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15 avril 2021 4 15 /04 /avril /2021 08:58

 

 

Espagne : Le président du Gouvernement Pedro Sanchez dit qu'à la fin de l'été 2021, 70% des Espagnols (nombre d'habitants en Espagne : 47 330 000) auront été vaccinés contre la Covid-19. Il dit aussi que l'état d'urgence sanitaire ne sera pas prolongé au-delà du 9 mai. 

Hier 324 a rendu hommage à Charles Baudelaire pour le bicentenaire de sa naissance. Sur le plateau de la chaîne de la télévision catalane, deux invités, deux livres : Petits poemes en prosa, textes de Baudelaire traduits en catalan par Joaquim Sala-Sanahuja et Les flors del mal, poèmes traduits par Pere Rovira. Où l'on rappelle que Baudelaire était un flâneur anonyme (un lien avec Gaudi se promenant dans la ville est évoqué). Dans Les foules (texte traduit en catalan sous le titre Les multiduds), Baudelaire écrit : "Multitude, solitude : termes égaux et convertibles pour le poète actif et fécond. Qui ne sait pas peupler sa solitude, ne sait pas non plus être seul dans une foule affairée."

 

"Feuilleté chez Charavay*, qui les vend après-demain, une liasse de lettres de Flaubert. Sa franchise et sa bonhomie me reposent. Parmi beaucoup de billets insignifiants, quelques pages brusquement le montrent à nu, admirable. L'écriture est beaucoup moins belle que celle de Baudelaire, dont je vois aussi quelques feuillets." A. Gide (1)

 

 

2021 : bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert

 

 

De retour à Quiberon, Gustave Flaubert et son ami Maxime Du Camp déjeunent de nouveau à l'hôtel Penthièvre. Ils y rencontrent deux représentants de commerce, l'un "un assez beau mâle de quelque vingt ans, blond, haut en couleur" (2), le genre insouciant qui aime amuser la galerie ; l'autre, plus âgé, qui fut sans doute un boute-en-train dans sa jeunesse mais que les affres du négoce (une année bonne et l'autre non) ont rendu réservé et moins disert que son collègue. Après un énième café, pousse-café et une dernière partie de billard (ou un jeu de société qui lui ressemble), les deux commis voyageurs se proposent de les emmener à Plouharnel. Le soir, les deux amis dorment chez le maire du village après un repas bien arrosé en compagnie des deux représentants qui, l'alcool aidant, se lancent dans des confidences très intimes. L'hôte du lieu vient les rejoindre au dessert pour trinquer. La conversation restera au ras des pâquerettes, Flaubert s'en accommode, "le lendemain était un dimanche", et après tout "il est parfois très doux de causer avec des imbéciles". (2)

Les jours suivants, les deux amis marchent au hasard, d'ouest en est, du sud au nord, par des détours et par des contours, sans boussole, au gré du vent qui les pousse et des gens qui les font monter sur leurs carrioles pour un bout de chemin. Auray, Vannes, Hennebont, Lorient, Ploërmel, Josselin, Quimperlé, Fouesnant, Bénodet, Audierne, Douarnenez, Brest. "Lorient. - Nullité complète ; rues basses et alignées", écrira Maxime Du Camp (2) "Lorsqu'on n'est pas ingénieur, constructeur ou forgeron, Brest ne vous amuse pas considérablement", écrira Flaubert. (2) Heureux touristes que furent Flaubert et Du Camp qui ont vu Brest et Lorient au 19ème siècle. S'ils savaient ! Durant la Seconde guerre mondiale, Brest sera de multiples fois bombardé et environ deux mille immeubles y seront détruits ou endommagés ; idem pour Lorient. 

 

Les deux amis ne passèrent pas par Pont-Aven. En 1847, le village n'avait pas la réputation qu'il acquerra par la suite grâce aux peintres qui l'ont fait connaître dans le monde entier. Il y a une trentaine d'années, tandis que je passais quelques jours entre Vannes et Douarnenez, je visitai le petit village de Pont-Aven et son Musée municipal créé quelques années plus tôt. Je vous livre ci-dessous un large extrait du texte qui figurait sur le prospectus (maintenant on dit un flyer) disponible sur un présentoir à l'entrée du musée :

"Le Musée municipal de Pont-Aven a été créé en 1985 (...) Il comporte une aile contemporaine (...) réservée aux expositions temporaires et une aile ancienne qui abrite une évocation historique de Pont-Aven, à la fin du XIXè siècle ainsi que le fonds permanent. Au 1er étage du Musée, un Centre de Documentation consacré aux peintres de la Bretagne, de 1860 à 1940, est ouvert au public, toute l'année. 

(...) Une colonie de peintres se forma, en Bretagne, entre 1886 et 1896, regroupant, autour de Gauguin, plus d'une vingtaine d'artistes de diverses nationalités, désireux d'inventer de nouvelles formes d'expression plastique. (...) L'arrivée de Gauguin, à Pont-Aven, en 1886, cristallisa les énergies et les talents et donna naissance à une avant-garde artistique réunissant Emile Bernard, Paul Sérusier... (...) Ce groupe passa à la postérité, sous le nom d'Ecole de Pont-Aven, expression de solidarité collective venue de l'intérieur du groupe : la peinture y acquit, selon l'expression de Gauguin, "le droit de tout oser" et la Bretagne y trouva ses peintres les plus parfaits."

 

En 1985, le Musée présenta au public une exposition "Aquarelles, pastels, dessins et objets de l'Ecole de Pont-Aven" ; en 1986, "Cent ans, Gauguin à Pont-Aven" ; en 1989, "Cinq années d'acquisitions au Musée de Pont-Aven" ; en 1990, "Peintres finlandais en Bretagne". 

Venu pour la première fois à Pont-Aven en juillet 1886, Paul Gauguin y reviendra en 1888 (été et automne) avant d'aller rejoindre Van Gogh à Arles. Son pastel sur papier, La Bretonne, vue de dos (Collection Fondation Pierre Gianadda, Martigny, Suisse) montre une femme qui tourne le dos, tête de profil, montrant ainsi au spectateur ses beaux habits et sa coiffe, vêtements bretons souvent décrits par Flaubert sur lesquels nous reviendront dans un prochain chapitre.

                 

 

* Librairie Charavay, fondée en 1830.    

 

(1) Journal, André Gide (Editions Gallimard, 1951)

(2) Voyage en Bretagne Par les champs et par les grèves par Gustave Flaubert (Editions Complexe, 1989)

 

 

 

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14 avril 2021 3 14 /04 /avril /2021 12:06

 

 

Trouble en début de semaine à Bitche dans le département de la Moselle. La page Facebook de la Ville de Bitche a été suspendue, le réseau social ayant pris le nom de la commune située à l'entrée du Parc naturel régional des Vosges du Nord pour une insulte, le mot anglais bitch étant fréquemment utilisé dans une expression que je ne produirai pas ici.

Rien de nouveau sous le soleil ! 

En 1881, Levi Morton, ambassadeur des Etats-Unis à Paris trouvant sa légation de la rue de Chaillot exiguë, décide de déménager ses bureaux dans un immeuble situé sur la place de Bitche dans le 16ème arrondissement. Cependant, le nom de la nouvelle adresse pose problème. Pour une raison de vocabulaire, l'ambassadeur craint que le nom de Bitche sur le papier à en-tête ne soit sujet à quolibets. Même le Département d'Etat s'en émeut. Morton demande alors au préfet de Paris de modifier le nom de la place qui est promptement rebaptisée place des Etats-Unis. Le nom de Bitche, ville de Lorraine célèbre par sa défense pendant la guerre de 1870, sera donné dans la foulée à une place du 19ème arrondissement près du bassin de la Villette.

 

 

2021 : bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert

 

 

A Quiberon, Gustave Flaubert et Maxime Du Camp déjeunent à l'hôtel Penthièvre puis attendent patiemment le départ du bateau pour Belle-Ile qui ne peut appareiller qu'après avoir embarqué le courrier en provenance d'Auray. L'heure d'arrivée du postillon, juché sur un cheval fatigué, dépend des jours, de l'état de la route, de son état à lui aussi. Trois heures sonnent déjà au clocher de l'église du village, puis quatre. Les passagers peuvent enfin embarquer sur une chaloupe encombrée de bagages et de colis, et prendre place là où ils le peuvent. On hisse les voiles mais le vent ne soufflant guère, les matelots doivent ramer jusqu'à en perdre haleine. Quiberon s'éloigne ; à bâbord on distingue les îles de Houat et Hoedic. Parmi les passagers, un gendarme et un fusilier escortent deux soldats condamnés à être incarcérés pendant un an à la citadelle du Palais dont le capitaine du bateau se sert comme amer. Les huit milles marins (15 kilomètres) sont parcourus à la seule force des bras, Eole ayant refusé d'accompagner nos deux Bretagne-trotteurs. A marée basse (izel eo ar mor, la mer est basse*), le bateau a du mal à accéder au ponton. Tels des funambules, les passagers débarquent en marchant à petits pas sur une rame. Les deux amis descendent dans un hôtel au coeur de la ville close, morose, "petite ville assez sotte" écrira Flaubert. Ils ont encore le temps de s'en éloigner avant la fermeture des lourdes portes par lesquelles on y accède et de découvrir une grotte "qui nous parut si belle (...) que nous résolûmes de rester le lendemain à Belle-Isle pour en chercher de pareilles". (1) 

 

Belle-Ile a une superficie de 85 km². Ses habitants sont les Bellilois. Au cours des siècles, elle a été très convoitée pour sa position stratégique face à l'estuaire de la Loire. Sous Louis XIV, Vauban donne à la citadelle du Palais une physionomie nouvelle avec une double enceinte et de puissants bastions. Attaquée à plusieurs reprises, la citadelle tombe aux mains des Anglais en 1761. Deux ans plus tard, par le traité de Paris qui met fin à la guerre de Sept Ans, les Anglais rendent Belle-Ile au royaume de France en échange de l'île de Minorque (Baléares) que les Français occupaient depuis 1756. Par ce traité, la France cède aussi à l'Angleterre toutes les régions à l'est du Mississippi. Le traité confirme celui de Fontainebleau signé en 1762 qui donnait la Louisiane à l'Espagne. "Le traité de Paris, un des plus humiliants que la France ait jamais été contrainte de signer, réduisit son empire de treize millions de kilomètres carrés à quelques îles : la Martinique, la Guadeloupe, Sainte-Lucie, Belle-Ile, avec l'aumône d'un droit de pêche à Terre-Neuve et à Saint-Pierre-et-Miquelon. La monarchie perdait, en plus de la Louisiane, le Canada, l'île Royale, la Grenade et les Grenadines, le Sénégal, sauf l'île de Gorée. De son domaine des Indes, elle ne conservait que (...) Chandernagor, Yanaon, Karikal, Pondichéry, Mahé !" (2)

Installé dans les casemates Louis-Philippe, le Musée historique expose des documents sur l'histoire de l'île et ses hôtes illustres. L'île, très prisée des touristes, propose sur sa côte sud (Côte sauvage) battue par les vents, un relief escarpé très découpé dominé par le Grand Phare (52 mètres de hauteur) qui depuis 1836 atteint une portée d'environ 48 kilomètres, tandis que la côte nord (qui fait face au continent) plus sage, plus douce, compte de nombreuses plages insérées dans de petites criques. Outre Le Palais, l'île compte trois villages : Sauzon, Bangor et Locmaria.

 

Le lendemain de leur arrivée, Flaubert et Du Camp partent potron-minet à la découverte de l'île et marchent quatorze heures durant, "décidés à aller n'importe où, pourvu que ce fût loin, et à rentrer n'importe quand, pourvu que ce fût tard". (1) Les deux amis prennent des chemins au hasard, se dirigent grâce au soleil (an heol, le soleil*) entre Le Palais et la Côte sauvage (an aod, le bord de mer*), sans voir ni hameaux, ni paysans. (Amzer vrav 'zo, il fait beau temps*) Ils finissent par apercevoir une ferme, y entrent. Une femme leur sert un verre de lait frais (al laezh, du lait*). Elle ne parle que le breton. Un profond calme règne dans la salle commune peu meublée et peu éclairée. Ils repartent, s'émerveillent des paysages qui font le charme et la beauté de l'île. Quarante ans après le court séjour de Flaubert, le peintre Claude Monet viendra poser son chevalet durant deux mois sur l'île, logera à Kervilahouen, peindra différentes versions des aiguilles de Port-Coton. A la fin du 19ème siècle, l'actrice Sarah Bernhardt aura un coup de foudre pour Belle-Ile et y acquerra un fortin désaffecté à la pointe des Poulains où elle aimera revenir chaque année pendant près de trois décennies.

 

A l'aube du deuxième jour, les deux amis s'en retournent à Quiberon. Ils embarquent avec le même gendarme flanqué du même fusilier. Le vent souffle dans les voiles. "Penché sur la proue, le nez dans la brise" (1), un jeune mousse blond chante sur un air lent et monotone. "Les matelots, les bras croisés, souriaient en regardant dans les voiles." (1) La Citadelle Vauban avec ses prisonniers condamnés au silence s'éloigne. Port Maria est en vue. A tribord, on aperçoit la pointe du Conguel. Ils se souviendront longtemps de leur balade à Belle-Ile, tout emportés qu'ils furent "par la fièvre des rochers, des goémons, des varechs". (1)

 

En août 1978, alors que je passais des vacances à Saint-Lunaire (près de Dinard) avec ma cousine, celle-ci me dit qu'elle enverrait bien une carte postale à l'une de ses amies qui passait l'été à Belle-Ile. Alors qu'elle écrivait l'adresse de la pension dans laquelle son amie était descendue - au dos d'une vue de la pointe du Décollé -, je l'entendis soudain éclater de rire. Lui demandant la raison de cette hilarité, ma cousine me lut l'adresse en question :

Melle Unetelle - Cabine téléphonique - 56360 Le Palais.

           

 

 

* Premier vocabulaire breton par Beatris Jouin (Editions Ouest-France, 1983)                 

 

(1) Voyage en Bretagne Par les champs et par les grèves par Gustave Flaubert (Editions Complexe, 1989)

(2) Je te nomme Louisiane par Maurice Denuzière (Editions Denoël, 1990)         

 

 

   

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13 avril 2021 2 13 /04 /avril /2021 12:32

 

 

2021 : bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert

 

 

Pour aller de Locmariaquer à Carnac, Gustave Flaubert et Maxime Du Camp prennent un bac afin de leur éviter un trop long détour pour passer le ria du Crac'h (en breton, c'h se prononce comme la jota espagnol ou le ch écossais du mot "loch"). A Carnac, les deux amis prennent pension sur la place de l'église, chez la veuve Gildas qui leur prépare une chambre à deux lits (daou wele, deux lits*) à baldaquin. Il fait chaud, les chemises collent à la peau et pour se rafraîchir avant d'aller voir les alignements des célèbres mégalithes, ils boivent quelques verres de bière blanche (Ur banne bier, un verre de bière*). Flaubert fera paraître en 1858 dans une revue parisienne un article entièrement consacré aux Alignements de Carnac sous le titre "Les Pierres de Carnac et l'archéologie celtique". Carnac possède le plus important ensemble de mégalithes du sud de la Bretagne. Cet ensemble date du néolithique et du début de l'âge du bronze. Trois groupes d'alignements représentant près de trois mille menhirs sont visibles sur quatre kilomètres. Les menhirs (du breton men, pierre et hir, longue) sont des monuments d'un seul bloc de pierre enfoncé verticalement dans le sol. Certains de ces menhirs ont des dimensions gigantesques comme celui que Flaubert et Du Camp ont vu à Locmariaquer deux jours auparavant et que Du Camp a décrit comme "abattu, brisé dans sa largeur (7 pieds environ), long de 72". (1) Les menhirs ont été rangés soit en ligne (comme à Carnac), soit en cercle ; on parle alors de cromlech (du breton crom, courbe et lech, pierre) comme à Stonehenge en Angleterre. (2) On a longtemps cherché à savoir à quoi pouvaient bien servir ces monolithes. Ces pierres avaient certainement une destination religieuse. Comme l'a écrit Flaubert, "il y a des gens qui ont passé leur vie à chercher à quoi elles servaient et n'admirez-vous pas d'ailleurs cette éternelle préoccupation du bipède sans plumes de vouloir trouver à chaque chose une utilité quelconque ?" (1) Et tandis que archéologues et savants se sont perdus en conjectures sur l'origine et la destination de ces mégalithes, Flaubert a sa propre opinion : "Les pierres de Carnac sont de grosses pierres." (1)

 

Mais voici que le virus du voyage pousse les deux amis à poursuivre prestement leur route. Par un terrain vaseux, ils atteignent Le Pô où une barque les emmène à Saint-Pierre-Quiberon. Puis ils parcourent à pied les quatre kilomètres qui les séparent de Quiberon. Flaubert est léger comme un papillon, gai comme un pinson, de fort bonne humeur. Les mégalithes l'ont mis en joie. S'il le pouvait, il chanterait même une vieille chanson bretonne... en breton. Alors mon gros menhir, ne cesse-t-il de répéter à son ami. Alors mon gros menhir, répète-t-il encore, tu devrais faire ci, tu devras marcher comme ça, porter ton sac de telle façon, mon gros menhir ! Ah quand Flaubert a une idée en tête ! Il répète, il rabâche, il aime taquiner et harceler au point que son ami commence à en être agacé. "Il était terrible, écrira Du Camp, j'ose dire insupportable, car rien ne pouvait le calmer." (1) Flaubert est né le 12 décembre 1821. Selon le cycle astrologique sino-japonais, il était du signe du serpent : "Ce sont [des] personnes (...) généralement très intelligentes et très sages. Heureuses en argent et en affaires, elles sont souvent un peu infatuées d'elles-mêmes. Mais elles aiment rendre service, un peu trop même parfois. Elles ne font confiance qu'à elles-mêmes. En amour, elles sont souvent passionnées, mais infidèles. La fin de leur vie peut être fort troublée." (3)              

 

 

* Traduction en breton grâce au Premier vocabulaire breton de Beatris Jouin (Editions Ouest-France, 1983)     

 

(1) Voyage en Bretagne Par les champs et par les grèves de Gustave Flaubert (Editions Complexe, 1989)

(2) Source : Dictionnaire de la préhistoire par Michel Brézillon (Librairie Larousse, 1969)

(3) Fêtes et traditions au Pays du Soleil levant par Louis Frédéric (SCEMI, 1970)

 

 

 

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12 avril 2021 1 12 /04 /avril /2021 15:19

 

 

2021 : bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert

 

 

 

En 1847, Gustave Flaubert et son ami Maxime Du Camp parcourent une Bretagne isolée du reste de la France, une Bretagne que le chemin de fer n'a pas encore atteint, une Bretagne essentiellement rurale, une Bretagne pétrie de rites et de superstitions. Le thème souvent repris au 20ème siècle par les organisateurs de voyages, "Bretagne : églises, calvaires et dolmens" n'est pas un mythe. 

 

Cheveux au vent, embruns fouettant le visage sur ce bateau qui transporte les deux amis vers l'île d'Arz dans le golfe du Morbihan, le voyage par les champs et par les grèves se déroule loin de la France de Louis-Philippe, des salons parisiens, de la Nouvelle-Athènes. "Il nous semblait que nous nous évadions de la vie civilisée", écrira Du Camp (1) Le voyage en terra incognita commence enfin, "seuls, indépendants, ensemble !" (1) même si Flaubert sait que sa mère viendra le rejoindre dans les principales villes étapes au cours de cette escapade de trois mois, en vertu de ce qui a été négocié pour qu'il puisse s'absenter durant une si longue période. Mais comment la pauvre chère vieille comme son fils l'appelle avec gentillesse, pourrait-elle supporter trois ou quatre jours de malle-poste pour aller, au mieux faire un câlin, au pire surveiller les faits et gestes d'un fils âgé de 25 ans qui a besoin de changer d'air, de s'accorder un moment de répit, bref, de faire un break ?

 

Les deux amis sont loin du palais des Tuileries où le régime de Louis-Philippe, au pouvoir depuis dix-sept ans, s'essouffle scandale après scandale. Au moment où les deux amis parcourent la Bretagne de Nantes à Brest, éclate une affaire de corruption qui éclabousse le gouvernement de Guizot. "L'ex-ministre des Travaux Publics, (...) [Jean-Baptiste] Teste, est convaincu d'avoir été acheté en 1842 pour qu'il facilite une concession de mines en Haute-Saône ; jugé, condamné en juillet [1847], avec le général [Amédée Louis Despans de] Cubières, héros de Waterloo, ancien ministre de la Guerre sous Thiers en 1840..." (2) Au même moment, paraît Histoire des Girondins par Alphonse de Lamartine peu de temps après les sorties, dans toutes les bonnes librairies comme on dit communément, de l'Histoire de la Révolution française de Michelet et de l'Histoire de la Révolution française de Louis Blanc. En juillet 1847, débute la "campagne des banquets" dont le premier réunit à Paris un millier de convives dont des parlementaires de l'opposition comme Odilon Barrot et des personnalités républicaines. Cette campagne "a l'avantage de tourner à la fois l'interdiction des associations et l'obligation de demander une permission au gouvernement, puisque, donné dans un local privé, le repas (...) n'est pas une réunion politique." (2) Les deux amis se baladent loin de cette agitation car le Breton "de tout ce qui se passe il ne sait rien, si ce n'est (...) qu'il y a une ville qui s'appelle Paris et que le roi de France est Louis-Philippe dont il vous demandera des nouvelles, par interprète, en s'informant s'il vit encore..." (1) 

       

Il fait bon en cette fin de mois de mai. Le golfe du Morbihan avec sa quarantaine d'îles et îlots s'étend à perte de vue, le château ruiné de Suscinio élève ses tours vers un ciel sans nuages, la campagne étale ses "genêts, haies d'ajoncs, avec des aubépines" (1) puis au loin, Sarzeau et bientôt Le Logeo avec ses embarcations qui tanguent sur une mer houleuse et qui attendent qu'on détache leurs amarres pour pouvoir voguer vers les îles au loin plantées au fil de l'eau. Près de Sarzeau, les deux compagnons de route sont interpellés par un brigadier de la douane qui après avoir fouillé leurs sacs, leur recommande de dire "au roi de ne pas venir ici (...) le pays n'est pas sûr, il y a encore des chouans !" (1) Le souvenir de la tentative de la duchesse de Berry de court-circuiter l'accession au trône de Louis-Philippe en 1832 est encore vivace. Sur ce bateau qui vogue vers l'île d'Arz, avec "la poitrine nue et la chemise bouffant à l'air, (...) hâlés par le soleil, avec nos habits déchirés, nos chaussures usées, (...) [notre] belle allure vagabonde, insolente et pleine d'orgueil" (1), les deux amis semblent avoir définitivement rompu avec Paris et "le snobisme d'une époque où la bonne santé n'était pas à la mode et où il était de bon ton pour un jeune homme "d'être pâle et de paraître exténué" Son aspect [l'auteur parle de Frédéric Chopin] était d'autant plus touchant pour les sujets de Louis-Philippe qu'on pouvait lire sur son visage la pathétique mélancolie d'un coeur brisé". (3) Romantisme, quand tu nous tiens !

                           

 

 

(1) Voyage en Bretagne Par les champs et par les grèves de Gustave Flaubert (Editions Complexe, 1989)

(2) La Révolution 1770-1880 par François Furet (Hachette, 1988)

(3) Histoire de la Musique par Emile Vuillermoz (F. Brouty, J. Fayard et Cie, 1949)

 

 

       

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9 avril 2021 5 09 /04 /avril /2021 11:06

 

 

2021 : bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert

 

 

 

Gustave Flaubert et Maxime Du Camp, après une bonne nuit passée "à la prison centrale de Fontevrault" (1) se dirigent vers Saumur. Au-delà d'Ancenis, ils entrent en Bretagne par Nantes - Nantes est en Bretagne ? - où ils séjournent durant huit jours. Au musée des Beaux-Arts - créé en 1801 -, après avoir admiré un Tibaldi (1527-1596), un Lancret (1690-1743) et un Delacroix (1798-1863), ils restent longtemps devant une Adoration des Mages, tableau "vivant et drôle, heurté en tons rouges et verts (un peu comme la Tentation de saint Antoine de Breughel)..." (1) [Ce dernier tableau - attribué à Breughel -vu par Flaubert à Gênes lors d'un séjour avec ses parents, sa soeur et son beau-frère en 1845, l'obsédera durant de nombreuses années au point qu'il rédigera une première Tentation de saint Antoine en 1848 qu'il publiera avec quelques remaniements en 1857 mais dont la version définitive ne paraîtra qu'en 1874.] Au cours de la visite, Flaubert déplore les cache-sexe en fer-blanc vissés récemment qui enlaidissent les statues grecques ou copies romaines d'Apollon, du Discobole, etc. "Par ce temps de bêtises plates qui court, au milieu des stupidités normales qui nous encombrent, il est réjouissant (...) de rencontrer au moins (...) une stupidité gigantesque." (1) Ah, la pudibonderie sous Louis-Philippe ! Au muséum d'Histoire naturelle , il voit une momie égyptienne, mais dans trois ans, Flaubert en verra d'autres et de bien plus intéressantes que celle-là.      

Puis les deux amis s'enfoncent dans la Bretagne bretonnante (Breizh) où "on ne parle presque plus français". (1) Les gens qu'ils croisent ne baragouinent pas (verbe dont on dit qu'il vient de bara  - le pain - et gwin - le vin) comme ils pourraient le croire mais parlent la langue bretonne qui s'est implantée en Armorique à partir du 4ème siècle avec l'arrivée de populations originaires de Grande-Bretagne. Le breton est attesté comme langue écrite depuis le 8ème siècle. On peut situer la Bretagne bretonnante à l'ouest d'une ligne allant de Saint-Brieuc à Saint-Nazaire, zone où le nom des lieux comporte un préfixe breton comme ker (Kernascléden), loc (Locmariaquer), plou (Plougasnou), lan (Landerneau), etc.

Les gens d'ici ne baragouinent pas mais vivent à leur façon, s'habillent selon leurs usages. Quand on vit à Paris, qu'on prend son petit-déjeuner puis les transports en commun pour se rendre à son lieu de travail, on n'imagine pas qu'au même moment des gens font de même à Bordeaux, Lille ou Marseille. Et quand on est un touriste visitant une ville, les gens que l'on voit du bus ne sont pas des figurants mais bel et bien des habitants qui vivent ici, travaillent là, vont et viennent selon leurs habitudes. Au cours d'un voyage, il est toujours intéressant et enrichissant d'entrer et de découvrir les intérieurs des maisons de personnes qui vivent près ou loin de chez soi et d'accepter que les gens vivent d'une façon différente de la sienne. Flaubert, loin de la capitale, loin des salons parisiens, loin de la Nouvelle-Athènes, loin des rues par lesquelles il a l'habitude de cheminer, se rend compte que "quoique ne parlant pas le français et décorant leurs intérieurs de cette façon, on vit donc là tout de même, on y dort, on y boit, on y fait l'amour et on y meurt tout comme chez nous ; ce sont aussi des humains que ces êtres-là." (1) Flaubert et Du Camp auront le temps de méditer sur tout cela au cours des longues heures de marche qui les attendent ou lors de transport en carriole. De Vannes, ils descendent vers le golfe du Morbihan (mor, la mer - bihan, petit). "Le genre du breton ne coïncide pas nécessairement avec celui du français : ar mor, la mer, est en breton du masculin, ce qui est marqué par la non-variation du m initial. (... ) La mutation, c'est-à-dire le changement de la consonne initiale, permet de repérer le genre : ex. taol, an daol [table], le t devient d, le mot taol est féminin ; ti, an ti, le t sans changement, le mot ti [maison] est masculin. En gros, la mutation indique donc que le mot est du féminin." (2) J'espère, chères lectrices et chers lecteurs, que vous avez, comme moi (hi hi hi !), tout compris de la façon dont on différencie le féminin du masculin en breton. Pour conclure ce chapitre d'initiation au la langue bretonne (brezhoneg), je rappellerai que le département des Côtes-du-Nord (à l'époque où Flaubert parcourt la Bretagne) est devenu le département des Côtes d'Armor (ar mor, la mer). 

 

Cheveux au vent et embruns fouettant le visage, les deux amis sont maintenant sur une embarcation qui les mènent vers l'île d'Arz, au coeur du golfe du Morbihan, île de 3 km², plate comme un polder (altitude maximale : 13 mètres).

 

                        

 

(1) Voyage en Bretagne - Par les champs et par les grèves de Gustave Flaubert (Editions Complexe, 1989) Les chapitres pairs sont de la main de Maxime Du Camp.

(2) Premier vocabulaire breton par Beatris Jouin (Editions Ouest-France, 1983)

 

 

 

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8 avril 2021 4 08 /04 /avril /2021 12:16

 

 

2021 : bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert

 

 

1846. Gustave Flaubert vit dans la peine. Son père et sa soeur sont décédés à deux mois d'intervalle. La relation qu'il entretient avec Louise Colet, femme mariée de onze ans son aînée - qu'il a rencontrée chez le sculpteur James Pradier -, est houleuse. La dame est jalouse. Elle croit que Maxime Du Camp, meilleur ami de Flaubert, tire les ficelles de leur amour. Elle boude, fait mauvaise figure, accuse Du Camp de lire les lettres qu'elle adresse à son amant. Flaubert vit à Croisset (près de Rouen) et interdit sa maison à Louise. Maxime Du Camp, voyant son ami dépité, insiste pour qu'ils voyagent ensemble par les champs et par les grèves afin qu'il puisse apaiser les douleurs de la perte de ses proches et les tracas dus à sa déception amoureuse. Oublier que "l'amour est comme l'opéra ; on s'y ennuie, mais on y retourne". (1) Flaubert, encouragé par son médecin, accepte. Les deux amis se mettent en route le 1er mai 1847, le jour de la Saint-Philippe, la fête du roi. 

 

L'ouverture des lignes de chemin de fer à partir de 1837 encourage les escapades, met les villes du sud et de l'ouest de la France à seulement quelques heures de la capitale (quelques dizaines d'heures !) et assure aux voyageurs un confort que ne proposent pas les diligences, les malles-poste et autres pataches hippomobiles. Le tout jeune moyen de transport doit encore faire ses preuves car le déraillement, à Meudon en 1842, d'un train provoquant la mort de 164 personnes dont l'explorateur Dumont d'Urville est encore dans tous les esprits. Après l'inauguration de la première ligne entre Paris et Le Pecq suivront l'ouverture d'une ligne jusqu'à Versailles en 1839, d'une autre jusqu'à Rouen en 1843. Cela nécessite la construction de gares ou embarcadères. Pour prendre la ligne en direction de Tonnerre dans l'Yonne (1849), on construit un embarcadère ancêtre de la gare de Lyon ; pour emprunter la ligne Paris-Orléans (inaugurée en 1843) on construit un embarcadère sur le boulevard de l'Hôpital (12ème* arrondissement), ancêtre de la gare d'Austerlitz. C'est vers ce dernier que Flaubert et son ami se dirigent pour quitter Paris le 1er mai 1847 à 8 heures et demie du matin. "Nous sommes montés dans notre wagon ; on a fermé la portière, la bête de fer a renâclé comme un cheval qui piaffe, et nous sommes partis." (1) Direction Orléans. 

 

Les deux amis visitent quelques châteaux de la Loire : Blois, Chambord, Amboise, Chenonceaux. Après Tours et Chinon, ils font une halte à Fontevraud, "enfoncé un peu comme Jumièges, sans que l'on voie grande colline autour de l'abbaye" (1), dixit Du Camp. L'abbaye de Fontevraud, fondée au début du 12ème siècle, avait la particularité d'avoir cinq couvents distincts (dans cinq bâtiments différents) menant une vie autonome. La plupart de ces bâtiments n'existent plus, mutilés, vandalisés puis détruits au cours des siècles. En 1804, Napoléon fait de l'abbaye une prison qui ne sera désaffectée qu'en 1963. Depuis 1975, l'abbaye abrite le Centre Culturel de l'Ouest qui assure l'animation du lieu par des spectacles, concerts, expositions, conférences, etc. Une hostellerie a été aménagée dans l'ancien prieuré Saint-Lazare.

 

L'église abbatiale du 12ème siècle abrite les tombeaux des Plantagenêts : Henry II - roi d'Angleterre né au Mans en 1133, couronné à Westminster en 1154 -, son épouse Aleanor of Aquitaine (Aliénor d'Aquitaine, divorcée du roi de France Louis VII) et leur fils Richard I (Coeur de Lion) couronné à Westminster en 1189. L'union du jeune comte d'Anjou, duc de Normandie et de la duchesse d'Aquitaine marquera le début d'une grande dynastie, celle des Plantagenêts (The House of Plantagenet) qui s'achèvera en 1399 avec le règne de Richard II (of Bordeaux). Par cette union, Henry II ajoutera à ses domaines d'Anjou, du Maine, de la Touraine et de Normandie, le Poitou, la Guyenne, la Saintonge et la Gascogne. Jean dit sans Terre (John Lackland), frère de Richard (Coeur de Lion), perdra l'Anjou, le Maine, la Touraine et la Normandie au profit de Philippe-Auguste. Cependant Jean sans Terre voulant reprendre l'Anjou, marchera sur sa capitale. "Le combat de la Roche-aux-Moines, à quelques kilomètres d'Angers, fut une grande victoire française que Bouvines devait compléter trois semaines plus tard, le 27 juillet 1214. Les coalisés se dispersèrent ; ils ne devaient revenir occuper l'Anjou que beaucoup plus tard lors des guerres de Cent Ans. Henri III**, fils de Jean sans Terre, fit bien quelques tentatives pour récupérer l'Anjou, dont la principale date de 1230. (...) Le roi Philippe survécut à ses adversaires. Jean II mourra en 1216 ; (...) il ne sera pas inhumé à Fontevraud en Anjou, car depuis douze ans il n'y était déjà plus chez lui." (2)

 

C'est donc une prison que visitent Flaubert et Du Camp. Ce dernier décrira les "prisonniers au réfectoire, à la promenade, un à un, en silence forcé, à la queue du loup". (1) Ils visitent l'église abbatiale. "Ce qu'il y a de plus curieux, c'est l'église dont l'abside (extérieure) est d'un beau roman avec des rotondes attenantes." (1)

 

Dans l'un des bâtiments de l'abbaye, devrait être prochainement inauguré (lorsque la réouverture des lieux de culture sera autorisée) le Musée d'art moderne de Fontevraud, qui réunira une collection de près de 900 oeuvres des 19è et 20è siècles rassemblées depuis une soixantaine d'années par M. et Mme Cligman : tableaux de Corot, Derain, Buffet, Soutine, Van Dongen, Fautrier, Gris ; sculptures de Degas, Rodin ; statues sumériennes, idoles cycladiques... Ce nouveau musée se visitera à l'entrée de l'abbaye, dans le bâtiment de la Fannerie, anciennes écuries du 18ème siècle.

 

Et Flaubert et Du Camp repartent déjà pour Tours...

                   

 

* Correspond au 13ème arrondissement actuel.

** Henry III, roi d'Angleterre de 1216 à 1272.

 

(1) Voyage en Bretagne - Par les champs et par les grèves de Gustave Flaubert (Editions Complexe, 1989) Les chapitres pairs sont de la main de Maxime Du Camp. 

(2) Dictionnaire des rues d'Angers par Jacques Saillot (Atelier d'Art Philippe Petit, 1975)            

 

Source complémentaire : Britain's Kings & Queens par Sir George Bellew KCVO (Pitkin Pictorials Ltd, 1972)

 

 

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7 avril 2021 3 07 /04 /avril /2021 10:36

 

 

2021 : bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert

 

 

1846 : L'année même où Gustave Flaubert voit mourir son père (janvier) puis sa soeur (mars) et qu'il rencontre chez James Pradier, Louise Colet avec qui il aura une relation tumultueuse, la France est gouvernée par Louis-Philippe. C'est la monarchie de Juillet, juillet comme les jours (27, 28 et 29) du mois de juillet 1830 qui mirent fin au règne de Charles X sous la pression populaire et qui virent l'installation au palais des Tuileries de Louis-Philippe d'Orléans, roi des Français. Son règne sera loin d'être un long fleuve tranquille. Celui que le caricaturiste Honoré Daumier représente en forme de poire, n'échappera ni aux insurrections, ni aux attentats contre sa personne, ni aux malheurs familiaux.

 

Tout avait pourtant bien commencé avec la loi d'avril 1831 qui abaissait le cens électoral et le cens d'éligibilité. Désormais, pour être électeur, il suffit d'avoir 25 ans et de payer 200 francs d'impôt ; pour être élu, il suffit d'avoir 30 ans et de payer 500 francs d'impôt. Pourtant lors des élections législatives du 1er août 1846 (les dernières de la monarchie de Juillet), le nombre d'électeurs n'atteindra que 240 000, chiffre infime au regard de la population française. Ceux qui espéraient que la démocratie succéderait au régime autoritaire de Charles X sont déçus. En ce qui concerne le pouvoir législatif, la monarchie de Juillet renforça la pratique du parlementarisme - la responsabilité des ministres devant le Parlement n'étant plus contestée -, les Chambres partageaient désormais l'initiative des lois avec le roi et la pratique de l'interpellation (question d'un député donnant lieu à un débat après la réponse d'un ministre) se développa. Mais dans la rue, la révolte gronde. A Lyon, les canuts se révoltent (novembre 1831) suivis par des ouvriers (avril 1834) mécontents de la dissolution d'une société de secours mutuel en vertu de la loi interdisant les associations. A Paris, le 13 avril 1834, une émeute dans la rue Transnonain dans le 10ème* arrondissement (actuelle rue Beaubourg, Paris 3ème) et dans les rues adjacentes fait de nombreuses victimes après l'envoi sur place de plusieurs milliers d'hommes de troupe pour mater les insurgés. Les soldats enfonceront les portes du 12 de la rue Transnonain et y massacreront tous les habitants.

 

Le roi sera visé par des attentats en 1835 et en 1840 et Louis-Napoléon Bonaparte tentera plusieurs fois de prendre le pouvoir par la force avant d'être emprisonné au château de Ham (Somme) d'où il s'évadera en mai 1846 sous les traits d'un maçon nommé Badinguet. En plus de ces péripéties, le roi a la douleur de perdre sa fille Marie d'Orléans à l'âge de 25 ans en 1839 (peintre douée, elle avait été l'élève de Ary Scheffer) puis, en 1842, son fils aîné, sautant d'une calèche tirée par des chevaux en furie, se tue en se brisant le crâne ; il avait 32 ans. Un événement heureux aura cependant lieu un an plus tard lorsque François-Ferdinand d'Orléans, troisième fils de Louis-Philippe, épousera à Rio de Janeiro Dona Francisca de Bragança, fille de Pedro Ier Empereur du Brésil. Ary Scheffer fera le portrait de la Princesse de Joinville en 1844, tableau acquis par la Ville de Paris pour le musée de la Vie romantique de la rue Chaptal (9ème arrdt). Le progrès industriel, le bon bilan économique des années 1840-1846 n'empêcheront pas de faire naître une grande injustice sociale. Les mauvaises récoltes de 1845 et de 1846 ne provoquent que cherté du pain, spéculation et disette. Une affaire de corruption éclaboussant le Gouvernement Guizot portera le coup fatal qui mettra fin à la monarchie de Juillet en 1848. 

 

Pendant le règne de Louis-Philippe, Paris se transformera sous l'impulsion du préfet de la Seine Claude Barthelot, comte de Rambuteau entre 1833 et 1848. Avec peu de moyens (contrairement à son successeur Haussmann), il aménagera cependant avenues et places.

On lui doit d'avoir achevé la construction de l'Arc de Triomphe (inauguré en juillet 1836) avec la pose des hauts-reliefs et des sculptures dues notamment à Etex, Cortot, Rude (la Marseillaise ou Le Départ de 1792), Pradier (les Renommées placées sur les tympans des grands arcs) et celle de l'église de la Madeleine en 1842.

L'érection de l'obélisque de Louksor en 1836 et l'installation des statues symbolisant des villes de France (dont Lille et Strasbourg par Pradier) changèrent l'aspect de la place de la Concorde.

L'inauguration de la première ligne de chemin de fer (ligne Paris-Le Pecq en 1837) engendra la construction de la gare Saint-Lazare (1843).

Pour la construction de nouvelles églises comme la basilique Sainte-Clotilde (7ème arrdt) dont les travaux commencèrent en 1846, Rambuteau imposera le retour au gothique, style délaissé à Paris depuis la Renaissance.

Sur l'île de la Cité, Rambuteau fait percer la rue d'Arcole entre la cathédrale Notre-Dame et le pont éponyme jeté entre l'île et la place de l'Hôtel de Ville ce qui engendra la disparition de trois rues médiévales aux immeubles insalubres ainsi que celle de l'église St-Pierre-aux-Boeufs (XIIème siècle) dont le portail démonté pierre par pierre orne depuis 1837 l'entrée de l'église St-Séverin. Haussmann, mécontent du tracé de la rue et afin de lui permettre de construire le nouvel Hôtel-Dieu en changera le tracé. Rambuteau fera aussi percer la rue de Constantine dans le 9ème* arrondissement (aujourd'hui rue de Lutèce, 4ème arrdt) entre la rue d'Arcole et le Palais de justice, rue que son successeur transformera complètement en faisant raser les immeubles construits vingt ans plus tôt.

Sur la rive droite, il fera aménager en 1838 la rue qui porte son nom. Sur l'emplacement de l'Opéra démoli à la suite de l'assassinat en 1820 du duc de Berry, un square (Louvois) est aménagé en 1839 et orné en 1844 d'une fontaine par Visconti. Un nouvel Opéra construit en 1821 dans la rue Le Peletier donnera, sous le règne de Louis-Philippe, opéras et ballets. La salle Favart (Opéra-Comique) qui accueillit les troupes de l'Opéra entre 1820 et 1821, et détruite par un incendie en 1838 rouvrira en 1840 (place Boieldieu). Sur le boulevard du Temple, des théâtres proposent des spectacles dont le théâtre des Funambules où Deburau et Frédérick Lemaître firent leurs débuts.

Sous la monarchie de Juillet, les établissements à la mode sont sur le boulevard des Italiens, le café Anglais (n°13), le café Hardy (où l'on pouvait déguster les meilleures côtelettes de Paris) auquel succéda en 1840 la Maison Dorée (n°20), le café Tortoni (n°22). La vogue de la Maison Dorée surpassait, dans les années 1840, celle des autres cafés. L'établissement comportait deux parties, l'une sur le boulevard pour les clients de passage, l'autre plus intime constituée de "cabinets" pour les habitués et les personnalités. Frédéric Chopin donne rendez-vous à son ami Albert Grzymala en ces termes "demain jeudi à 5h. 3/4 ou à 6 heures au Café doré en cabinet particulier". L'immeuble est désormais le siège d'une banque.    

 

C'est ce Paris en pleine transformation que Gustave Flaubert et Maxime Du Camp quittent le 1er mai 1847 pour trois mois à la découverte de l'Anjou, de la Touraine et de la Bretagne.

 

 

Sources :

 

Dictionnaire historique des rues de Paris par Jacques Hillairet (Les Editions de Minuit, 1964)

La Révolution 1770-1880 par François Furet (Hachette, 1988)

Plan itinéraire de Paris par arrondissements en 1850 (Archives & Culture, 2007)

Histoire de Paris par Pierre Lavedan (Presses Universitaires de France, 1977)

 

 

                     

                     

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6 avril 2021 2 06 /04 /avril /2021 09:49

 

 

2021 : bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert

 

 

5 juillet 1846. Le jour même où Guizot procède à la dissolution de la Chambre des députés et que le peintre Camille Corot est élevé au grade de chevalier de la Légion d'honneur, Gustave Flaubert est invité à une réception dans l'atelier de James Pradier. Il se rend à pied jusqu'à la rue des Beaux-Arts, ses "moyens ne [lui] permettant pas de prendre un cabriolet et [ses] goûts un omnibus". Entre les rues de Seine et des Petits-Augustins (1) dans le 10ème* arrondissement, à deux pas du couvent éponyme qu'avait fait construire la reine Margot en 1608 mais qui fut supprimé sous la Révolution et qui devint après moult transformations l'Ecole des Beaux-Arts, James Pradier demeurait dans l'un des immeubles de la rue des Beaux-Arts, artère nouvellement percée (1825) en lieu et place de l'hôtel de La Rochefoucauld récemment démoli. Henri Fantin-Latour, Camille Corot, Prosper Mérimée et Gérard de Nerval occupèrent très tôt les logements neufs et confortables de cette petite rue longue de seulement 138 mètres à deux pas des quais de Seine. James Pradier, sculpteur d'origine suisse ne vit alors plus avec son épouse Louise, une amie d'enfance de Flaubert. Ce dernier allait souvent chez les Pradier avant leur séparation, une maison qu'il "aime beaucoup, où l'on n'est pas gêné et qui est tout à fait dans mon genre", comme il l'écrit à sa soeur Caroline en 1843. Pradier est, à cette époque, un sculpteur renommé que l'on compare à Phidias dans les milieux artistiques (du nom du sculpteur grec décédé vers 430 avant notre ère). On ne compte plus, à Paris, ses oeuvres qui ornent places, rues et bâtiments. Dans le 1er arrondissement, la fontaine dédiée à l'auteur du Malade Imaginaire due en grande partie à Visconti, comporte deux statues debout de Pradier, la Comédie sérieuse et la Comédie légère de part et d'autre du piédestal sur lequel Molière trône assis à l'embranchement des rues de Richelieu et Molière. Dans le 7ème arrondissement, on peut admirer ses douze statues dites des "Victoires" qui entourent le tombeau de Napoléon (par Visconti) sous le dôme des Invalides. Pour la place de la Concorde (8ème arrdt), on lui a passé commande de deux des statues qui ornent les pavillons d'angle de la dite place et qui symbolisent les villes de Lille et de Strasbourg. Ces oeuvres et bien d'autres, lui valurent d'être fait chevalier puis officier de la Légion d'honneur.

 

L'appartement de Pradier est vaste. La lumière entre par de larges baies vitrées entrouvertes. Les invités se penchent admiratifs sur quelques plâtres qui seront les statues qui bientôt orneront places et palais. Au mur, des tableaux du maître de céans sur des thèmes mythologiques ou religieux, des portraits aussi et d'autres de son ami Marius Fouque. Il fait chaud à Paris en ce mois de juillet 1846. Les hommes fument et discutent un verre à la main ; les dames cherchent à gagner un peu de fraîcheur en agitant leurs éventails de la maison Duvelleroy ou Ernest Kees. Un pianiste joue quelques Nocturnes de Chopin, le numéro 10 d'abord, introduction au ballet Les Sylphides puis les numéros 11 et 12, l'un mélancolique, l'autre serein. Parmi les invitées, Flaubert aperçoit Louise Colet, poétesse et femme de lettres. Il a vingt-quatre ans ; elle a deux fois dix-huit ans. Elle est mariée ; il en tombe éperdument amoureux.

 

- On dit, monsieur Flaubert, que vous travaillez et le jour et la nuit à traduire en mots la scène d'un tableau que vous avez vu à Gênes l'an passé.

- Par La Tentation de saint Antoine, je tente d'oublier mes peines et mes angoisses. Je suis un oncle heureux et un frère terrassé par le chagrin. Ma soeur, ma chère soeur, mon bon rat comme je l'appelais tendrement a perdu la vie en la donnant. Mon ami Maxime Du Camp me presse pour que j'aille avec lui par les champs et par les grèves afin d'apaiser ma souffrance. 

- Je vous ai entendu en parler dans le petit salon. Le connaissez-vous depuis longtemps, cet ami ? [Elle s'approche d'une Odalisque de Pradier posée sur une colonne près de la  fenêtre.] Regardez l'expression de ce visage opalin. Elle est nue, un simple turban lui ceint la tête qu'elle tourne vers nous. Regarde-t-elle quelqu'un ? Nous appelle-t-elle auprès d'elle ? Mais je dois déjà prendre congé.

- Puis-je espérer vous revoir ?

Le pianiste entame un lied de Schubert. Une cantatrice le suit note après note : "Ihm brennt nach ihr das Herz..." 

- Et son coeur brûle de désir pour elle. Plus jamais il n'abordera sur aucun rivage, traduit Louise en regardant Flaubert droit dans les yeux. 

- Schubert sur un poème de Matthäus Von Collin.  

- Faites apporter un pli à ma tanière de la rue Bréda. J'y répondrai de suite et vous dirai si votre écriture est aussi fine que les traits de votre visage, cher jeune poète.

- Cela veut dire bientôt !       

Les moments qu'ils passeront ensemble au début du mois d'août ne seront que frénésie et promenades en calèche au bois de Boulogne. Il lui écrit de longues lettres enflammées depuis Rouen où il a dû rentrer pour prendre soin de sa mère, veuve depuis quelques mois. "Hier à cette heure-ci je te tenais dans mes bras", lui écrit-il par une nuit chaude et douce peu après leur rencontre.

 

Louise Colet n'est pas une inconnue. Outre qu'elle est l'épouse du compositeur et professeur de musique Hippolyte Colet, elle a publié, en 1839, une biographie sur la jeunesse de Goethe. Elle tient un salon littéraire au 2 de la rue Bréda dans le 2ème* arrondissement (actuelle rue Henri-Monnier, 9ème arrdt) dans le quartier dit de la Nouvelle-Athènes. Ce quartier, créé ex nihilo à partir de 1820, entre les rues de La Rochefoucauld, de la Tour-des-Dames, Blanche et Saint-Lazare s'étendra petit à petit au quartier Saint-Georges et au Square d'Orléans au sud et jusqu'aux rues Chaptal et de Boulogne (2) au nord. Ce quartier neuf aux immeubles cossus a très vite attiré acteurs, peintres, écrivains ainsi que les lorettes, jeunes femmes aux moeurs légères comme on disait à l'époque qui inspirèrent Balzac, Zola et Flaubert pour la rédaction de L'Education sentimentale.

C'est rue Chaptal (rue ouverte en 1825 sur des terrains appartenant à la famille du chimiste Chaptal) que le peintre Ary Scheffer, peintre officiel du roi Louis-Philippe, s'installa en 1830 dans une maison dont on accédait par un passage qui conduit à une cour entourée de ses deux ateliers et d'une bâtisse construite sur deux niveaux avec combles dans laquelle chaque vendredi il recevait artistes et hommes politiques et où devant son chevalet ont posé George Sand, Frédéric Chopin, Franz Liszt, Augustin Thierry et Ernest Renan qui épousera la nièce du peintre natif de Dordrecht (Pays-Bas). La maison de Scheffer devenue musée de la Vie Romantique (16 rue Chaptal, Paris 9ème) à la fin des années 1980, conserve le souvenir de celles et ceux qui ont fréquenté son salon au milieu du 19ème siècle.

 

"Comment ça va ? Comment roules-tu ta bosse dans la nouvelle Athènes ?", écrit Flaubert à son ami Ernest Chevalier en 1843. La Nouvelle-Athènes, Eugène Delacroix y a eu un atelier au 54 de la rue Notre-Dame-de-Lorette entre 1844 et 1857, Gustave Moreau a vécu dans l'hôtel que ses parents avaient acheté au 14 rue de La Rochefoucauld et qui est maintenant musée national, George Sand habita entre 1842 et 1847 dans un appartement du Square d'Orléans, ensemble architectural qui constituera la dernière opération de lotissement de la Nouvelle-Athènes (1830-1834), Adolphe Thiers vécut dans l'hôtel particulier de son beau-père à partir de 1840 (Fondation Dosne-Thiers - Institut de France -, 27 place Saint-Georges, Paris 9ème). A cette époque, la peinture s'inspire de la mythologie grecque et de l'Orient. Cet Orient que Gustave Flaubert visitera avec Maxime Du Camp en 1850.             

                                    

 

* Un arrondissement suivi d'un astérisque correspond à la numérotation d'avant 1860 et le rattachement à la capitale des communes limitrophes.

 

(1) Actuelle rue Bonaparte (6ème arrdt). 

(2) Actuelle rue Ballu (9ème arrdt).

 

[Les faits relatés dans cet article sont vrais puisque j'ai tout inventé.]

 

    

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31 mars 2021 3 31 /03 /mars /2021 08:45

 

 

La cour d'Appel de Marseille a rejeté la requête de la Ville de Perpignan concernant l'ouverture des musées. (source : chaîne tv ViàOccitanie, 30/03/21)

 

Malgré deux manifestations pour demander sa réouverture, la route qui relie Maçanet de Cabrenys - Tapis (Espagne) à Coustouges (Pyrénées-Orientales) est toujours fermée dans les deux sens. (source : chaîne tv 324, 30/03/21)

 

Un test PCR négatif est exigé pour passer la frontière entre la France et l'Espagne. (source : chaîne tv 324, 30/03/21)

 

L'Italie exige une quarantaine de 5 jours pour tous les voyageurs qui arrivent sur son territoire en provenance des pays de l'UE (source : chaîne tv 324, 30/03/21)

 

 

2021 : bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert

 

 

La Tentation de saint Antoine, oeuvre attribuée à Breughel Le Jeune mais certainement peinte par Jan Verbeeck, peintre flamand du 16ème siècle originaire de Malines dans les Pays-Bas espagnols, obsède Gustave Flaubert depuis qu'il l'a vue dans l'un des palais qui borde la Via Balbi à Gênes sans doute le Palais Balbi Durazzo construit vers 1650, avec une salle du Trône et celle des audiences où l'on peut admirer le Portrait de Catarina Balbi Durazzo par Antoon Van Dyck. Ce peintre né à Anvers en 1599 a vécu en Italie entre 1621 et 1627 avec un long séjour à Gênes chez les peintres et marchands d'art Lucas et Cornelis de Wael dont il fera le portrait. Gênes, porte du monde méditerranéen, entretient à cette époque d'étroites relations commerciales et artistiques avec la Flandre. Au 15ème siècle, de nombreux commanditaires privés demandent des oeuvres à des artistes flamands pour la décoration de leurs riches demeures. Quelques oeuvres de Jan Van Eyck (décédé en 1441) sont commandées par des Génois. Son Triptyque Lomellini a servi de modèle à la peinture génoise et a certainement inspiré des peintres comme Antonello da Messina, Antonio da Fabriano ou Ludovico Brea (ou Louis Bréa, natif de Nice, dont on peut voir quelques oeuvres au musée Masséna). "L'importation de tableaux flamands en Ligurie semble se ralentir dans les dernières décennies du XVè siècle. (...) Cette situation s'explique (...) soit par une sorte de révolte des peintres locaux (...) [par] les statuts de la corporation des peintres génois [rédigés] à des fins régulatrices et protectionnistes (...) au 18 décembre 1481." (*) Des commanditaires appartenant à des familles puissantes passeront cependant outre ces statuts corporatistes. Au 16ème siècle, des artistes flamands continueront de peindre pour de riches commanditaires génois. Un siècle plus tard, à Gênes, Van Dyck, marchant dans les pas de Rubens, sera le peintre favori des nobles citoyens de la cité méditerranéenne, avec ses portraits de Porzia Imperiale et de sa fille Maria Francesca (Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique) et du Joaillier Pucci avec son fils (Gênes, Galleria d'Arte di Palazzo Rosso). 

Mais l'heure est déjà venue de quitter Gênes et la Méditerranée et de s'enfoncer dans les terres au grand dam de Flaubert. "Je lui ai dit adieu avec un étrange serrement de coeur", écrit-il de Milan à un ami en mai 1845. Cependant, avant de prendre la route qui le mènera en Lombardie, il prend une barque et navigue dans le bassin du vieux port, le bassin delle Grazie, tandis que des dizaines de mouettes viennent chiper au fil de l'eau les restes de poissons jetés par des pêcheurs qui rentrent au port au lever du soleil. Attitude romantique d'un jeune homme qui rappelle celle de Lamartine navigant sur le lac du Bourget trente ans plus tôt : "On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux / Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence / Tes flots harmonieux..." Quand je visitai Gênes en février 1979, après une visite du Palais Spinola, je descendis les ruelles étroites en direction du port depuis la cathédrale San Lorenzo. A l'époque, Sandro Giacobbe chantait Volare via (**) : "Gabbiani bianchi in libertà... Mouettes blanches en liberté, la mer s'en vient, la mer s'en va, le ciel est là, le toucher tu ne peux, alors tu veux voler au loin très haut et encore plus haut..."

            

 

(*) Extrait du catalogue de l'exposition Le siècle de Van Eyck, les primitifs flamands et le Sud, 1430-1530 organisée au Groeningemuseum à Bruges (Belgique) du 15 mars au 30 juin 2002, dans le cadre de "Bruges ville européenne de la culture de l'an 2002".

 

(**) Volare via, une chanson interprétée par Sandro Giacobbe sur son album Lenti a contatto (1978) paru chez CGD sous la référence 20067. Paroles traduites en partie en français par votre serviteur.                      

 

 

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30 mars 2021 2 30 /03 /mars /2021 10:36

 

 

2021 : bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert

 

 

Au 18ème siècle, quand on était un jeune noble britannique, on se devait de quitter le cocon familial pour parcourir et découvrir l'Europe au moins durant six mois, au mieux durant un an et demi, accompagné d'un précepteur et de plusieurs serviteurs. C'est ce qu'on appelait "the Grand Tour". Ainsi, au 18ème siècle, les Anglais inventèrent le tourisme. S'ils appréciaient Paris, Vienne, Prague et Saint-Pétersbourg, un "Grand Tour" ne pouvait pas ne pas passer par l'Italie et ses chemins qui mènent tous à Rome. 

 

Baccalauréat en poche (passé en candidat libre) après une scolarité difficile et perturbée, Gustave Flaubert quitte Rouen et la maison familiale pour s'aventurer dans les Pyrénées et en Corse. C'est le début d'une série de voyages, un "Grand Tour" en Europe et en Méditerranée orientale effectué par segments entre 1840 et 1862. 

En 1845, sa soeur Caroline épouse Emile Hamard, camarade de collège de Gustave. Les jeunes époux prévoient de passer leur voyage de noces en Italie. La famille Flaubert les accompagne. Après un court passage par Marseille et par Cannes où Lord Brougham attire l'aristocratie anglaise depuis 1834, les époux et leurs chaperons traversent le Var, frontière naturelle entre le royaume de France et les Etats sardes. Ils arrivent à Nice où a pris l'habitude d'hiverner depuis le milieu du siècle précédent une importante communauté russe, trois à quatre cents familles. Entre décembre 1843 et mars 1844, le célèbre écrivain russe Gogol passa dans la cité niçoise de bons moments dans la gaieté des rendez-vous mondains. Puis viennent Monaco et Menton, XXmiglia, la riviera du Ponent et enfin Genova (Gênes), ville natale de Christophe Colomb dit-on, mais plus sûrement celle de l'architecte Renzo Piano (1937). L'ancienne "République de saint Georges" avec ses quartiers pittoresques aux étroites ruelles bordées de palais et d'églises richement décorées enchantent le jeune Flaubert âgé de 23 ans. Rubens, Van Dyck, des peintres flamands et italiens y ont oeuvré pour le plus grand bonheur des commanditaires et désormais des visiteurs. Dans l'un des palais qui bordent la Via Balbi qui descend de la Piazza Acquaverde à la Piazza della Nunziata (église baroque du 17ème siècle), Flaubert tombe en admiration devant un tableau attribué à Breughel, La Tentation de saint Antoine. Il n'aura de cesse de vouloir écrire sur ce saint pour le théâtre. "Antoine reprenant sa prière, écrira-t-il, n'es-tu pas l'amour de ceux qui n'ont pas d'amour, la consolation des affligés ?" Ce tableau, attribué à Breughel mais plus sûrement l'oeuvre de Jan Verbeeck, peintre flamand du 16ème siècle originaire de Malines, est visible aux "Gallerie Nazionali di Palazzo Spinola". Le musée de la Piazza Pellicceria (fermé au public depuis le 15 mars 2021 jusqu'à nouvel ordre pour cause de pandémie de Covid-19) sis dans un palais de la fin du 16ème siècle - fortement endommagé par un incendie lors du bombardement de Gênes en 1941 -, propose de voir sur quatre niveaux, du mobilier, des fresques et des peintures. Les troisième et quatrième étages du palais, autrefois destinés à la vie privée des propriétaires ainsi qu'aux domestiques, abritent désormais la "Galleria Nazionale della Liguria". Inaugurées en 1992, ses salles accueillent une collection d'une cinquantaine d'oeuvres dont l'Ecce Homo de Antonello da Messina (artiste qui fut fortement influencé par Jan Van Eyck), le Portrait équestre de Giovanni Carlo Doria par Pierre-Paul Rubens, La Tentation de saint Antoine, ainsi que (au quatrième étage) des céramiques et des tissus. Le musée propose aussi des conférences comme celle intitulée "Le Tentazioni di Sant'Antonio abate, arte e letteratura" donnée le 14 novembre 2018 par Farida Simonetti et Gianluca Zanelli avec comme intervenante Chiara Pasetti, spécialiste de Gustave Flaubert et écrivaine. Enseignante, chercheuse, critique littéraire, doctorante à l'université de Rouen en co-tutelle avec l'Università Roma 3, elle est l'auteure d'une thèse intitulée Hallucinations et rêves dans la vie et dans l'oeuvre de Gustave Flaubert. Dans une lettre envoyée à un ami, Flaubert écrit cette phrase magnifique : "Le seul moyen de n'être pas malheureux c'est de t'enfermer dans l'Art et de compter pour rien tout le reste." 

Puis ce sera Milan et la région des lacs avant un retour à Rouen (via Genève) où, un an plus tard, Flaubert aura la douleur de perdre et son père et sa chère soeur Caroline, son "vieux rat" comme il l'appelait affectueusement, dans sa vingt-deuxième année, laissant un bébé de même prénom que la famille Flaubert élèvera. Voyant son ami abattu par ces deux décès survenus à deux mois d'intervalle, Maxime Du Camp l'entraîne dans un voyage de trois mois à partir du 1er mai 1847 à travers la Touraine et la Bretagne.

                            

 

Sources :

 

Les Russes sur la Côte d'Azur par LeRoy Ellis (Editions Serre, 1988)

 

Flaubert, Correspondance (Folio classique, Editions Gallimard)

 

Site internet des "Gallerie Nazionali di Palazzo Spinola" (Gênes)

 

      

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