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24 février 2011 4 24 /02 /février /2011 06:03

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L'Espagne en ces années 1760 était gouvernée par Charles III qui a d'abord régné sur Naples et la Sicile avant de prendre la succession de Fernand VI, mort en 1759 sans héritier. Epoux de Marie-Amélie de Saxe, il eut treize enfants et c'est un de ses fils, Charles IV qui lui succéda. Charles III apporta un souffle nouveau à la cour d'Espagne et modernisa Madrid pour en faire une ville digne d'une capitale européenne. Il mourut en 1788.

 

Casanova, dans ses "Souvenirs d'Espagne" poursuit son récit : "A mon arrivée à Madrid, je me vis assujetti à une visite des plus minutieuses. On s'assura d'abord si je n'étais pas porteur de ces fameuses culottes (1) ; on tâta mon linge et on le visita ; on secoua mes hardes ; on ouvrit mes livres, ou, pour mieux dire, mon livre, car je n'apportais en Espagne qu'une Illiade en grec. Cette langue, aux caractères diaboliques, parut suspecte aux commis de la douane. Ils se signèrent dévotement devant le volume, le portèrent à leurs oreilles, à leurs narines, et bref ils le confisquèrent : cependant mon Illiade me fut restituée trois jours après au café de la rue de la Cruz, où j'allai loger (...)

Je fus assez content de mon appartement de la rue de la Cruz ; seulement il n'y avait pas de cheminée. Les froids sont plus vifs à Madrid qu'à Paris, nonobstant la différence des degrés de latitude ; mais aussi Madrid est la capitale la plus élevée d'Europe. Les Espagnols sont tellement frileux qu'au moindre vent du Nord, même en pleine canicule, ils ne sortent pas sans manteau. Je ne connais pas de peuple plus rempli de préjugés que celui-là. L'Espagnol est, comme l'Anglais, l'ennemi des étrangers. Cela provient du même motif, d'une vanité extrême et exclusive(...)

J'ai dit que ma chambre était dénuée de cheminée ; ne pouvant supporter la chaleur suffocante du brasero, je voulus me donner un poêle. Après beaucoup de peines et de démarches, je trouvai un ouvrier qui me monta un poêle en tôle. Si Madrid possède un poêlier, c'est à moi que Madrid le doit, car je fus obligé d'apprendre à cet homme son métier. On m'avait indiqué la Puerta del Sol pour chauffoir : c'est l'endroit, en effet, où les habitants vont, enveloppés de leurs manteaux, s'exposer aux rayons du soleil ; mais je voulais simplement me chauffer, et non pas me rôtir."

 

La vie à Madrid ne sera pas longtemps pour Casanova un long fleuve tranquille. Dénoncé par son valet, il est arrêté au prétexte qu'il possède des armes et est emprisonné au Buen-Retiro, "autrefois château royal ; car Philippe V s'y retirait souvent avec sa famille pour y passer le temps du carême. C'était, comme on voit, toujours un lieu de pénitence." Invité à s'expliquer par écrit sur ses actes, il prend la plume et rédige le mot que voici : "Je suis Jacques Casanova de Seingalt, Vénitien, savant par goût, indépendant par habitude, et suffisamment riche pour ne rien demander à personne. Je voyage pour mon plaisir ; je suis connu de l'envoyé de mon pays, du comte d'Aranda (2), du marquis de Moras et du duc de Lassada. Je suis venu avec confiance en Espagne, et je ne crois pas avoir enfreint aucune des lois de cette monarchie ; cependant j'ai été arrêté et emprisonné avec des bandits ; il est vrai que c'est le fait de gens plus dignes que moi d'un pareil traitement. N'ayant rien à me reprocher, je dois apprendre à ceux qui me persécutent qu'ils n'ont aucune autorité sur moi, si ce n'est celle de me faire sortir d'Espagne, ce à quoi je suis tout préparé. On me reproche d'avoir en ma possession des armes prohibées ; je réponds que depuis quinze ans ces armes ne m'ont pas quitté : la raison, c'est que je voyage beaucoup et qu'il y a des malfaiteurs partout. D'ailleurs les commis de la douane ont vu ces armes à la porte d'Alcala et on me les a laissées. Si aujourd'hui on me les confisque, c'est qu'on veut un prétexte pour me persécuter." Grâce à ses relations, Casanova est libéré. Mais à la suite d'une intrigue, et parce qu'il est repoussé de tous, il est obligé de quitter Madrid. Il erre en Espagne, se rend d'abord à Saragosse (Il compatait parmi ses ancêtres un aieul espagnol originaire de cette ville) puis à Valence.

"Saragosse est fortifiée ; seulement l'église de Nuestra-Senora-del-Pilar (Notre-Dame-du-Pilier), située sur les remparts mêmes, interrompt la ligne des fortifications. Les habitants n'en regardent pas moins leur ville comme imprenable de ce côté ; ils sont fermement persuadés qu'en cas d'attaque, l'ennemi pourrait peut-être pénétrer dans la place, mais jamais par ce point-là(...) Je fus témoin des fameux combats de toros dont j'avais eu un échantillon à Madrid. Qu'on se figure un long et large espace fermé de barrières et entouré de gradins ; c'est l'arène. On y lâche un vigoureux toro, qui s'élance en mugissant, les cornes baissées, fournit une course, puis s'arrête tout à coup et regarde à droite et à gauche, comme s'il cherchait à découvrir son adversaire. Au même instant un homme à cheval (picadero) se précipite et au moment où la bête furieuse fond sur lui, le picadero détourne prestement son cheval, évite le toro et le frappe. Tout cela se fait avec la rapidité de l'éclair. Quelquefois, le toro tombe mort sous le coup de la lance de l'adroit picadero, mais il arrive le plus souvent qu'il n'est que blessé. Alors il s'acharne à la poursuite du cheval, et le perce de ses cornes ; assez souvent aussi le picadero est tué en même temps que son coursier. Quelques-uns de ces picaderos combattent à pied(...) A Saragosse les combats de toros sont plus brillants que dans la capitale, parce que l'animal est tout à fait libre dans l'arène ; aussi arrive-t-il souvent que les luttes se terminent par la mort de quelque combattant. Je ne vois pas l'intérêt qu'on peut prendre à ce spectacle : il faut être Espagnol pour en goûter le charme ; aux yeux d'un étranger il paraîtra toujours plutôt triste que réjouissant."

"Valence est la patrie du pape Alexandre VI, ce célèbre Borgia, à qui le père Pétau, jésuite, donne l'épithète indulgente de non adeo sanctus (3). En ma qualité de curieux, je visitai tout ce que la ville présente de remarquable, mais je fus loin de partager les admirations banales de tant d'écrivains qui en ont parlé ; c'est ce qui arrive toujours quand on se résigne à voir les choses de près et en détail. En effet, Valence, placée dans une position magnifique, non loin de la mer, baignée par le Guadalaviar, entourée de sites riants, sous un ciel toujours bleu et limpide ; Valence, riche surtout des plus belles productions végétales, où réside un archevêque, avec un clergé dont les revenus dépassent un million d'écus ; Valence, qui possède une noblesse nombreuse et distinguée, et les femmes, sinon les plus belles, du moins les plus spirituelles de l'Espagne, n'en est pas moins un séjour désagréable pour tout étranger." 

 

(1) Le port des hauts-de-chausses à braguettes était prohibé par l'inquisition.

(2) Le comte d'Aranda était le président du Conseil de Castille et selon Casanova "plus roi que le roi lui-même".  

(3) Pas plus saint qu'il ne faut. 

 

 

 

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