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18 mai 2022 3 18 /05 /mai /2022 14:26

 

 

Balades & anecdotes du mercredi (14)

 

 

Hormis les cinémas qui bordent les boulevards du Montparnasse et Saint-Germain dont les noms s'affichent en gros caractères et dont les titres des films et les acteurs qui y jouent attirent un public nombreux et varié, il ne reste plus beaucoup de salles dans le 6ème arrondissement. Les cinémas des rues Christine, Apollinaire et Saint-André-des-Arts, plus discrets que leurs voisins rattachés à de grandes compagnies, projettent des films anciens, la programmation changeant à chaque séance. Certains proposent des rétrospectives Luis Buñuel, François Truffaut, Eric Rohmer ou John Cassavetes, d'autres projettent dans la même salle le même film avec toujours autant de succès comme The Rocky Horror Picture Show de Jim Sharman où le spectacle est plus dans la salle que sur l'écran depuis plus de trois décennies. Je me suis laissé guider par Thélemm jusqu'au cinéma qui, entre la rue de Buci et la place Saint-Michel, programme le film de Agnès Varda que nous avions hâte de voir. Thélemm, que j'avais rejoint avec Munkki au carrefour de l'Odéon devant la statue audacieuse de Danton, nous fit passer par la rue du Jardinet qui mène à la Cour de Rohan. Munkki, plus dégingandé que jamais, perché sur des gambettes qui gambadaient au-dessus de pieds mal chaussés, avait du mal à nous suivre dans ce dédale de ruelles, de passages et de cours. Il n'arrêtait pas de souffler - je n'avais pas amené avec moi un camarade mais un énorme ventilateur - et de nous demander si c'était encore loin. Il ressemblait à l'un de ces animaux décrits en musique par Camille Saint-Saëns, compositeur qui a vu le jour dans cette rue en 1835. La cour du Commerce-Saint-André, passage pavé aménagé sur un fossé comblé de l'enceinte de Philippe Auguste - on peut encore voir, dans un commerce, une tour de la dite enceinte - nous mena à la rue Saint-André-des-Arts. Au n°8, une plaque y rappelle que Marat faisait éditer là son journal L'Ami du Peuple. Et Munkki, en regardant cette plaque, que Thélemm prenait en photo avec son portable, de fredonner un air du début des années 1980 en changeant un peu les paroles : "Là-baaaaas, on connait Marat..." Je ne lui connaissais pas un tel humour qui fit hausser les épaules de Thélemm. A main gauche, nous laissâmes la rue Mazet, calme mais quelconque avec ses immeubles sans joie des années 1970, contrastant avec l'agitation et le bouillonnement culturel qu'elle avait connus jusqu'au début du 20ème siècle. Sur une longueur d'une soixantaine de mètres et une largeur de six mètres seulement, la rue Mazet a été, du règne de Louis XIV à celui de Louis XVIII, tête de ligne des diligences pour le sud-ouest (Orléans, Tours, Bordeaux, La Rochelle) que l'on prenait à l'auberge du Cheval-Blanc (démolie en 1907), a fait chanter les clients du caf-conc des "Folies-Dauphines" dit aussi le "Beuglant" (nom qui s'étendra à tous les cafés-concerts de France et de Navarre) et qui a, durant une soixantaine d'années, attiré (au n°9) la fine fleur du monde de la littérature, des arts, des sciences et de la politique dans le restaurant tenu par Modeste Magny, ancien chef cuisinier chez Philippe, rue Montorgueil. Gustave Flaubert, Théophile Gautier, Ivan Tourgueniev, les frères Goncourt y ont organisé des dîners littéraires très animés. George Sand qui y participait aussi, allait souvent déjeuner chez Magny seule ou avec ses enfants et de temps en temps avec Félix Nadar quand ce dernier souhaitait tirer des portraits - bien sûr en noir et blanc - de la bonne dame de Nohant. Comme je suivais Thélemm par les rues et passages du 6ème arrondissement, je ne saurais dire si le ciné vers lequel on le suivait était rue Saint-André-des-Arts, rue Apollinaire ou rue Christine. De toute façon, au n°5 de cette dernière, nous n'aurions pas aperçu Gertrude Stein à sa fenêtre, sans doute trop occupée sans doute à admirer les Cézanne, les Matisse et les Picasso qu'elle avait acquis chez les marchands d'art depuis les années 1900.   

 

Zen et moi nous remémorons des souvenirs de collège. Si Svan a eu aujourd'hui une mauvaise note en français, Zen et moi les collectionnions aussi. Nous y allons chacun de notre petite anecdote. Zen, allongé sur sa banquette-lit, allumant une énième cigarette et consultant son portable en quête du sms d'une copine ou d'un pote ou d'un scoop faisant le buzz sur une quelconque plateforme, me raconte que dans une dictée où il fallait écrire "passion", il avait orthographié le mot avec un t : pation. La prof, en lui rendant sa copie, avait dit que "pation" ne pouvait que se prononcer "pattion" ; or si on met "usur" devant "pattion", on dit bien "usurpassion" et non "usurpattion". Et moi de lui raconter que dans une copie, j'avais écrit Baudelaire avec un e entre le b et le a : Beaudelaire. Le prof était tout heureux d'annoncer à voix haute à toute la classe qu'un élève ignare de ma trempe était incapable de bien orthographier le nom de l'un des plus grands poètes du 19ème siècle. Mais si le prof avait eu de l'humour ou de la repartie, il aurait dit : "Ah ! Comme Flaubert, vous écrivez Baudelaire avec un e !" En effet, Flaubert avait adressé un exemplaire de Madame Bovary avec une dédicace personnalisée mais le poète, voyant que l'expéditeur avait écrit "Pour Beaudelaire", avait rageusement biffé ce e qui écorchait son nom. Mais ça, c'était trop lui demander.

 

                  

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13 mai 2022 5 13 /05 /mai /2022 10:16

 

 

A partir du 25 juin, la grande exposition estivale du Musée d'Art Hyacinthe Rigaud de Perpignan (Pyrénées-Orientales) sera consacrée aux peintres Paul Gauguin (1848-1903) et George Daniel de Monfreid* (1856-1929) sous le titre : "George Daniel de Monfreid sous le soleil de Gauguin". Cette exposition permettra de découvrir des oeuvres de Gauguin qui ont appartenu à Monfreid et/ou qui ont été déterminantes pour sa carrière. "Ainsi le parcours aborde l'oeuvre de l'artiste dans sa dimension monographique et rétrospective, au rythme de quatre sections qui dévoileront : son attachement au paysage ; le dialogue subtil qu'il entretient avec Gauguin, au travers de leurs oeuvres réciproques ; son entourage familial et artistique autour de sa pratique du portrait." (1)

 

L'année 1886 marque une étape importante dans la vie de Paul Gauguin. Alors âgé de 38 ans, ce père de famille, cet "employé agent de change" qui connait des difficultés financières, décide de quitter Paris, son épouse et ses cinq enfants pour ne se consacrer dorénavant qu'à la peinture, lui qui a déjà exposé plusieurs fois lors d'expositions impressionnistes (entre 1879 et 1886) et dont quelques oeuvres ont été acquises par la marchand Paul Durand-Ruel. Mais Paul Gauguin veut fuir, veut rompre avec le genre de peinture ou "la peinture de genre qu'il pratiquait sagement, dans l'ombre de Pissarro". (2) Il lui faut partir loin , loin de ses déboires financiers, loin de la tyrannie du monde civilisé. Ce sera d'abord le Panamá où il se rend, avec Charles Laval, pour travailler sur le chantier de construction du canal sous la direction de Ferdinand de Lesseps**. Déçu par ce pays, Gauguin s'embarque pour la Martinique. Là, il peint Végétation tropicale (tableau ayant appartenu au compositeur Ernest Chausson - beau-frère du peintre Henry Lerolle - désormais à la National Gallery of Scotland d'Edimbourg) où le paysage est vierge et luxuriant, Gauguin ayant occulté la ville de Saint-Pierre pourtant dans sa ligne de mire depuis l'endroit où il a peint cette toile. A la fin de l'année 1887, il est à Paris mais rapidement part pour Pont-Aven où il avait déjà séjourné l'année précédente pour y retrouver une communauté de peintres composée entre autres de Paul Sérusier et Emile Bernard. Théo Van Gogh qui est le responsable de la succursale parisienne de Goupil & Compagnie (19 boulevard Montmartre) lui achètent des toiles. En octobre 1888, après moult hésitations, il consent à rejoindre Vincent Van Gogh qui arrange à Arles une "maison non pour moi seul, mais de façon à pouvoir loger quelqu'un", écrit-il à son frère Théo, ce quelqu'un étant ce Gauguin qu'il admire tant. Les deux peintres travaillent ensemble mais leurs rapports s'enveniment vite. Trois jours après une violente querelle entre les deux hommes, Gauguin quitte Arles à la fin de décembre 1888. L'année suivante est celle de l'Exposition universelle et de l'inauguration de la Tour Eiffel. L'Exposition prévue pour durer six mois réunit 56 300 exposants dans un triangle Champ-de-Mars - Trocadéro - Invalides (elle accueillera 33 millions de visiteurs). Volpini, propriétaire du Grand Café (14 boulevard des Capucines) souhaitant ouvrir un établissement temporaire à son nom le temps de l'Exposition, fait aménager un café au rez-de-chaussée du Palais des Beaux-Arts dans lequel le peintre Emile Schuffenecker suggère d'y accrocher des toiles, une centaine en tout. Gauguin refusant d'exposer avec Pissarro et Seurat et espérant damer le pion au courant pointilliste, propose une exposition marquée par une tendance "au synthétisme du dessin, de la composition et de la couleur, ainsi qu'une recherche de simplification des moyens (...) intéressante par ce temps d'habileté et de trucage à outrance". (2) Théo Van Gogh ayant déconseillé à son frère d'y exposer, l'art selon lui ne devant pas s'abaisser à être vu dans un café, les exposants sont outre Schuffenecker lui-même, Emile Bernard, Charles Laval, Paul Gauguin et George Daniel de Monfreid.

 

A suivre...

      

* Bien qu'orthographié de diverses façons dans les catalogues d'expositions et autres publications, le nom de Monfreid est ici orthographié George Daniel de Monfreid comme dans le programme janvier-juin 2022 édité par le Musée d'Art Hyacinthe Rigaud de Perpignan.

** Consul de France à Barcelone dans les années 1840 (une place porte son nom dans le quartier de Gràcia), Ferdinand de Lesseps qui a construit le canal de Suez, se lance dans le percement de celui de Panamá, mais en 1888, sa compagnie dépose le bilan : travaux et paiements sont suspendus ; de nombreuses familles sont ruinées. Le scandale n'éclatera que quatre ans plus tard. Les Etats-Unis reprendront le chantier à partir de 1904. Soutenant la création d'un Panamá indépendant aux dépens de la Colombie, la Canal Zone concédée aux Etats-Unis en 1903 ne repassera sous souveraineté panaméenne qu'en 1999.   

 

(1) Lu dans le programme janvier-juin 2022 édité par le Musée d'Art Hyacinthe Rigaud.

(2) Catalogue de l'exposition Gauguin - Les XX et la Libre Esthétique organisée à Liège (salle Saint-Georges) du 21 octobre 1994 au 15 janvier 1995 par le Musée d'Art moderne et d'Art contemporain de la Ville de Liège. 

 

Neuf planches de Emile Bernard tirées en zincographie (technique similaire à la lithographie mais où le zinc remplace la pierre) intitulées La Bretonnerie, montrées pour la première fois au café Volpini lors de l'Exposition universelle de 1889 ont été adjugées 448 000 € à Drouot en février 2022. [source : Connaissance des arts, n°814, mai 2022]  

 

 

Hommage à Gauguin (détail) par George Daniel de Monfreid (1925)

Hommage à Gauguin (détail) par George Daniel de Monfreid (1925)

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12 mai 2022 4 12 /05 /mai /2022 10:31

 

 

Les Rendez-Vous de Saint-Estève proposent le mardi 17 mai 2022 à partir de 18 heures 30 un débat (moment d'écoute et de partage) animé par M. Nicolas Marty sur le thème de "La crise catalane expliquée aux Français" au Théâtre de l'Etang de Saint-Estève (Pyrénées-Orientales).

 

Le catalanisme est une vision complexe qui s'exprime à travers un prisme politique très large, allant de la gauche radicale à la droite conservatrice. Le point de vue catalan s'inscrit pour l'essentiel dans un projet européen et libéral, toujours dans un axe démocratique, pacifiste et non xénophobe ; il mérite cependant une présentation circonstanciée. Cette situation est le résultat de la convergence de faits anciens et profonds et d'une crise récente (2010-2018).

 

L'objectif de l'animateur est de donner quelques clefs pour comprendre cette crise et d'en souligner les enjeux. Ceux-ci, loin d'être limités à un territoire pensé en Europe comme périphérique, nous plongent au contraire au coeur des défis auxquels les pays européens devront faire face à l'avenir.

 

M. Nicolas Marty, qui animera ce débat, est professeur des universités en histoire contemporaine, spécialiste d'histoire économique et sociale des 19è et 20è siècles. Il a été secrétaire général de l'association française d'Histoire économique, doyen de la faculté des lettres et sciences humaines de l'Université de Perpignan.

 

Débat (parrainé par Dom Brial) en entrée libre et gratuite dans la limite des places disponibles. Plus d'informations sur le site rdvse.fr, par téléphone au 06 81 37 71 58 et sur Facebook : Les-Rendez-Vous-de-Saint-Esteve

 

 

A Barcelone (Catalogne), le 10 novembre 2018

A Barcelone (Catalogne), le 10 novembre 2018

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11 mai 2022 3 11 /05 /mai /2022 11:00

 

 

Balades & anecdotes du mercredi (13)

 

 

Après la piscine, je retourne au Blomet. Je ne connais pas le nom de ce bistrot. Tous les riverains disent le Blomet. Le plat du jour est "Burger aux légumes de saison : 17€". L'heure passée dans un milieu hydrique linéaire m'ayant ouvert l'appétit, j'en commande un. A la table voisine, deux collègues, verre de côte du Rhône à la main et traditionnel steak frites dans l'assiette, parlent bruyamment. La préoccupation de l'un est très éloignée du quartier. Il ne parle pas de Gauguin venu s'initier à la technique du grès, vers 1886, dans l'atelier que Ernest Chaplet, ancien collaborateur de la Manufacture de Sèvres qui s'était mis à son compte, avait repris dans la rue Blomet. Il râle, rouspète, manifeste un vif mécontentement parce que son portable sonne et qu'il n'a pas envie de répondre à l'appel - encore ma femme, précise-t-il -, mais surtout parce qu'il n'a pas perçu l'indemnité inflation de cent euros promise par le ministre des Finances à celles et ceux dont le salaire ou la pension est inférieur ou égal à deux mille euros. Son cadre ayant rechigné à effectuer pour lui une démarche pourtant utile, il explique avoir lui-même envoyé un courriel à l'Urssaf qui lui a demandé de s'adresser à un site web, tu comprends tout se fait par internet maintenant, y a plus personne pour te renseigner, à l'heure de la convivialité, du partage et du lien social, tu n'as plus affaire qu'à des machines, des voix synthétiques, des hologrammes et j'en passe et tu vois j'ai pas que ça à faire. Je suis pas prêt de toucher l'oseille, ajoute-t-il en piquant plusieurs frites à la fois - frites qu'il a copieusement arrosées de ketchup - avec sa fourchette. Son téléphone sonne de nouveau ; son collègue consulte un sms. Et il ajoute que y a qu'en France qu'on voit ça, conclusion qui aurait fait bondir Philippe Delerm si lui aussi était venu au Blomet pour mordre dans un burger aux légumes de saison, à la viande trop cuite et à l'accompagnement mal assaisonné. Ah ! Si tout le monde comme Eugène Delacroix pouvait dire : "Au lieu de penser à mes affaires, je ne pense qu'à Rubens ou à Mozart : ma grande affaire pendant huit jours, c'est le souvenir d'un air ou un tableau." La contemplation de mon plat hambourgeois devenu - hélas ! - universel et la conversation de mes voisins de table me rappellent une anecdote. J'avais quinze ans et, pour les vacances de printemps, j'étais allé avec mes parents passer quelques jours à Saint-Cyprien-Plage. Nous devions tous trois rentrer à Paris par un train de nuit qui partait de Perpignan vers vingt-deux heures. A la gare, un employé nous avait annoncé que le train était annulé pour cause de grève - un mouvement dit social - encore un truc social - qui durait depuis au moins dix jours - et qu'il nous fallait revenir le lendemain, que le départ d'un Tgv était prévu pour sept heures, blablablabla. Nous avions cherché à la hâte et heureusement trouvé une chambre dans un hôtel du boulevard Wilson, près du Castillet. La chambre était petite - peut-être ne restait-il que celle-là de disponible en cette période de forte affluence - mais nous n'en avions cure sachant que nous n'y passerions que quelques heures, le réveil étant prévu avant le lever du soleil. Nous devions être à Paris le dimanche soir, mes parents reprenaient le travail le lendemain et j'avais cours à Bergson dès neuf heures. Le quai était bondé. A l'arrivée du convoi - on ne peut pas employer d'autres mots pour définir ce train affrété à la hâte -, il y eut une grande bousculade pour monter à bord de ce Tgv numéro .... qui, nous l'apprenions au même moment en direct live par haut-parleurs, ne partirait pas à l'heure. Nous voyageâmes debout toute la journée dans la voiture-bar. Autour de nous, voyageaient de jeunes et moins jeunes cadres dynamiques qui rentraient d'Istanbul et dont l'avion avait été détourné sur Barcelone pour cause de nuage volcanique provenant d'un cratère au nom imprononçable sauf pour les fans de Björk. Le trajet avait duré huit heures au lieu de cinq. Le lendemain soir, mon père était rentré tout sourire de son bureau. Il avait reçu un mail d'excuse dûment muni du logo de la compagnie nationale des chemins de fer français qui lui disait qu'un remboursement de nos trois billets interviendrait sur son compte dans les quinze jours sans aucune démarche de sa part. Deux mois plus tard, ne voyant pas la somme créditée, il avait envoyé une réclamation par courrier postal à l'adresse d'un bureau de Tourcoing qu'il avait trouvée, je crois, sur la pochette enveloppant les billets. Un mois plus tard, le service basé à Tourcoing lui apprenait qu'il était incompétent et qu'il lui fallait s'adresser à un service basé à Douai. Mon père avait renvoyé la réclamation par courrier postal à l'adresse du bureau de Douai qui lui apprenait deux mois plus tard qu'il était incompétent et qu'il lui fallait s'adresser au bureau de Tourcoing. Je vois encore la tête rouge de colère de mon père à son retour du boulot nous lisant à voix haute les quelques lignes écrites sur le papier qu'il ne tarda pas à froisser et à jeter rageusement dans son assiette au milieu des feuilles de l'artichaut qu'il venait de massacrer. Les collègues continuant d'avoir le verbe haut, demandent deux cafés et la douloureuse. Car il faut toujours payer, c'est comme ça ! Y a qu'en France qu'on voit ça ?

 

Je frappe à la porte de Zen. Il rentre à l'instant d'une leçon particulière qu'il vient de donner à son voisin Svan.

- Ça, plus mes cours, je suis crevé, me dit-il. Je lui faisais réviser l'histoire et maintenant je dois aussi lui donner des cours de français. Il a eu une mauvaise note cette semaine à un devoir sur table. Sa prof leur avait fait lire Histoires naturelles de Jules Renard et leur avait demandé d'imaginer des histoires courtes sur des animaux. Son devoir n'était pas trop mauvais jusqu'à ce qu'il écrive : la gazelle, elle gaze. Sa prof n'a pas du tout apprécié et lui a collé un 5 sur 20. Remarque, c'est pas plus idiot que ce que Alfred Jarry a écrit sur Edgar Degas.

- Ah oui ? Dis toujours !

- De Gas - parce qu'à sa naissance il s'appelait non pas Degas mais De Gas avec une particule - donc je reprends : De Gas, celui qui bec.

- ... !!!???

- Ça fait bec de gaz.

 

            

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10 mai 2022 2 10 /05 /mai /2022 13:55

 

 

L'association "Les Amis d'Alain Marinaro" propose un concert à la salle Novelty de Banyuls-sur-Mer le dimanche 15 mai 2022 à 17 heures. On y écoutera Sarah Rodriguez, magnifique soprano colorature, en compagnie de deux artistes de haut niveau que sont la harpiste Martine Flaissier et la flûtiste Claire Sala, dans un programme intitulé "Rêverie romantique".

 

Entrée : 12€ / 10€ pour les adhérents à l'association "Les Amis d'Alain Marinaro" / Gratuit pour les moins de 18 ans.

 

Plus de renseignements au 04 68 89 65 96 et sur le site alainmarinaro.fr/contact

 

Gâteau au chocolat et verre de Banyuls seront offerts à l'issue du concert.

 

 

  

Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales)

Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales)

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9 mai 2022 1 09 /05 /mai /2022 14:37

 

 

Le dimanche 15 mai 2022 à 16 heures, le duo Canticel, répondant à l'invitation de l'Association des Amis des Orgues de Céret, présentera un très beau concert intitulé "Chants d'Allégresse" dans la somptueuse église Saint-Pierre de Céret (Pyrénées-Orientales) et sur son grand orgue, un des plus admirables de la région.

 

La contralto Catherine Dagois, à la voix rare et profonde, accompagnée par l'organiste virtuose Edgar Teufel, vous offrira un voyage musical plein Sud, mêlant musique savante et art populaire, de l'ouverture du Bourgeois Gentilhomme de Lully à l'Agnus Dei de la Messe Solennelle de Rossini en passant par une oeuvre du compositeur de la Renaissance espagnole Francisco Ortega, les Indes Galantes de Rameau ainsi que quelques jolies surprises.

 

Catherine Dagois et Edgar Teufel, tous deux diplômés du Conservatoire de Stuttgart (Allemagne), vivent ensemble intensément leur passion de la musique à travers le monde avec plus d'un millier de concerts à ce jour donnés dans vingt-cinq pays sur quatre continents.

 

Concert du 15 mai avec libre participation.

Plus d'informations au 04 68 81 36 71 et sur le site internet de Canticel.

   

 

 

Le duo Canticel le 1er mai 2022 en concert en l'église Saint-Martin (Perpignan)

Le duo Canticel le 1er mai 2022 en concert en l'église Saint-Martin (Perpignan)

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27 avril 2022 3 27 /04 /avril /2022 10:58

 

 

Balades & anecdotes du mercredi (12)

 

 

Le square Saint-Lambert est calme en ce début de matinée. Peu de monde à cette heure-ci. Je n'y vois aucune équipe de tournage pour un documentaire sur la centaine de jeunes désoeuvrés et "déséquilibrés par les conditions de la vie moderne" (1), certains issus de familles recomposées qui vivaient à huit dans deux pièces et qui se réunissaient là pour y faire, au début des années 1960, les quatre cents coups. Seuls quelques femmes s'adonnent à leur tai-chi quotidien. La lenteur de leurs mouvements apporte encore plus de calme à l'espace vert de deux hectares qui fut aménagé sur la partie la plus accidentée du terrain qu'occupait jusqu'en 1930 l'usine à gaz de Vaugirard. Les immeubles qui l'entourent sont de style art déco comme le lycée Camille Sée de la rue Léon Lhermitte, construit en 1934. L'herbe étant encore humide pour cause d'averse récente, je m'assois sur un banc sous la statue des Oursons de Victor Peter. Un garçon au visage de préadolescent s'installe non loin de moi quelques secondes après. 

- Je t'ai vu au Blomet, me dit-il.

Il me semblait bien l'avoir aperçu au fond de l'estaminet dessinant sur un petit carnet à croquis. 

- Tu m'a suivi ?

- Hasard Balthazar. Moi c'est Munkki. J'habite le quartier. Quand je travaille pas, je descends au Blomet pour le ptit-déj et je croque les gens qui passent, les gens qui discutent, les gens qui lèvent le coude. Les gens, quoi ! Ce matin, j'ai dessiné la taulière du troquet. Comme disait Matisse, "je viens de croquer la patronne du café que jusqu'ici j'avais trouvée très jolie et je remarque qu'en la dessinant je n'ai pris que tout ce qu'elle avait de laid". (2) Je suis pas Matisse non plus, hein !, ajoute-t-il en me montrant son dessin au crayon. 

- Tu dessines pour le plaisir ?

- Ouais, j'aime bien ça. Ça passe le temps. Comme ça je suis pas bêtement sur mon portable. J'aime pas ça les portables. J'en ai pas d'ailleurs. Et toi, t'habites dans les parages ?

Je lui réponds que j'habite à Toulouse et que je suis à Paris pour quelques jours, que je suis venu assister à une réunion de travail sur... Mais Munkki ne m'écoute déjà plus ; il a rouvert son carnet et dessine de nouveau.

- Tu crèches où ? 

- Chez un pote rue François Bonvin.

- Ah ! Je le connais peut-être ? 

- Il s'appelle Zen.

Je précise qu'il est en ce moment à la fac, qu'il m'a mis dehors de chez lui à l'aube, que je n'ai pas eu le temps de prendre une douche, que c'est la raison pour laquelle j'ai pris le petit-déjeuner au Blomet, etc.  

- Zen, non, ça me dit rien ! Il est cool le quartier ; j'aime bien vivre ici. Je vais à la piscine Blomet maintenant. Tu viens ? Et il fait quoi ton pote Zen ? Quelles études ?

- Des études d'histoire. En ce moment, il bosse sur la Russie. 

- Il a de quoi faire alors ! Moi, j'aime pas l'histoire. 

Munkki donne encore quelques coups de crayon sur une page de son carnet et me montre gros nez, yeux exorbités, cheveux hirsutes, joues potelées, menton exagérément double. Si les traits du visage sont de lui, la bouche et le regard n'appartiennent qu'à moi.

- J'ai pas de maillot.

- Ils en louent à la caisse. Ce serait sympa, non, que tu viennes !

Nous nous dirigeons vers la piscine - bains-douches Blomet en passant devant le square de l'Oiseau Lunaire et sa sculpture de Miró. Munkki marche, parle, s'agite comme un enfant. 

- Dans un musée, me dit-il, il y a deux personnes avec une mauvaise vue qui regarde la toile d'un peintre espagnol. C'est quoi à ton avis tout ça ? C'est un tableau, deux miros.

 

Du bord du bassin, Munkki plonge puis remonte prestement. Avec ses lunettes de bain, il a l'air encore plus enfantin que dans la rue. On lui donnerait une pelle et un seau, il nous construirait un château de sable, des remparts, des donjons. Il le fait mais avec un crayon noir et quelques feuilles de papier. Il regarde l'onde, lui décoche quelques coups de pied, rajuste son bonnet et replonge dans les profondeurs de son univers. Il s'éloigne par des mouvements de brasse papillon puis se retourne pour effectuer des moulinets pour un dos crawlé endiablé et ridicule puis revient du grand bain en brasse coulée. Chaque été à Menton, me dit-il, il allait au Club Mickey pour apprendre différentes nages, obtenait des brevets et sa photo dans Nice-Matin. 

- Tu me donnes quel âge ?, me demande-t-il alors que nous parlions de tout autre chose.

J'hésite, examine son torse de crevette, regarde ses hanches menues resserrées dans un maillot de taille S, peut-être même XS, ses cuisses, ses mollets de coq, mais n'ose avancer un chiffre. 

- Je viens d'avoir vingt ans ; je suis un bébé millénium.

Il est né en avril 2002. Ce siècle avait deux ans. Ou un an c'est selon. Ses parents se souviennent, ô combien, de ce mois de printemps ; les électeurs et les abstentionnistes aussi. Ses parents doivent prochainement venir à Paris depuis la Charente pour fêter avec leur junior l'annuel événement. Il est déjà midi. Munkki me dit qu'il a assez nagé, qu'il va rentrer chez lui. Je lui propose de venir au ciné cet après-midi. 

- Pour voir quoi ? 

Je lui raconte en deux phrases que Cléo erre, entre 5 et 7, dans différents quartiers de Paris avant de se rendre à l'hôpital de La Salpêtrière pour y connaître les résultats de ses récents examens médicaux. J'ajoute que c'est un film de Agnès Varda.

- Connais pas ! Une promenade dans le Paris des années 1960, tu dis ? Avec des tacots et des autobus à nacelle ?       

               

 

 

(1) Selon un documentaire diffusé en 1962 sur l'unique chaîne de l'ORTF.

(2) Citation tirée du catalogue de l'exposition Quelque chose de plus que la couleur. Le dessin fauve 1900-1908 au Musée Cantini de Marseille du 22 juin au 29 septembre 2002.      

 

 

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26 avril 2022 2 26 /04 /avril /2022 08:30

 

 

Dimanche 1er mai 2022 à 16 heures, la Communauté de paroisses Notre-Dame de la Bonne Nouvelle invite le duo Canticel en ouverture du mois de mai, mois de Marie pour un concert "porte-bonheur" intitulé Reine du Ciel.

  

La majestueuse église Saint-Martin (avenue Julien Panchot) de Perpignan avec ses somptueux vitraux servira d'écrin aux deux artistes virtuoses que sont la contralto Catherine Dagois - la plus profonde des voix féminines - et Edgar Teufel qui ne se sépare jamais de son orgue-orchestre. Ils vous conteront en musique la merveilleuse histoire de l'Annonciation jusqu'à l'Assomption en hommage à la plus admirable des femmes et des mères à travers des oeuvres que de grands compositeurs lui ont dédiée au cours des siècles comme "l'Ave Maria" de Caccini (16ème siècle) et "Jésus que ma joie demeure" de J.-S. Bach (1685-1750). En alternance avec le chant, vous entendrez des pièces symphoniques jouées à l'orgue seul comme le "Printemps" des "Quatre Saisons" de Antonio Vivaldi (1678-1743) et la "Farandole" de Georges Bizet (1838-1875).

 

Ensemble, intensément, Catherine Dagois et Edgar Teufel, tous deux diplômés du Conservatoire de Stuttgart et bien connus du public catalan, vivent leur passion de la musique à travers le monde et ont, à ce jour, donné plus d'un millier de concerts dans vingt-cinq pays sur quatre continents, dirigeant aussi des master-classes de chant, de piano et d'orgue dans les plus grands conservatoires.

 

Concert "porte-bonheur" avec libre participation

Renseignements au 04 68 81 36 71 et sur le site internet de Canticel

 

Concert suivant, le dimanche 15 mai à 16 heures en l'église Saint-Pierre de Céret et ses grand orgues : "Chants d'Allégresse". 

 

 

Concert porte-bonheur à Perpignan par le duo Canticel
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25 avril 2022 1 25 /04 /avril /2022 13:39

 

 

Après la diffusion vendredi soir sur France 5 du film de Pierre Schoendoerffer Le Crabe-Tambour (1977) en hommage à Jacques Perrin, la chaîne franco-allemande arte a elle aussi rendu hommage hier soir à l'acteur décédé le 21 avril à l'âge de 80 ans avec Les Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy.

 

Tourné durant l'été 1966 dans le centre-ville de Rochefort, commune de 26 000 habitants environ située à 25 kilomètres au sud de La Rochelle dans le département de la Charente-Maritime, le film musical de Jacques Demy (1931-1990) met en scène Delphine Garnier (Catherine Deneuve) et Solange (Françoise Dorléac), soeurs jumelles qui ont "du plomb dans la cervelle, de la fantaisie à gogo", l'une danseuse, l'autre pianiste et compositrice, engagées au pied levé par deux forains interprétés par George Chakiris (inoubliable dans West Side Story) et Grover Dale pour animer leur stand lors d'une grande fête organisée sur la principale place de la ville, la place Colbert. Très commerçante, celle-ci est en partie occupée (dans le film) par un café tenu par Danielle Darrieux (1917-2017) où viennent se désaltérer fusiliers marins et touristes de passage et bordée côté rue Pierre Loti par l'hôtel de ville qui a servi de décor pour l'appartement des soeurs jumelles ainsi que par l'église Saint-Louis, bâtiment néoclassique que l'on aperçoit de temps en temps à l'arrière-plan avec son fronton et sa colonnade de temple romain. Ce dernier édifice a été construit sur l'emplacement de la chapelle d'un couvent de capucins qui datait de 1672. Son clocher de style Renaissance date de 1768 mais l'église a été rebâtie en 1835. Elle abrite le tombeau de Michel Bégon (décédé en 1710) qui a donné son nom à une fleur rapportée de Saint-Domingue en 1690 - le bégonia - et de celui de sa fille qui fut la mère de l'amiral de la Gallissonnière (né à Rochefort en 1693), gouverneur de la Nouvelle-France dans les années 1740. La ville a des liens étroits avec l'Amérique du Nord et nombre de ses rues portent le nom de ceux qui ont contribué à son histoire comme le Marquis de La Jonquière (1706-1795), lieutenant-général des armées navales et cousin du gouverneur de la Nouvelle-France ou Latouche-Tréville, commandant de l'Hermione, frégate sur laquelle La Fayette a embarqué pour les Etats-Unis en 1780. 

 

Le film de Jacques Demy, sorti sur les écrans en mars 1967, montre ses personnages dansant ou chantant dans d'autres lieux que la place Colbert. La galerie d'art de Guillaume Lancien, interprété par l'acteur Jacques Riberolles, se trouve au 72 avenue La Fayette. Celle-ci, tenue par celui qui a pour Delphine un amour sans retour, abrite des oeuvres de Pop Art et d'Op Art, une oeuvre qui évoque les Tirs de Niki de Saint-Phalle, un mobile de Calder et surtout un portrait de Delphine Garnier (je pourrais vous parler de ses yeux, de ses mains ; je pourrais vous parler d'elle jusqu'à demain) peint dans le style de Bernard Buffet. Il est à noter que cette galerie a été reconstituée lors de l'exposition intitulée Le monde enchanté de Jacques Demy qui a eu lieu à la Cinémathèque française en 2013. Jacques Riberolles, décédé en 1982, a tourné son dernier grand rôle dans le film de Robert Hossein Les Misérables diffusé à la télévision il y a une dizaine de jours afin de rendre hommage à Michel Bouquet, décédé récemment. La boutique du marchand de musique Simon Dame, interprété par Michel Piccoli (1925-2020) se situe à l'angle de l'avenue Charles de Gaulle et de la rue Jean Jaurès. C'est dans celle-ci qu'ont été tournées les scènes au sec avec Françoise Dorléac (décédée quelques mois après la sortie du film sur les écrans) et Gene Kelly (1912-1996) le danseur de Singin' in the rain quand il pleuvait sur Rochefort. Car on peut constater que dans ce film, il ne pleut pas ; il a été tourné à Rochefort, pas à Cherbourg ! La maison où Dutrouz, interprété par Henri Crémieux (1896-1980), a commis son crime se trouve à l'angle de la rue du Port et de la rue de la République. L'école où les soeurs vont chercher leur petit frère Boubou interprété par Patrick Jeantet (né en 1960) est au bout de la rue Chanzy. 

Le film se termine comme il débute, sur le pont transbordeur de Martrou, construit en 1900, qui fait passer cyclistes et piétons au-dessus de la Charente sans que les bateaux de haute mer soient gênés par les structures d'un pont fixe.

Toutes les actrices et tous les acteurs du film ont été doublés dans la partie chant sauf Danielle Darrieux elle-même chanteuse. Maxence joué par Jacques Perrin est doublé par Jacques Revaux qui sera plus tard le directeur artistique de Michel Sardou et qui composera pour lui ses titres les plus connus : J'habite en France et Les Bals populaires.

 

Rochefort est aussi la ville natale de Pierre Loti (1850-1923), marin au long cours et écrivain qui a aménagé (141 rue Pierre Loti) une maison qui se visite et qui se compose de sa maison natale et d'une autre contiguë qu'il a acquise en 1895 pour y décorer une pièce avec des éléments provenant d'une mosquée damasquine et une autre, la salle à manger Renaissance meublée dans le style espagnol avec des tapisseries flamandes du 17ème siècle. C'est aussi à Rochefort qu'est né en 1908 (100 rue Thiers), le philosophe Maurice Merleau-Ponty (décédé en 1961). 

 

Depuis le tournage du film, Rochefort s'est transformé. La place devant la gare s'appelle désormais place Françoise Dorléac, le conservatoire a été baptisé du nom de Michel Legrand quelques mois après le décès du compositeur survenu au début de l'année 2019 et la route qui mène au pont transbordeur a pris le nom de Jacques Demy. "Nous sommes deux soeurs jumelles nées sous le signe des Gémeaux, mi fa sol la mi ré, ré mi fa sol sol sol ré do..." 

 

                        

 

 

 

Place Colbert, Rochefort (Charente-Maritime)

Place Colbert, Rochefort (Charente-Maritime)

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20 avril 2022 3 20 /04 /avril /2022 10:29

 

 

Balades & anecdotes du mercredi (11)

 

 

Café croissant dans un bar de la rue Blomet. Le même qu'hier. Zen est parti tôt pour la fac. Il a cours toute la journée. Le bar est situé en face du n°45, adresse où dans les années 1920, a vécu Joan Miró, le peintre du bleu. "Ceci est la couleur de mes rêves", a-t-il écrit. Si le ciel de Paris ce matin pouvait être aussi bleu que ses tableaux ! Il y a peint La Famille, Paris (rue Blomet), 16 mai 1924, maintenant au MOMA de New York, dessin qu'il a voulu "très lumineux comme des yeux de chat". Sur le trottoir ne s'activent que des passants pressés, cols relevés (cheveux mouillés) ou sous cloche (floc dans les flaques). Un type, imperméable et bas de pantalon trempés, se réfugie près du comptoir, demande un café et répète : "Quel temps ! quel temps !" Sur un écran de télé muet, la dernière ligne droite avant le premier tour de la présidentielle. Je demande un autre café - sans croissant cette fois - dans l'attente d'une accalmie. Un coup de tonnerre claque faisant redoubler les précipitations. Un orage comme il peut y avoir en Louisiane durant l'été. Zen avait éteint la lumière mais n'avait cessé de parler dans la pénombre du séjour linguistique en Louisiane de ce père qu'il n'avait jamais vu, durant le mois d'août 1987, alors qu'il avait treize ou quatorze ans. Il débitait ce que son grand-père lui avait rapporté : des anecdotes sur la Louisiane, cet Etat qui se dit différent des quarante-neuf autres, cet Etat plat comme Le Plat pays de Jacques Brel (le point le plus haut ne culmine qu'à 163 mètres) où l'on parle français (cajun), où l'on écoute du jazz jusque tard dans la nuit sur les bords du Mississippi, où l'on danse dans des "fais dodo" dès six heures le matin, où l'on écoute la légende d'Evangéline sous le chêne de Saint-Martinville (petite bourgade au sud de Lafayette surnommée le Petit Paris), d'où l'on extrait du pétrole et du gaz, où l'on fait pousser du riz et où l'on cueille le piment (pour élaborer une sauce épicée connue dans le monde entier), où les mets les plus appréciés s'appellent gumbo aux fruits de mer, cuisses de ouaouaron (grenouille) frites, chevrettes (crevettes) frites, écrevisses en étouffée, jambalaya, tarte aux pacanes. Une terre inhospitalière bordée de marécages infestés de maringouins (moustiques) et balayée par les ouragans où vivent pourtant quatre millions de personnes dans des paroisses (en Louisiane on ne dit pas comté) aux doux noms de Beauregard, Vermilion ou Pointe Coupée. Zen en parlait comme s'il avait été ce collégien de treize ou quatorze ans parti avec sa prof de géographie pour parfaire son anglais durant un mois dans une famille de Lake Charles, dernière agglomération importante avant la rivière Sabine et le grand Texas. Chateaubriand (qui avait un goût pour l'exotisme édifiant selon Maurice Denuzière) l'avait décrite ; Delacroix l'avait peinte par une scène de la vie des Natchez ; le père de Zen l'avait visitée. La semaine, il allait à des cours dans une école proche de Downtown Mall et les dimanches, à bord d'un gros char, il parcourait avec sa famille d'accueil le Creole Nature Trail qui borde marais et bayous et qui mène au golfe du Mexique où le poisson est abondant. Ce voyage l'avait terriblement marqué. Le retour à la vraie vie, à la vie parisienne, à la vie de la rue de Romainville avait été douloureux. Il ne parlait que de la Louisiane, en rêvait la nuit, achetait des magazines dont les articles nombreux à l'époque parlait de cet Etat différent où les gens s'appellent Broussard, Turpin, Lafleur. Il s'était mis à sécher des cours, ne fréquentait plus ses copains de classe, rejetait ce qu'il avait aimé. Zen se demandait si son désir secret n'avait pas été d'y retourner un jour pour toujours. 

- Il vit là-bas tu crois, avais-je demandé.

- Je sais pas. Je me renseignerai ; j'irai voir en Acadiana s'il est toujours vivant, s'il saura me reconnaître, avait-il répondu. 

 

La pluie continue de tomber. Bon, on va le voir ce film ?, demandé-je à Thélemm. T'attendais que je t'appelle. Tu vois, j'ai pas perdu ton numéro. A quelle heure ? Quatre heures ! OK, rendez-vous devant le ciné. Je demande un autre café. Quel temps me dit le serveur imitant le type à l'imperméable et au bas de pantalon trempés qui a quitté le bar en courant vers la rue Mademoiselle. Si cette fichue pluie pouvait cesser je pourrais me balader dans le square Saint-Lambert tout proche. L'écran de télé muet continue de déverser ses reportages et autres interviews en vue du premier tour qui aura lieu dimanche. Tu votes ?, m'avait demandé Zen. Pour que je puisse voter il faudrait que je trouve un train qui arrive à Matabiau avant la fin du scrutin. Un candidat reprend les propositions d'un adversaire et en pèse le contre. Une candidate dit qu'elle est en capacité de se qualifier pour le second tour. Heureusement qu'il y a des bandeaux en bas de l'écran pour nous tenir constamment au courant de ce qui se passe partout dans le monde ! Elles et ils ont tous raison... dans leur coin. Toutes et tous ont des idées de génie, des programmes en or, des promesses fabuleuses. Sans confrontation avec les onze autres candidats, chacune et chacun sont convaincants. Pendant des décennies (comme encore aujourd'hui), il y en a eu des débats, des "Club de la Presse" machin, des "Grand jury" bidule, des "7 sur 7", des "L'Heure de vérité", des "Cartes sur table", tant d'heures passées dans les studios à bavarder, expliquer, décrypter, à parler pour le bien dire, pour si peu d'arrivage. Tu votes toi ?, avais-je demandé à Zen. Je crois pas, non !, m'avait-il répondu. 34% des 18-24 ans se sont abstenus au second tour de la présidentielle de 2017. Zen et moi avions alors vingt-deux ans et ni lui ni moi ne s'étions déplacés pour cette échéance pourtant de la plus haute importance. Alors pourquoi pas dimanche 10 avril ? Un client a laissé le journal qu'il lisait devant son café crème. Pour passer le temps je le prends et en lis quelques articles dans la rubrique réservée au tourisme. Dans une station balnéaire de la Costa del Sol, deux Français trentenaires ont récemment repris le concept d'une boutique hippie qui faisait fureur dans les années 1960 parmi les jeunes qui passaient leurs vacances en Espagne où le coût de la vie était minime, sous le regard bienveillant d'un pouvoir central autoritaire et centralisateur. A lire le journal, "l'année 1969, année érotique comme chacun sait, est de retour avec ses tenues bariolées, ses bandanas fluorescents, ses vestes fleuries, ses pantalons pattes d'eph, ses mini jupes, sa musique pop et son immortelle devise : "Make love not war". Tout ces symboles des années hippies seront à retrouver dans cette échoppe, "La Boutikipy" située à ... dont les concepteurs ne se disent pas nostalgiques de cette période du 20ème siècle qu'ils n'ont de toute façon pas connue mais qui se définissent comme des reconditionneurs d'intérêt pour la période 68/74 qui disait non à la guerre, non à la société de consommation et qui avait anticipé les maux dont la Terre souffre maintenant en matière de pollution et de réchauffement climatique. La nouvelle installation de nos deux compatriotes ne se résumera pas en une simple boutique de fringues et d'accessoires. Ce concept-store proposera aussi une gamme complète de produits bio (alimentation et cosmétiques), un espace multimédia, une salle de cinéma dédiée à des documentaires sur les dysfonctionnements endurés par la planète, une salle de conférences de cinquante places où viendront échanger des intervenants multilingues dans une ambiance conviviale basée sur le partage." Le soleil brille enfin. Après trois cafés, j'ai bien mérité ma balade au Saint-Lambert.                           

                         

 

Sources :

 

Catalogue de l'exposition Joan Miró 1917-1934 La naissance du monde au Centre Georges Pompidou du 3 mars au 28 juin 2004. 

 

La Louisiane aujourd'hui par Michel Tauriac (les éditions du jaguar / les éditions j.a., 1986)

 

Recettes préférées de la Nouvelle-Orléans par Suzanne Ormond, Mary E. Irvine, Denyse Cantin (Pelican Publishing Company, Gretna 1989)

 

      

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