où l'actrice Sarah Bernhardt triomphe à l'Opéra de Monte-Carlo (dirigé par Raoul Gunsbourg à partir de 1891) dans Fédora de Victorien Sardou et dans La Dame aux camélias de Alexandre Dumas fils. En 1898, Sarah Bernhardt triomphera, toujours dans cette même Salle Garnier de Monte-Carlo dans La Tosca de Sardou, Phèdre de Racine et Froufrou, comédie en cinq actes de Meilhac et Halévy. Mais Guillaume aura déjà quitté la principauté pour Cannes puis pour Nice avant de s'installer à Paris (1899) via Lyon. 

 

"Je suis Guillaume Apollinaire

Dit d'un nom slave pour vrai nom

Ma vie est triste tout entière

Un écho répond toujours non

Lorsque je dis une prière."

 

A Cologne, Apollinaire remonte la rue Haute (§ le poème d'Apollinaire intitulé Marizibill) qui mène au parvis de la cathédrale. Sur les bords du Rhin, à deux pas de la gare centrale, la cathédrale, dont la construction a duré plus de six cents ans, "est une basilique à cinq nefs avec un transept à trois vaisseaux" et un choeur "entouré d'une couronne de sept absidioles. (...) La patronne de la ville, sainte Ursule, et ses jeunes compagnes parent l'élégant autel de la Vierge construit par Stefan Lochner" (1), artiste natif de Meersburg, mort en 1451, chef de l'école de Cologne.   

"Ton dernier architecte ô Dôme devint fou

Ça prouve clairement que le bon Dieu se fout

De ceux qui travaillent à sa plus grande gloire.

 

Apollinaire descend le Rhin jusqu'à Bonn. "Néanmoins je préfère Bonn à Cologne", écrira-t-il. Puis plus au sud jusqu'à Coblence au confluent de la Moselle et du Rhin. Jusqu'à Bingen, Apollinaire se replonge dans les récits - souvent des légendes - rapportés par des chevaliers et des créatures imaginaires peuplant les nombreux châteaux qui bordent le fleuve, l'un des plus longs d'Europe avec ses 1 320 kilomètres. 

"Sur le chemin du bord du fleuve lentement

Un ours un singe un chien menés par des tziganes

Suivaient une roulotte traînée par un âne

Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes

Sur un fifre lointain un air de régiment.

Le château de Marksburg domine le fleuve à partir duquel ce dernier se perd dans des méandres dont celui de Boppard, ancienne ville impériale, Les ruines des châteaux de Sterrenberg et de Liebenstein précèdent ceux encore solides du Katz (Chat) et de Maus (Souris). Se dresse alors du haut de ses 132 mètres, le rocher de la Loreley cité dans bien des poèmes de la littérature allemande. 

"O belle Loreley aux yeux pleins de pierreries

De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie"

Bacharach, plus au sud, village entouré de vignes, aime exhiber ses maisons à pans de bois.

"A Bacharach il y avait une sorcière blonde

Qui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde"

Sur une île, le château de Pfalz, ancien octroi, tel un navire, s'élève au milieu du Rhin. Jusqu'à Bingen, forteresses et châteaux reconstruits ou simplement restaurés se succèdent. 

"Le mai le joli mai a paré les ruines

De lierre de vigne et de rosiers

Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers

Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes"  

 

Apollinaire admire la culture allemande, ses artistes, ses poètes ; il déteste l'empereur, l'empire, l'impérialisme.

 

A Munich, Apollinaire fréquente le cabaret Die Elf Scharfrichter (Les Onze Bourreaux) qui entre 1901 et 1904 attire de nombreux curieux et dont l'animation est assurée par onze chansonniers, chanteurs et autres plaisantins dont deux Français, Marc Henry, chansonnier né à Paris en 1873 et la chanteuse Marya Delvard née en France en 1874 et décédée près de Munich en 1965. Une des affiches publicitaires en a été dessinée par Thomas Theodor Heine (1867-1948), peintre et dessinateur originaire d'une famille d'industriels de Leipzig. Apollinaire s'inspire pour son poème La Maison des morts de l'exposition des défunts dans la vitrine de l'obituaire qui l'impressionne beaucoup. 

"Nous avons tant pleuré aujourd'hui

Avec ces morts leurs enfants et les vieilles femmes

Sous le ciel sans soleil

Au cimetière plein de flammes

 

A son retour en France, Apollinaire fonde Le Festin d'Esope - Revue des belles lettres qui paraît entre novembre 1902 et août 1904. C'est dans cette revue qu'il fait connaître la première version de L'Enchanteur pourrissant dont la version définitive sortira en novembre 1909 avec des illustrations de André Derain. A son retour d'Allemagne, Apollinaire gardera, jusqu'en 1914, des relations avec le pays, notamment avec ses avant-gardes.                 

 

 

* Les guides allemands de tourisme Baedeker ont été créés en 1843,  concurrencés par les guides anglais Murray et les Guides français Joanne qui en 1910 deviendront les Guides Bleus.

** La piazza Mastai a été peinte en 1877 par Alessandro Mantovani, huile sur toile exposée au Museo di Roma (piazza Navona 2) dont les riches collections évoquent l'histoire de la Ville éternelle du Moyen-Âge à nos jours. Quant à la via del Babuino qui va de la piazza di Spagna à celle del Popolo, on peut y visiter le musée-atelier du sculpteur Antonio Canova (au numéro 150) et à quelques pas de là une église anglicane construite dans les années 1880. 

 

(1) Les plus belles cathédrales - 100 chefs-d'oeuvre d'artchitecture, ouvrage traduit de l'allemand par Suzanne R. Planeix (1991 by I.P. Verlaggesellschaft Interational Publishing GmbH, Munich).

 

 

Sources :

 

Passion Apollinaire - La poésie à perte de vue par Laurence Campa et Michel Décaudin (Les Editions Textuel, 2004).

Les extraits des poèmes - en italique - de Guillaume Apollinaire cités ci-dessus ont été tirés de l'ouvrage Alcools (Editions Gallimard, 1944).  

 

           

Cologne (Allemagne)

Cologne (Allemagne)

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